Cet article a été publié pour la première fois dans
Histoire de la littérature belge
(1830-2000) Paris, Fayard, 2003.

Georges Eekhoud, du régionalisme à la question homosexuelle

1888, publication de la Nouvelle Carthage

Mirande Lucien


 
En 1888, les principaux écrivains belges de langue française, de la génération de La Jeune Belgique, quittent un à un Bruxelles pour se fixer à Paris. Georges Rodenbach est le premier à s'y installer en janvier 1888. L'année suivante, André Fontainas revient y vivre et y accueille Francis Nautet. Cette année-là, Verhaeren comme Charles Van Lerberghe y font plusieurs séjours, et Eugène Demolder s'installe en Seine-et-Oise. Albert Mockel, le liégeois, fondateur de La Wallonie, se fixe définitivement dans la capitale française en 1889. La Jeune Belgique s’enlise dans des querelles idéologiques et personnelles et c’est Le Mercure de France, créé par Valette en 1890, qui va bientôt constituer un pôle d’attraction. Eekhoud, l’Anversois de naissance, qui réside à Bruxelles depuis 1882, reste en Belgique. Il y restera toute sa vie.

En 1888 il publie chez Henry Kistemaeckers la première version de La Nouvelle Carthage. La version dite définitive publiée en 1893 et couronnée la même année par le prix Quinquennal de littérature lui apportera la reconnaissance nationale. Pour cela il a étoffé le roman de 1888 de chapitres nouveaux. L’œuvre est devenue le roman d’une ville : Anvers. Laurent Paridael, le personnage principal, s’est affirmé, il a osé fréquenter les « runners », ces écumeurs du port au sexe indécis. Mais surtout, Eekhoud ne le laissera pas là, puisque Paridael est aussi le héros des Voyous de velours de 1904.

Au sens politique du mot, on ne peut vraiment parler de régionalisme qu’à propos de deux romans d’Eekhoud : Les Milices de Saint-François et Les Fusillés de Malines. Le premier met en scène des paysans mobilisés autour de leur curé et de leur seigneur pour lutter contre les « libéraux» « inspirés par le mépris de l’autonomie patriale et le lucre égoïste » (p. 100 et 101) Le second roman se situe à l’époque révolutionnaire et raconte la révolte des paysans prêts à mourir pour « Dieu et la patrie ». Mais en fait on considère qu’Eekhoud est un romancier régionaliste parce qu’il a situé l’intrigue des deux romans et surtout des deux recueils de nouvelles : Kermesses et Nouvelles Kermesses, publiés avant La Nouvelle Carthage, dans la Campine : une région de landes à peine assainies, un pays écarté et sauvage situé au nord d’Anvers. Ce sera vrai aussi pour les recueils de la maturité. Or ce n’est pas le pays qui retient Eekhoud - il constitue le plus souvent la caisse de résonance des passions- mais les hommes qui en sont issus. Il peut les rencontrer dans les rues de Bruxelles où ils viennent exécuter les grosses besognes de terrassement et ils sont proches, nous le verrons, du peuple bruxellois des faubourgs. Eekhoud n’est pas tant le romancier d’une terre que celui d’une race. Cette race est la résultante d’un incessant bouturage à ce carrefour de l’Europe, que tous les peuples « occupèrent ». Ils ont en commun une langue à l’époque méprisée : le flamand, qui à Bruxelles se mélange au français pour constituer un étrange « baragouin » comme dit Eekhoud.

Georges Eekhoud fut un marcheur infatigable et, dans son journal, il raconte des promenades qui donnent lieu à des repas champêtres : « Pique-nique dans un estaminet près de Jette, excellentes, nobles gens : la vieille, la cabaretière, un bon gars placide, le petit garçon, consommateurs sympathiques. Tout ce monde s’amuse de nous voir préparer le thé avec des instruments perfectionnés. Braens leur remet une bouteille de vin à peine entamée. Ils se la partagent fraternellement […] Tout cela émouvant. Douce et poignante mélancolie. Ah les braves cœurs de mes flamands de Brabant, si près de la capitale égoïste et sceptique, frivole ! Nostalgie profonde ! mes gars ! mes gars !…J’en ai le cœur gros et il me pèse…me poigne encore ! »  Ce sont « ses gars », ses « modèles » qui retiennent Eekhoud en Belgique. « Comme mon cœur, écrit-il à Iwan Gilkin, le tien ne bat ferme que chez nous. » (Dédicace sur l’exemplaire des Fusillés de Malines qui lui est destiné.)

