publié dans la Revue H, n°5/6 1997
"De l'ouverture du ghetto à la dépolitisation.
Les festivals de films gais et lesbiens en France en questions"
Olivier Jablonski
La quatrième édition du Festival de films gays et lesbiens de Paris[1] et la sixième de Question de genre[2] vont bientôt avoir lieu. Le temps passe, les festivals s'accumulent. Seulement quatre éditions du festival de Paris, alors que celui de Londres en est à sa 11e édition. Nous pourrions penser qu'il n'y a rien eu avant 1994, date de la première édition du festival à l'American Center, mais la réalité n'est pas ainsi. Et lors de la grande époque militante des années 70, le cinéma n'est pas resté dans le placard.
La réalisation d'un film à thématique homosexuelle ne s'est jamais faite sans problèmes, sauf évidemment pour la Cage aux folles et autres grosses productions. De la modification du scénario par la transformation de l'identité sexuelle ou de l'orientation sexuelle des personnages jusqu'à la disparition complète de toute trace d'homosexualité, toutes les possibilités ont été explorées par l'industrie cinématographique. Ainsi dans Inside Daisy Clover de Robert Mulligan (1976) adapté du roman et du script de l'Anglais Gavin Lambert, le personnage principal était homosexuel. Mais sous la pression de l'acteur qui tenait le rôle, Robert Redford, ainsi que celle du réalisateur-producteur, Lambert apporta les modifications nécessaires afin que le personnage soit bisexuel. Mais au cours du montage du film, cette bisexualité disparut progressivement pour n'apparaître plus qu'à l'état de vague soupçon[3]. " It is better to be straight "[4] nous dit Vito Russo. C'est ainsi que l'adaptation cinématographique d'un grand nombre d'homosexuels célèbres refoule leur homosexualité. Valentino, Michel Ange, Cole Porter, Alexandre le Grand et Christian Andersen deviennent tous hétéros ! Dans Crossfire[5], adapté du roman The Brick Foxhole de Richard Brooks, le sujet devait traiter de l'homophobie dans l'armée, mais c'est finalement d'antisémitisme dont il est question. La victime assassinée, un décorateur, n'est plus homosexuelle mais juive. Ces modifications sont très nombreuses au cinéma. Ces formes de" censure " concernent généralement des films grand-public. Pour des petites productions, d'autres problèmes peuvent survenir, comme tout simplement celui de trouver un public. Les associations homosexuelles souvent réfléchissent à cette question en organisant des séances de projection ou des festivals à thématique homosexuelle. C'est principalement dans les années 70 que s'est cristallisée cette conscience en liaison avec un travail sur le quotidien, sur les différentes formes d'enfermement que subissaient les homosexuels relégués dans des espaces marchands comme les saunas, bars et boîtes aux prix d'entrée trop élevés ou les lieux publics trop dangereux comme les pissotières et les jardins publics. Les festivals permettaient d'autres possibilités de rencontres pour d'autres buts. Sortir de l'aliénation, construire une culture, penser le politique, telles étaient leurs vocations.
C'est donc dans un contexte d'intense militantisme homosexuel politique que les Groupes de Libération Homosexuelle (G.L.H.) organisent régulièrement à Paris et en province des projections (comme par exemple celle d'Un Chant d'amour de Jean Genet en 1975). En 1977, les choses commencent à se préciser. En avril, l'Olympic, le cinéma de Frédéric Mitterrand, propose une semaine sur le thème des homosexualités, organisée par le G.L.H. Politique et quotidien (G.L.H.P.Q.)[6], la tendance folle radicale. Projections et débats se succèdent avec des thèmes comme les travestis, le ghetto, l'homosexualité latente, la pédérastie et le lesbianisme. On y voit The Queen, Scènes de chasse en Bavière, Les Désarrois de l'élève Toerless, Les Amis. La semaine est couverte tous les jours par Libération. C'est un succès. Il y a plus de 5 000 entrées selon le journal.
