Intervention au colloque

"Les unions de même sexe, quelle reconnaissance légale?"

organisé par le Syndicat des avocats de France (S.A.F.)

et l'Université Paris 10 Nanterre, 12 juin 1998.

 

Le PACS : innovation ou sous-mariage ?

Marianne Schulz

Depuis l’apparition de la proposition de loi de partenariat civil (1990), force est de constater une inflation des propositions de loi tendant à accorder des droits aux paires formées de deux personnes qui ne veulent ou ne peuvent se marier. Après le CUC, le CUS et le CUCS [1], trois propositions sont aujourd’hui remises au garde des Sceaux : l’extension du concubinage sans discrimination à tous les couples et augmentation des droits en découlant [2], le Pacte d’intérêt commun issu de la mission justice et droit présidée par le professeur Hauser, et le Pacte civil de Solidarité, synthèse élaborée à partir de 3 propositions de loi déposées à l’Assemblée Nationale (CUS, CUCS et proposition relative aux droits des couples non mariés) remise le 28 mai par les députés Patrick Bloche et Jean-Pierre Michel à Catherine Tasca, présidente de la commission des lois. Si elles se différencient par leur approche du phénomène sociologique de la vie hors mariage et les solutions préconisées, ces trois propositions présentent quelques similitudes : elles s’appliquent indifféremment aux hétérosexuels et aux homosexuels, et elles éludent le débat autour de la question controversée de la filiation homosexuelle.

 

On ne s’étendra pas sur le PIC, mission qui fut instituée par l’ancien garde des Sceaux Jacques Toubon et maintenue par Madame Guigou ; on en retiendra simplement qu’il se propose d’éliminer la charge idéologique liée à la question en réglant uniquement les relations pécuniaires et patrimoniales de deux personnes physiques vivant en commun, réduisant la relation de couple à une unité économique et patrimoniale, gommant ainsi toute reconnaissance symbolique du lien homosexuel. Dans cette logique, il est tout naturellement inséré dans le livre troisième du code civil, entre les sociétés et le prêt, et se veut détaché de toute référence au mariage et de signification personnelle ; par exemple, il est précisé qu’en matière fiscale il convient d’" innover afin de ne suggérer aucun rapprochement avec le mariage " ; est ainsi créé un nouvel abattement personnel de 150 000 F qui " présente l’avantage de ne suggérer aucun des abattements existants ". Mais le PIC, malgré ces précautions, va au delà de la question des biens, et fait découler de la conclusion de ce pacte sous seing privé à vocation financière des droits personnels, en matière sociale (par exemple bénéfice de la pension de réversion ...) et civile (entre autres adoption pour les couples hétérosexuels) au risque de créer une confusion juridique totale entre droit des biens et droits des personnes.

 

Face à cette surenchère de propositions, on constate une inflation des commentaires doctrinaux [3] et des prises de positions politiques [4], véritable offensive dont l’objectif, derrière la défense du mariage civil et républicain, est bien de dénier tout droit au couple homosexuel à bénéficier d’une reconnaissance et d’une protection légale.

 

Dans ce contexte de radicalisation des oppositions, il devient difficile de critiquer - même dans un esprit positif de voir enfin le couple homosexuel reconnu pour ce qu’il est - des projets porteurs d’espoir pour de nombreux homosexuels, sous peine d’être accusé de faire le jeu de l’ennemi, lequel ne se prive d’ailleurs pas d’utiliser et de détourner à son profit les réserves qui peuvent être formulée [5].

 

Le projet de Pacte civil de solidarité s’est substitué au CUS et CUCS et constitue la base unique du travail et de la réflexion parlementaires. Davantage centré sur le couple que les propositions antérieures qui visaient aussi de nombreuses formes de solidarité entre deux personnes indépendamment de la nature du lien les unissant, le PACS peut se définir comme un nouveau statut contractuel de la vie à deux ; ni mariage, ni concubinage, le PACS se veut être une troisième voie entre l’union de fait et le mariage. Après avoir vu les innovations du PACS par rapport au CUS [6], sera posée la question de la pertinence juridique d’instaurer un tel statut.