La Campine n’est pas le pays où Eekhoud a grandi : lui-même était un petit citadin. La Campine est le pays de sa femme, une campagnarde de sept ans son aînée, longtemps « en service » chez sa grand-mère. C’est un pays emprunté, où il n’est pas chez lui, où il reste toujours un « monsieur » et la race évoquée est et elle n’est pas, elle est le blanc sur lequel s’inscrivent ses fantasmes homoérotiques. Le message de la nouvelle intitulée « Le suicide par amour »  est que l’objet d’amour n’existe jamais en soi, il est le résultat d’un effort de synthèse et d’abstraction : « il surgira dans les effluves des parfums et les ondes des harmonies auxquels s’attachent les plus intimes souvenirs ; [il] possèdera la voix pathétique de tes obsessions musicales, la couleur de ses vêtements sera puisée à la palette de tes peintres aimés, mieux, empruntée aux haillons des libres voyous qui lui servirent d’avant-coureurs » (Cycle Patibulaire, p. 232). Lorsque l’objet imaginaire est parfaitement constitué, l’émotion peut conduire à la mort appelée ici « le suicide par amour ». À l’inverse, la perspective de mourir et d’être enterré entretient un espoir : « m’incorporer, atome par atome et cellule par cellule, en toutes ces jeunes adolescences, éternel printemps de ma patrie ! (Voyous de velours, p. 160)

Le Journal et la correspondance d’Eekhoud montrent que l’écrivain a eu de nombreuses relations sexuelles avec des ouvriers rencontrés dans des terrains vagues, qu’il entraîne dans des chambres payées à l’heure ou au mois. Pour cela nulle trace de culpabilité. Sa seule appréhension était bien prosaïque : la crainte des maîtres chanteurs. Mais si le plaisir procuré par ces jeux d’approche et de drague, la joie sauvage, par corps interposé, de s’approprier une terre, constitue l’essentiel de son inspiration littéraire, il sent bien qu’il lui faut s’autocensurer pour être publié et que, si la critique le célèbre c’est parce qu’elle le lit mal. Elle voit dans son amour fanatique une préoccupation d’ordre social. Lui dessiller les yeux serait dangereux. La crainte qu’il éprouve à publier, en 1892, son Cycle patibulaire en Belgique est sur ce point exemplaire : « Par ces temps de persécution littéraire, je crois sage, mon cher Kistemaeckers, de ne publier mon Cycle Patibulaire que pour prendre date, c'est-à-dire à un très petit nombre d'exemplaires qui ne seront pas mis en librairie, et dont nous forcerons le prix pour rebuter les lecteurs compromettants. » Le livre enrichi des nouvelles les plus explicites sur l’amour d’un homme pour un autre homme paraîtra à Paris, au Mercure de France en 1896 suivi en 1897 par Mes Communions. Or Eekhoud est profondément patriote, attaché à une Belgique unitaire dont la régionalisation actuelle ne donne plus qu’une idée assez imprécise. Si l’accueil de Paris le flatte, il fait aussi de lui un exilé de l’intérieur.

Les contacts qu’il peut avoir avec les écrivains français sont de ce point de vue décevants. En 1897, quand il rencontre pour la première fois André Gide, de passage à Bruxelles, son enthousiasme est grand et il croit avoir décelé une connivence, mais il s’est trompé : Corydon est loin encore et Gide ne lui en fera jamais l’hommage…
Quand il est trop déçu, Georges Eekhoud se réfugie parmi les païens anglais du XVIème siècle, qu'il traduit ou commente : « J'ai porté avant-hier la fin de ma traduction de Philaster chez Monnom ; je l'avais terminée lundi. Oh le plus pur chef-d'œuvre de souffrance, de sacrifice et de bonté : c'est bien dans ce monde que je trouve quelques contemporains » écrit-il, à son ami Sander Pierron ( p.121).