En juillet 77, dans le cadre du festival de La Rochelle, où Lionel Soukaz participe activement, sont présentés pour la première fois en France des films inédits de jeunes réalisateurs dont la thématique est axée sur l'homosexualité[7]. Boxing Match[8], La Vie parisienne[9]et I want a Girl[10] d'Isabel Mendelson, More, more, more[11] de Wallace Potts, Les Oiseaux de la nuit[12] de Luc Barnier et Alain Lafargues, La Banque du sperme[13] de Pierre Chabal et Philippe Genet, Le Sexe de anges[14] et Boy friend 2[15] de Lionel Soukaz, ... Ce dernier décrit bien l'atmosphère de l'époque : " [...] je tournais Boy Friend 2 et Le Sexe des anges et je connaissais des amis cinéastes qui travaillaient sur des projets similaires. Je me rendis à l'étranger afin d'y effectuer des recherches. [...] Dans certains pays, je découvris un mouvement semblable à celui qui prenait corps en France . Il y avait une même volonté : montrer une autre vision de l'homosexualité. [...] Une vision différente de celle d'Hollywood où l'on ne voyait l'homosexuel qu'à travers un regard moralisateur ou psychanalytique. [...] Là-bas, l'homosexualité comme l'alcoolisme, était considérée comme un fléau social. "[16] Ainsi donc, le festival de La Rochelle se proposait de renouveler la représentation de l'homosexualité au cinéma en réunissant les films précédemment cités sous le titre Ciné, pédé, gouine, et les autres. Mais cette dénomination sera refusée par la municipalité[17]. Les films furent donc diffusés dans le programme Cinémarges et sous un autre à connotation psychopathologique : Images de déviances. Néanmoins, c'est l'occasion pour le public et la presse de connaître " des films qui avaient été réalisés par des homosexuels dans l'année même et qui présentaient l'homosexualité telle qu'elle est pratiquée et telle qu'elle est vue par les principaux intéressés. "[18] Le vent souffle favorablement sur ce genre de productions, hors des grands circuits commerciaux et au ton résolument nouveau. En septembre 77, au festival d'Hyères d'autres films sont présentés comme Le Gant de l'autre[19] de Michel Nedjar, La Cité des 9 portes[20] de Stéphane Marti et L'Enfant qui a pissé des paillettes[21] de Thomadaki et Klonaris. Ces deux derniers films obtiennent des prix du Jury. La même chose se reproduit en octobre 1977 où Le sexe des anges obtient un label de qualité au festival de Belfort. Le terrain est donc favorable pour l'organisation d'un vaste deuxième festival homosexuel.
Il aura lieu du 16 au 31 janvier 1978 à la Pagode[22] à Paris. La Quinzaine de cinéma homosexuel organisée par Lionel Soukaz et animée par le G.L.H.P.Q. propose plusieurs programmations : Ecrans roses et nuits bleues, " Images de la différence, Autres désirs, pour des classiques (Un Chant d'amour, Kiss my Hustler[23], Pink Narcissus[24]...), des reprises (Blues Jeans[25], Sebastiane[26]) et des inédits (La Tasse[27], In Contextus[28], Le Pompier[29]...). En tout, plus de cinquante films sont à l'affiche, mais il y a aussi les débats politiques dont ceux sur les travestismes sociaux, le corps légiféré, la pornographie, la pédophilie, la sexualité des enfants, la drague et les luttes. La manifestation est annoncée dans Libération et ainsi que dans la presse gaie de l'époque. La quinzaine se déroule très bien quand au bout de dix jours, Michel d'Ornano, alors ministre de la culture et de l'environnement de Giscard interdit à la projection plus de 17 films prévus au festival.