 

 

 

I - Le PACS : un nouveau cadre pour les couples ?

 

Ouvert à deux personnes qui vivent en commun sans autre distinction, le PACS ne concerne pas que les couples homosexuels, mais tous les couples non mariés : c’est parce que les partenaires forment un couple qu’un régime de droits et d’obligations leur est accordé. Les rédacteurs du PACS ont ainsi tenu compte des critiques [7] soulevées par la confusion qui pouvait résulter de la diversité des situations visées par le CUS, qui voyait cohabiter au sein d’un même statut les concubins, des fratries [8], et plus généralement des nouvelles formes d’entraide et de solidarité entre deux individus. Cependant, si l’exclusion des fratries, et a priori des " non couples " du PACS permet de lui donner davantage de sens et rend caduques ces critiques soulevées par l’amalgame auquel aboutissait le CUS, il n’en demeure pas moins qu’un certain nombre de questions ne sont pas résolues : d’une part la logique qui guide le nouveau projet n’est pas poussée à son terme : des incertitudes pèsent sur le champ d’application et les formalités requises, et d’autre part, l’étude du contenu du PACS révèle un net recul, au risque de ne pas répondre aux attentes de ses partisans.

 

 

 

A - Un champ d’application centré sur le couple

Le PACS, dans la note de présentation qui accompagne la proposition de synthèse, se veut un cadre juridique ouvert à " toutes les personnes vivant en couple, qui ne peuvent pas ou ne veulent pas se marier mais qui, quel que soit leur sexe, ont un projet de vie commune ". Le PACS s’adresse donc aux couples, dès lors qu’existe une communauté de vie entre les partenaires, et non plus aux paires.

Ce recentrage sur le couple offre apparemment une plus grande reconnaissance du lien homosexuel, puisque celui-ci n’est plus dilué dans un agglomérat de situations. Cependant, on perçoit rapidement les limites de cette reconnaissance dans l’intitulé même du projet. En quoi un pacte civil de solidarité renvoie t-il à la notion de couple ? En définissant le lien institué par la solidarité de deux " personnes souhaitant s’entraider ", le PACS nie la dimension affective entre les partenaires, le lien qui unit un couple va au delà de la solidarité, qui n’en est qu’une composante. D’autre part, la définition donnée à l’article 2, selon laquelle " le PACS constate le lien entre deux personnes physiques qui vivent en commun " ne fait aucune référence aux couples de même sexe en tant que tels, et pourrait se heurter à une interprétation jurisprudentielle restrictive, voire contra legem, dès lors que n’est pas posée explicitement que le PACS s’applique indépendamment du sexe des partenaires.

 

Cette ambiguïté entre la note de présentation qui définit le PACS par le couple, et l’intitulé qui est très en deçà de la notion de couple se retrouve avec l’étude des empêchements et des incapacités. Le PACS semble toujours hésiter quant à sa nature juridique véritable : statut du couple non marié ou forme de solidarité à deux ?

 

Le principe de monogamie est présent dans le PACS, puisqu’une même personne ne peut être à la fois engagée dans deux PACS conclus avec deux personnes différentes ou dans les liens du mariage avec un tiers et un PACS (article 3). Mais rien n’est prévu sur la possibilité de passer d’un statut à l’autre entre les mêmes partenaires : leur faudra t-il rompre le PACS pour pouvoir se marier ? Comme le PACS ne peut être dissout avant un délai d’un an, ne risque t-il pas alors d’y avoir une entrave à leur liberté matrimoniale ? Un époux séparé mais non divorcé peut-il conclure un PACS ?

 

Dès lors que le PACS s’adresse aux couples, il est logique que les empêchements soient renforcés, afin que le contrat ne puisse héberger des relations incestueuses.