Par ailleurs, il existe depuis une trentaine d’années des livres où sous couvert d’analyse médicale on parle de ceux qu’on appelle les uranistes. Dans le silence hypocrite des pays puritains les cas qu’on y décrit, les douleurs qu’on y évoque touchent bien des solitaires. C’est pour cette raison que, dans la bibliothèque d’Eekhoud, on trouve la traduction française de 1895 de la Psychopatia sexualis de Richard Krafft-Ebing. Il en a coché de nombreux passages tantôt avec le côté bleu, tantôt avec le côté rouge de son crayon bicolore. On y trouve aussi des livres d'Havelock Ellis, d'Otto de Joux, d'Albert Moll, et enfin de Carl Heinrich Ulrichs. À quoi il faut ajouter Les Annales de l'unisexualité, de Raffalovich, des exemplaires de Sexual-Problem, revue dirigée par Max Marcuse ou encore d’Anthropophytheia publiée sous la direction du docteur F.S. Krauss de Vienne. On trouve encore des numéros des Archives d'anthropologie criminelle de médecine légale du docteur Alexandre Lacassagne et d'Archiv für Kriminal-Anthropologie und Kriminalistik. C’est que Georges Eekhoud, du fait de ses études en Suisse, lit parfaitement l’anglais, mais aussi l’allemand, chose rare, à l’époque, chez les lecteurs francophones : qu’on songe au temps que, pour cette raison, l’œuvre de Freud mettra à pénétrer en France. Eekhoud est informé des débats qui ont lieu en Allemagne depuis le milieu du siècle à propos de ce qu’on se met à appeler l’homosexualité. Deux grands courants s’y manifestent parfois antagonistes, parfois stratégiquement unis. Le premier, plus poétique, est animé par Adolf Brand. Pour lui homosexualité et anarchie vont de pair : il y a lieu d’affirmer le droit de l’individu sur son propre corps et de refuser toute intervention de l’État ou des Églises. Autour de lui, on trouve des artistes qui refusent la société industrielle, ressentent de la nostalgie pour la liberté de la Grèce antique et sont essentiellement pédérastes. Brand fonde la revue Der Eigene en 1896. Le titre doit beaucoup au livre de Max Stirner Der Einzige und sein Eigentum. Eekhoud connaît l’œuvre de Stirner qui, comme lui, écrit dans la revue La Société Nouvelle de Fernand Brouez, le méconnu. C’est à l’intérieur de Der Eigene que se développe la notion de « Lieblingsminne ». Brand fonde aussi en 1903 la « Gemeinschaft des Eigenen » avec Benedict Friedländ qui à son tour est un des fondateurs du Jung-Wandervogel. Chez les Wandervogels, l’amour de la nature parcourue, sac au dos, va de pair avec l’amour du peuple et le patriotisme. Tout cela se retrouve dans l’œuvre d’Eekhoud. En 1906 paraît dans Der Eigene « Une mauvaise rencontre », et, en 1907, « Le Suicide par amour », deux nouvelles d’Eekhoud traduites par Richard Meienreis.

Mais depuis 1895 et la condamnation d’Oscar Wilde à deux ans de travaux forcés, les temps portent aussi à la militance. L’unification de l’Allemagne a entraîné la généralisation de l’article 175 du code pénal prussien qui criminalise les relations homosexuelles. En mai 1897 le docteur Magnus Hirschfeld fonde à Berlin le Wissenschaftlich-humanitäre Komitee ou WhK., dont la devise est « per scientiam ad justitiam ». Son but immédiat est de militer pour l’abolition de l’article 175 par une série de pétitions adressées aux pouvoirs publics. En fait, c’est le premier acte d’une longue histoire de l’abolition, à travers le monde, des mesures de discrimination qui visent les homosexuels et de la reconnaissance de leur identité propre. Cette reconnaissance passe d’abord par l’acceptation et la valorisation de leur image à leurs propres yeux. Au départ de l’action d’Hirschfeld, il y a le suicide d’un de ses proches. Ce n’est pas le lieu d’écrire cette histoire, mais on peut comprendre qu’Eekhoud, qui ne trouve pas d’interlocuteur en Belgique ou en France, se soit intéressé passionnément à l’action de ce comité, dont il a eu connaissance très tôt. Dans ses mémoires publiées en 1922-23, Hirschfeld évoque Eekhoud dans le chapitre intitulé « Les fondateurs du WhK et les premiers membres » Dans d’autres chapitres, il évoque la visite rendue à Eekhoud en 1904 et leurs promenades dans les quartiers à voyous. Dans la bibliothèque d’Eekhoud on trouve deux livres de Magnus Hirschfeld, celui de 1904 porte la dédicace « À Georges Eekhoud, en signe de remerciements sincères pour le beau livre L'Autre Vue et en témoignage fidèle ». En 1897, le comité entreprend la publication régulière de ce qu’on traduit généralement par « Annales des sexualités intermédiaires et en particulier de l'homosexualité ». C’est dans ce « Jahrbuch » qu’Eekhoud va être salué par des intellectuels comme un écrivain qui parle de l’homosexualité avec sincérité et talent. En 1900, en préface à un article en français signé par Eekhoud, Eugen Willem, juriste Starsbourgeois et membre influent du comité, écrit dans les « Annales », sous le pseudonyme de Numa Praetorius, une longue présentation, très orientée, de l’œuvre de Georges Eekhoud. On y lit que « Cette manière d'appréhender l'homosexualité à travers la littérature, cette percée au cœur de l'amour uraniste, c'est précisément ce qui rend l'œuvre d'Eekhoud précieuse en même temps qu'indispensable pour quiconque s'occupe de la question de l'amour antiphysique. » […] Il établit alors le catalogue détaillé des nouvelles d’Eekhoud explicitement homosexuelles.