" M. d'Ornano, ministre de la Culture anti-pédés et de l'Environnement sans tapettes, s'est offert le 'Premier festival international du Cinéma Homosexuel'. Monsieur d'Ornano venait de fouiller dans les poubelles de l'histoire du cinéma. Et en sortait une pratique qui y était bien planquée: pour la première fois depuis Pétain, un festival n'obtenait pas de dérogation spéciale. " écrit Charlie Hebdo[30]. Le ministre, député en campagne législative, dans le 7e arrondissement refuse pour des motifs administratifs la dérogation accordée à chaque festival permettant la diffusion de films sans visa d'exploitation cinématographique. Les organisateurs du festival n'auraient pas envoyé à temps leur demande, ce qu'ils contestent. En effet, " Un mois avant l'ouverture, les organisateurs avaient envoyé au C.N.C. [...] le programme du festival. Pas de réponse. Le 15 janvier, on leur demande de fournir une seconde liste, avec demande de dérogation. Dérogation, rappelons-le, automatiquement accordée pour les films sans visa de censure programmés en festival [...] Pas de réponse. En général, cela veut dire que la dérogation va de soi. Jeudi 26, après 10 jours d'affluence et de débats, arrive une notification d'interdiction pour tous les films sans visa [...] signée par M. Léger, directeur du cabinet du ministre soi-même (on a sauté par - dessus le C.N.C.) "[31] Tout le monde est étonné. L'événement frise le ridicule quand on s'aperçoit que parmi les films interdits, Saint Genet, poète et martyr[32] de Guy Gilles a été diffusé à la télévision en 1975, que Pink Narcissus avait déjà été projeté en salle à Paris, sans provoquer de remous, et que d'autres films sans visa, avaient obtenu des dérogations dans les festivals de la Rochelle, d'Hyères et de Belfort et même des prix. Certains ont obtenu le label de qualité par le C.N.C. Il semble que ce refus du ministère n'ait pas de précédent. Un Chant d'amour de Jean Genet est interdit lui aussi, alors qu'il était souvent vu comme les films de Warhol dans les salles d'art et d'essai et les ciné-clubs ! Le G.L.H. réagit en publiant un communiqué pour noter que le ministre, par cette décision " tout autant arbitraire que ridicule " conteste en fait à la Quinzaine homosexuelle sa nature de festival cinématographique. " Le caractère homosexuel de la manifestation rendrait donc caduc sa légitimité culturelle et cinématographique "[33] ajoute-t'il.
Il ne s'agit pas en fait d'une attaque contre la parole homosexuelle au cinéma, mais d'une manoeuvre à caractère politique. Le G.L.H. venait de se lancer dans la campagne législative de 1978. Selon Jacques Girard auteur de Le mouvement homosexuel en France, le but de cette campagne était de " donner la parole aux homosexuels, interroger les candidats des différents partis, demander la suppression des lois discriminatoires et le droit pour les mineurs de vivre leurs sexualité [...][34] " Girard ajoute qu'il s'agissait de profiter d'une tribune [ i.e. La Pagode] pour faire parler les homosexuels, et " pour amplifier et faire résonner cette campagne. " Le festival sera sur ce point une réussite, car dès le jour de la réception de la lettre du ministère, les ennuis s'accumulent ce qui permettra à la presse de couvrir abondamment les événements. Tout d'abord, une nouvelle attaque provient de la force publique. La Police judiciaire se faisant passer pour le C.N.C. débarque l'après-midi du vendredi 27 janvier à la Pagode. Elle pénètre dans la cabine de projection pour vérifier qu'il ne reste aucune des copies des films " interdits ". Elle reste ensuite pour continuer sa surveillance tandis que, dehors, les R.G. sont présents, " laborieux, discrets, méticuleux ". Le soir, durant la projection du Droit du plus fort et sous le regard impassible de la police qui est encore dans la cabine de projection, une vingtaine d'individus masqués et armés de barres de fer, un commando d'extrême droite, Jeune Nation (ex GAJ), pénètre dans le hall, le saccage et agresse les personnes présentes. Ils entrent ensuite dans la salle en hurlant, jetant des gaz lacrymogènes et des poches de peinture rouge : " Mouvement de panique parmi les 200 personnes. Certaines sont piétinées tandis que d'autres réussissent à atteindre la sortie de secours donnant sur le jardin. Là, une autre partie du commando les attend, les frappe avant de se replier vers la sortie du jardin donnant sur la rue. "[35] L'opération dure deux minutes. Bilan de l'opération: six personnes matraquées dans le hall, quatre hospitalisées dont Guy Gilles. " Les agresseurs ont pris la fuite sans se presser, et en toute impunité "[36] raconte le réalisateur et Charlie Hebdo commente : " Quand Jeune Nation sort le soir, sa maman lui met sa cagoule et il prend sa barre de fer. Généralement il tape dans le tas. Là, il a aussi tapé dans la caisse. (5 000 francs) "[37] Le lendemain, une délégation menée par Guy Hocquenghem se rend au ministère de la culture pour remettre une pétition du G.L.H. signée par diverses personnalités (Michel Foucault, Gilles Deleuze, Jean-Louis Bory, ...) afin de protester contre la répression des homosexuels et demander la levée immédiate de la censure. Voici le compte-rendu qu'en donne le quotidien Le Matin[38] :
- Nous voulons voir le ministre de la culture.
- Il n'y a personne de responsable, prenez rendez-vous.
- On attendra
* 14h50. Irruption d'un homme en imperméable.
- Je suis le commissaire de police du centre n°1. Sortez ou on vous emmène.
Entrée d'une quarantaine d'hommes en bleu. " On " traîne la délégation jusqu'au car. "
Soukaz, Hocquenghem, René Schérer, André Glucksmann, un journaliste du Matin et un du Monde sont arrêtés. Au même moment, un rassemblement au jardin des Tuileries est dispersé par la police.
Le soir, pour continuer la protestation, les militants du G.L.H. décident de préparer une autre opération. " Les membres du G.L.H.P.Q. tentent de déchirer le ghetto qui les enferme. Samedi soir, à minuit, ils ont décidé d'informer les homosexuels là où ils sont, dans une des rues de leur ghetto, rue Saint-Anne "[39]. Une centaine de participants du Festival se déplace. " On distribue des tracts, des groupes de discussion se forment sur les trottoirs pleins d'homosexuels habitués de cette rue connue pour ses nombreuses boîtes de nuit. "[40] Vers une heure du matin la police arrive. S'ensuivent des heurts quand les flics interpellent les porteurs de la banderole " Ras-le-bol des agressions anti-pédé ". Les manifestants s'assoient devant le car de police. Les policiers réagissent en lançant des gaz paralysants et matraquent allègrement. Huit personnes passeront la nuit au poste et deux manifestants seront inculpés sur témoignage policier de violence et fait à l'encontre de forces de l'ordre. " Samedi soir enfin, la police a bougé. Quand elle veut taper, elle sait où frapper. Les pédés en savent quelque chose. "[41] continue de commenter Charlie Hebdo.
Le festival de la Pagode a donc été le lieu d'une confrontation brutale avec la politique réactionnaire de la droite giscardienne qui se crispe sur les questions sociales et morales et s'inquiète de l'irruption des questions homosexuelles à l'intérieur du champ politique. C'est au même moment que celle-ci décide, l'interdiction à la vente aux mineurs et à l'affichage de plusieurs revues homosexuelles masculines dont Olympe, In, Incognito magazine, Dialogues homophiles[42], Dialogue Men's et Gaie Presse.[43] Le pouvoir se raidit et le festival se trouve au coeur du cyclone. Mais lors du débat de clôture, le 31 janvier, " la décision est prise. Les candidatures homosexuelles seront maintenues. " Luc Bernard du Quotidien de Paris peut conclure : " Tout se passe comme si l'homosexualité était acceptée tant qu'elle se cachait, tant qu'on pouvait l'ignorer. Et qu'en revanche, la candidature aux élections législatives de 5 homosexuels provoque quelques remous ". Le festival sera également le lieu d'une autre initiative, celle de la création des Comité Homosexuels d'Arrondissement, d'où sortira la revue Masques, et qui soutiendra les candidats.