Évoquant enfin Escal-Vigor, roman paru en 1899, il dit : « c'est peut-être le plus beau roman uraniste. […] On y décrit l'amour qu'un jeune comte paré de toutes les vertus de l'esprit et du corps, voue à Guidon, simple garçon de la campagne. […] En même temps, le roman nous donne à voir les combats et les tourments de l'âme par lesquels doit passer un homosexuel avant d'être en mesure de reconnaître sa nature et de comprendre que son amour est légitime.[…] Partout le comte se heurte à la méfiance, la calomnie, la méchanceté et la haine […] Une grandiose scène finale, haute en couleurs, dépeint la fin tragique de l'être aimé. Durant un jour de liesse populaire où la sensualité du peuple célèbre de véritables orgies, il est tué par des femmes en furie, de véritables bacchantes »

Escal-Vigor est, dans l’œuvre d’Eekhoud, un roman exceptionnel. L’action ne se situe pas dans tel ou tel village ou dans un faubourg identifiable, mais dans une île à la fois imaginaire et parfaitement inimaginable tant les contraires s’y côtoient. Henry de Kehlmark, le héros est noble et le roman est placé sous l’égide de Conradin et de Frédéric de Bade. C’est avant tout un roman érastique : l’unique objectif d’Henry est l’éducation de son aimé par l’art et le sport, dans la pure tradition grecque ou dans celle des collèges anglais. Il veut faire de cet être élu un être exceptionnel pour partager avec lui un amour sublime. Seule, dans Escal-Vigor, la souffrance est bien réelle, mais pas assez forte pour faire taire l’ultime proclamation : « Si j’avais à revivre, c’est ainsi que je voudrais aimer dussé-je souffrir autant et même plus que je n’ai souffert ». (p. 261). Une machination se met en place, le livre qu’on n’a pu voir en vitrine à Bruxelles est trouvé chez un libraire de Heist-sur-mer et l'auteur est appelé à comparaître devant la Cour d'Assises de Bruges, les 25, 26 et 27 octobre 1900. La presse est partagée. Les écrivains belges et français se mobilisent à l’annonce du procès au nom de la liberté de l’Art. Eekhoud est accusé d’outrage aux bonnes mœurs. Une lettre à Valère-Gille, convoqué comme témoin, montre sur quels arguments il entend construire sa défense : « Est-il besoin de vous dire que mon intention en écrivant Escal-Vigor a été uniquement de dépeindre le phénomène douloureux de l'amour entre hommes, n'impliquant aucune pratique ordurière, mais promptement interprété par la foule comme une affection matérielle contre-nature, supposition calomnieuse qui n'a manqué à aucun des grands hommes qui se sont trouvés dans ce cas et dont j'ai voulu conter l'histoire en la plaçant dans un milieu que j'aime et avec des personnages analogues à tous ceux de mes autres œuvres. » Eekhoud est acquitté, mais dans l’opinion publique belge les dégâts sont réels. En France, le livre connaît un succès de scandale et les réimpressions se succèdent. En Allemagne « la cause » a trouvé son martyr et les témoignages d’intérêt ou de sympathie affluent. La traduction en allemand sort en 1903. Le Journal d’Eekhoud, muet de 1899 à la fin de 1901, permet toutefois d’affirmer qu’en janvier 1902 Eekhoud travaille déjà à ses « voyouteries ». Le livre sort en 1904 sous le titre L’autre vue pour devenir ensuite Voyous de velours ou L’Autre vue, livre que nous avons déjà évoqué, puisque son héros est le même que celui de La Nouvelle Carthage. On peut affirmer que le procès de Bruges n’a pas cassé la plume d’Eekhoud. Dans L’Autre vue il n’est pas question de proclamer que la nature de l’homosexuel est « juste ou légitime » mais de donner voix au désir, de le laisser s’exprimer avec jubilation. Nulle part ailleurs, les fantasmes d’Eekhoud ne sont mieux visibles : son amour pour une race d’hommes dont les caractéristiques sont révélées par le velours chatoyant, odorant, maculé, torturé de leur culotte de peine érigée en fétiche. Cette fois la littérature y a gagné, mais l’homme, l’artiste, le notable est définitivement discrédité aux yeux de ses compatriotes. « J'avoue que des livres de ce genre me paraissent sortir des limites de l'art. Ce sont les confessions d'un malade bien plus que les impressions d'un artiste » écrit un ami de Georges Eekhoud, dans L’Art Moderne. (Georges Rency 1905 p.44).