Outre la discussion sur les relations conflictuelles avec les autorités françaises, un autre problème politique surgit lors de ce débat. Les lesbiennes reprochent aux organisateurs de la quinzaine que celle-ci soit organisée uniquement pour un public d'homosexuels masculins[44], ce qui est effectivement flagrant à la lecture du programme des films diffusés. Les articles de presse de l'époque ne nous donnent pas la réponse des organisateurs. Nous savons que les rapports entre hommes et femmes étaient problématiques à l'intérieur du G.L.H.P.Q, même si à ses débuts, il se voulait mixte. En outre, " les filles étaient minoritaires " note Jacques Girard et dans la période qui nous intéresse, " la mixité sera même remise en cause; avec l'argumentation suivante : en l'absence de désirs et de vécus communs, la mixité n'a pas de raison d'exister, elle est le produit d'une volonté moralisante, peut-être même d'une conception hétérosexuelle qui veut que les hommes vivent à côté des femmes " ajoute Girard. C'est donc ailleurs que se concrétisent les initiatives lesbiennes au cinéma. Il faut noter que dès le milieu des années 70, les lesbiennes étaient plus impliquées dans les mouvements de femmes et les manifestations féministes où les films lesbiens étaient très présents (festival Musidora en 1974 et Festival international de films de femmes de Sceaux dès 1978, à forte participation homosexuelle) . Et ce n'est que vers la fin des années 70 et au début des années 80 que le processus de prise d'autonomie vis-à-vis des mouvements féministes et homosexuels masculins, accompagné de conflits violents, sera suffisamment avancé pour permettre des initiatives lesbiennes, sans subvention, à dynamique interne. Dans la presse, c'est l'apparition de MIEL[45] en 81, de Lesbia en 82 et des Archives Lesbiennes vers 83/84. Vers 1984, il existe un ciné-club géré par l'association Saphonie qui donne ensuite naissance au festival dont la première est organisée en 1989 à l'Entrepôt avec comme titre Semaine de films et de vidéos de réalisatrices. En 1991, le festival est repris par l'association Cinéffable et devient " Quand les lesbiennes se font du cinéma ".
En Province, les festivals se succèdent avec plus ou moins de succès. L'on peut noter le festival national homosexuel de Rennes intitulé " autres paroles d'un autre désir " en 1979, organisé par le G.L.H. local. Du fait de l'interdiction de prêt d'une salle par le conseil admnistratif de la Maison des Jeunes et de la Culture de la ville, le G.L.H occupe les lieux et projette ses films dont certains sur l'homosexualité féminine. La police intervient pour se contenter de vérifier les visas de censure des films et qu'il n'y a pas de mineurs dans la salle.
A Paris, malgré le succès des quinzaines homosexuelles de 77 et 78, l'essai ne se transforme pas en manifestation annuelle régulière. Les festivals sont trop dépendants des groupes militants homosexuels. La disparition du G.L.H. emmène avec lui l'avenir de la forme festival. L'Olympic, puis son successeur l'Entrepôt organiseront régulièrement des projections dont celle des " Ecrans gais " de 1986 qui reçut une interdiction au moins de 18 ans. Le festival Amours masculines au cinéma Le Marais en avril 1981 sera organisé par le Centre pour des Initiatives Culturelles et Artistiques (C.I.C.A.) avec une projection essentiellement axée sur des long-métrages, comme L'Escalier, La Cravache, Un Goût de miel, Johan, carnet intime d'un homosexuel, Race d'ep, Nous étions un seul homme, et un débat qui conclut l'époque très politisée des années 70 " 10 ans de mouvement homo en France ".