Nous sommes en 1905, Freud publie ses Trois essais sur la théorie sexuelle. S’il n’y voit plus l’homosexualité comme un crime qu’il faut condamner, il la considère comme un déficit sexuel. En Angleterre comme en Allemagne elle reste un crime, tous les efforts des partisans de la révision de l’article 175 ont échoué. S’est ouvert alors le temps des grands procès. Fritz Krupp harcelé par les accusations s’est suicidé en 1902, le général Hector Mac Douglas a fait de même en 1903. En 1907 éclate l’affaire Eulenbourg qui éclabousse tout l’entourage de Guillaume II. En 1909 se tient, à Paris, le procès Renard qui, de son propre aveu, incitera Gide à écrire Corydon. Eekhoud fait régulièrement allusion dans son Journal à ces sujets qui l’affectent gravement et conserve des coupures de presse. Le 15 février 1909, il écrit dans son Journal : « Tous ces jours-ci j’étais bien triste, bien énervé ! Le plus désespéré n’est-ce pas l’homosexuel ! »

Ainsi se déroulent, de manière morose, les dix années qui le séparent de la première guerre mondiale pendant laquelle s’imposera à lui le terrible devoir de haïr ceux qui l’ont aidé à se connaître et lui ont donné fugacement l’impression d’appartenir à une grande fraternité. Ses prises de position nuancées à l’égard du mouvement flamand soutenu par les Allemands, lui vaudront en 1918 d’être destitué de toutes ses charges, y compris celles qui lui permettent de subvenir à ses besoins. Le Mercure de France lui ferme sa porte pour ne pas être affecté par des querelles entre Belges. Les réhabilitations seront bien tardives, l’homme est usé et incapable de bénéficier de l’embellie des années 20. Rien ne dit d’ailleurs qu’il aurait trouvé son compte dans ce grand bal où les masques s’ajustent de plus en plus près et où quelques feux de joie annoncent déjà les grands bûchers du fascisme.

Bibliographie 

Georges Eekhoud Les Milices de Saint-François, (Bruxelles, Imprimerie Vve Monnom, 1886). Georges Eekhoud, Cycle Patibulaire, deuxième série, (Bruxelles, La Renaissance du livre, 1927). Mon bien aimé petit Sander. Lettres de Georges Eekhoud à Sander Pierron. Texte établi et annoté par Mirande Lucien, (Lille, Cahiers G.K.C .,1993). « Georges Eekhoud Ein Vorwort » par Numa Praetorius in Jahrbuch für Sexualzwischenstufen mit besonderer Berücksichtigung des Homosexualität, 1990, pp. 268-277. Traduit par Charles Adam pour Un illustre uraniste, (Lille, Cahiers G.G.C.,1996). Georges Eekhoud, Escal-Vigor (Paris, Séguier « bibliothèque décadente »,1966). Mirande Lucien, « Georges Eekhoud », in Bulletin des amis d’André Gide, XXI,97, pp. 78-85. Mirande Lucien, Eekhoud le rauque (Lille, Presses universitaires du Septentrion « collection Objet »,1999). Le Journal de Georges Eekhoud est inédit et se trouve à Bruxelles aux AML

Mirande LUCIEN - 2003




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