Il faudra attendre les années 90 pour revoir à nouveau des manifestations plus régulières comme le festival Question de genre organisé à Lille à partir de 1991 par Patrick Cardon, qui tenait déjà en 78 le ciné-club d'Aix en Provence et le festival de films gays et lesbiens de Paris dont on connaît les vicissitudes (problème de salle et manque de reconnaissance nationale et internationale) et dont les dernières éditions ont bien montré qu'elles étaient parfaitement dépolitisées. Pour la programmation, c'est l'approche auteur qui est favorisée à Paris, alors que notre époque n'est pas sans problèmes politiques concernant l'agenda homosexuel gay. En dehors d'Act-up, les associations ne sont pas présentes et les débats sur le plan intellectuel ne décollent pas vraiment. L'année dernière par exemple, un seul débat est programmé sur les représentations du Sida en France et en Grande-Bretagne qui se focalisa principalement sur l'action d'Act-up. La question de la représentation ne se limite pas à son action en direction des médias. Il était regrettable que d'autres débats ne soient pas proposés pour répondre aux nombreux films présentés comme gays dont les narrations frisaient trop souvent avec l'homophobie ou l'homosexualité refoulée comme dans Marching into Darkness de Massimo Spano. Deux documentaires intéressants Camarades gays, lesbiennes et bi sur l'homosexualité en Chine et Gay Bombay sur les gays et lesbiennes d'Inde posaient aussi d'intéressantes questions dont celle de l'importation de concepts homosexuels occidentaux (l'homosexualité gay ) dans une société où les pratiques existaient depuis bien longtemps mais sous d'autres noms. Ce genre de documentaire mélangeait le militantisme et l'approche distanciée. Une rencontre avec les réalisateurs ou un éclaircissement semblait indispensable.
Pour la nouvelle édition, l'agenda est chargé: nouvelle donne électorale, affaires de " pédophilie ", développement du business gay ... Est-ce qu'un festival gai et lesbien doit être en phase avec ces questions et être un moteur pour la réflexion ? Par le fait qu'il nous présente les homosexualités des pays étrangers, il peut nous amener en outre à réfléchir sur la nôtre, sur ces évolutions et ses interconnections avec la mondialisation des modes de vie gays et lesbiens et des représentations de ceux-ci. En pleine période de discours valorisant le libéralisme économique, il est ahurissant de constater l'indigence des réflexions sur le rapport économie et homosexualités. Le cinéma est traversé par cette question, à la fois du fait de l'énorme augmentation de la production cinématographique gay et queer américaine qui bénéficie maintenant de gros budgets et de l'internationalisation et l'homogénéisation au travers des médias, d'une forme d'homosexualité centrée essentiellement sur les classes moyennes blanches occidentales. Le festival est aussi indispensable pour renforcer les cultures homosexuelles. Nous n'avons pas en France de puissantes " gays studies ". Les éditeurs rechignent à publier sur l'homosexualité. Il est vrai que le cinéma n'est pas mieux loti en France. Nous attendons toujours un Celluloid Closet ainsi que de nouveaux livres sur le cinéma et l'homosexualité[46]. Ceci est révélateur de la faible incidence du cinéma dans le militantisme gai. Mais l'essentiel n'est pas là. Face aux conceptions archaïques de l'ancienne majorité politique sur l'homosexualité (cf. Les propos de Jacques Toubon sur le risque de déclin de la civilisation dû au développement de l'homosexualité), à la timidité de la gauche « centriste » au gouvernement et aux questions nouvelles que soulève la campagne autour des affaires de « pédophilie »[47], il est encore indispensable de reprendre et de continuer les réflexions qui ont animé les générations précédentes de pédés et de lesbiennes. Si en 1978, la quinzaine du cinéma homosexuel avait été au centre de l'affaire des candidats homosexuels aux législatives, cette année, ce fut le SNEG (Syndicat National des Entreprises Gaies) qui s'intéressa au vote gay." Les temps changent. " Le festival de films gays et lesbiens de Paris s'en apercevra-t-il ?
[1] Festival de films gays et lesbiens de Paris : décembre 1994 et 1995 à l'American Center, décembre 1996 à l'Entrepôt à Paris)
[2] 1991: L'homosexualité à l'écran; 1992: Couleurs, sida, Jean Genet; 1994: Sexes et écritures; 1995: 100 ans de cinéma gai et lesbien, 10 ans de prévention; 1996: Sexe et genre; 1997: année européenne contre le racisme ... et l'homophobie. Genre, sexe, race, classe, VIH [exclusion, inclusion].
[3] V. Russo, The Celluloid Closet (Revised edition), Harper & Row, p. 151, 1987.
[4] V. Russo, The Celluloid Closet, cité supra, p. 66. "Il vaut mieux être hétéro".
[5] d'Edward Dmytryk, 1947, Etats-Unis. cf V. Russo, The Celluloid Closet, p. 68.
[6] Le G.L.H. a été créé en juin 1974 par un groupe de jeunes dissidents d'Arcadie (exclus pour" politique ") auquel se sont joints d'anciens membres du F.H.A.R. (Antinorm et groupe Sexpol) en septembre-octobre 1954. Le P.Q., la tendance" révolutionnaire " résulte d'une scission fin 1975.
[7] Voir Lionel Soukaz, " Le nouveau mouvement ", Spécial man n°1: Les dossiers bleus, Cinéma et homosexualité, p. 52-55, 1979.
[8] Super 8, couleur, 15 mn, 1974, France.
[9] 1973, France.
[10] 1974, France.
[11] 16 mm, couleur, 80 mn, 1976, Etats-Unis
[12] 16 mm, couleur, 95 mn, 1977, France.
[13] Super 8, couleur, 20 mn, 1974, France.
[14] Super 8, couleur, 53 mn, 1978, France.
[15] Super 8, couleur, 35 mn, 1974, France.
[16] L. Soukaz, " Le nouveau mouvement ", cité supra, p. 52.
[17] L. Soukaz, " Le nouveau mouvement ", cité supra, p. 54.
[18] P. De Mazières, " Lionel soukaz, cinéaste et organisateur du festival homosexuel à la Pagode ", propos de Lionel Soukaz recueillis par De Mazières, Dialogues Men's, n°25, p. 16, 1978.
[19] Super 8, Couleur, 10 mn, 1977, France.
[20] Super 8, couleur, 70 mn, 1977, France.
[21] 1977, France.
[22] Située rue de Babylone à Paris.
[23] A. Warhol, 1965, Etats-Unis
[24] Anonyme, 78 mn, 1971, Etats-Unis.
[25] H. Burin des Rosiers, 1977, France.
[26] D. Jarman, 35 mm, couleur, 90 mn, 1976.
[27] M. Nedjar, super 8, couleur, 45 mn, 1975, France.
[28] S. Marti, super 8, couleur, 13 mn, 1974.
[29] A.Arrieta, 1977, France.
[30] S. Caster, " Plus on est de folles, plus on rigole ", Charlie Hebdo, 2 février 1978.
[31] Hocquenghem Guy et André Glucksman, " La reine Victoria a encore frappé ", Le Monde, Mardi 7 février 1978.
[32] 16 mm, couleur, 23 mn, 1976, France.
[33] Le Monde, 28 janvier 1978.
[34] J. Girard, Le mouvement homosexuel en France 1945-1980, p. 144, Syros, 1981.
[35] Libération, 30 janvier 1978.
[36] Le Quotidien de Paris, 30 janvier 1978.
[37] Charlie Hebdo, 2 février 78
[38] Le Matin, 4 février 1978.
[39] L. Soukaz dans P. De Mazières, " Lionel soukaz, ", cité supra, p. 16.
[40] Libération, 30 janvier 1978.
[41] Charlie Hebdo, 2/2/78
[42] Pour ces revues: arrêté du 31 janvier 1978.
[43] Pour ces revues: arrêté du 1er mars 1978.
[44] Dialogue Men's, n°25,1978.
[45] Mouvement d'Information et d'Expression des Lesbiennes.
[46] Les deux livres les plus complets datent déjà du début des années 80: " Cinémas homosexuels ", CinémAction, n°15, 1981 et L'homosexualité à l'écran de Bertand Philbert, Henri Veyrier, Paris, 1981.
[47] Voir à ce sujet le numéro 59 de la revue Infini sur « La question pédophile », automne 1997.
Copyright Olivier Jablonski © 1997