Si l’exclusion formelle des ascendants et descendants en ligne directe et des collatéraux jusqu’aux deuxième degré (art 3) se justifie désormais pleinement, il importerait de savoir pourquoi l’ensemble des prohibitions classiques de l’inceste (entre alliés et collatéraux, selon les articles 161 à 163 C. civ.) ne sont pas reprises. Rien n’interdit par exemple à un homme de conclure, après dissolution du PACS le liant à la mère un nouveau contrat avec la fille de celle-ci. Le droit légaliserait ainsi ces formes d’inceste dénoncées par Françoise Héritier [9] , au risque d’ouvrir un boulevard aux critiques des plus réactionnaires des opposants.

 

Le PACS est muet, à la différence des précédentes propositions sur la question des incapacités, puisqu’il n’est même pas fait référence à la capacité juridique des partenaires.

Un mineur émancipé peut-il conclure seul un PACS ? Dans le silence du texte, on peut supposer qu’à la différence du mariage, le consentement des parents n’est pas requis. Si un jeune à partir de seize ans peut s’engager dans ce contrat, ne risque t-on pas, ici encore, de voir surgir amalgames et dérives autour d’une prétendue légalisation d’une forme d’union pédophile, en ces temps troublés par les nombreuses affaires qui défrayent la chronique ?

La proposition est, comme les précédentes, muette sur la possibilité pour un incapable majeur de contracter. Frappé d’une incapacité d’exercice (art 1124 C. civ) et nécessitant pourtant plus que n’importe qui de solidarité, il serait opportun de préciser les conditions de validité de son engagement : le consentement du curateur, du conseil de famille comme en cas de mariage seront-ils requis ?

 

Selon la note de présentation, le PACS peut se définir par une double négative : il n’a ni " pour objet de concurrencer le mariage, ni d’accorder des droits particuliers aux couples homosexuels ". L’étude de son contenu, très en deçà du CUS, montre qu’on passe du " mariage bis " au " sous mariage ".

 

 

 

B - Du " mariage-bis " au sous mariage

Afin d’échapper à la critique récurrente adressée au CUS d’instaurer un mariage bis ou en bémol, voire de mettre en place un mariage homosexuel du fait de nombreuses similitudes quant à la conclusion du contrat et son régime [10], le PACS cherche à s’éloigner le plus possible du régime marital : seuls sont transposés le régime légal des biens, qui est, comme en mariage, le régime de la communauté réduite aux acquêts (art 6), et Les droits ouverts aux époux par le code du travail [11] et le statut de la fonction publique [12] sont dans l’ensemble transposés aux partenaires d’un PACS (art 17 et 20).

 

La déclaration conjointe des partenaires n’est plus recueillie par l’officier d’état civil, mais simplement en mairie, devant un employé municipal, sans qu’aucun formalisme ne soit requis : pas de recueil du consentement, pas d’information sur la signification des engagements ... Afin d’assurer la publicité et la transparence des pactes, il est prévu d’inscrire la déclaration dans deux registres spéciaux tenus à la mairie du lieu de réception du pacte ainsi qu’à la mairie du lieu de naissance de chacun des partenaires. Mais une telle précaution ne résout pas pour autant toutes les questions. La conclusion d’un PACS sera t-elle pour autant transcrite en marge des actes d’état civil ? Sinon, comment se fera l’articulation entre les deux types de registres indispensable pour éviter qu’un même individu puisse être lié par un PACS avec un autre et épouser une tierce personne ? Quelle publicité préalable, quelles oppositions sont possibles ? Des actions en nullité sont-elles ouvertes ? Autant de questions sans réponse. En définitive, le PACS modifie t-il l’état des personnes ?

 

Les modalités de la rupture ne doivent pas être assimilées à celles du divorce, et le pacte ne peut être résilié dans les douze premiers mois, quelle qu’en soit la cause. Le régime choisit, énoncé en un seul article (article 10), laisse perplexe.

Les partenaires, s’ils sont d’accord, peuvent mettre un terme à leur engagement conjointement, sans intervention du juge; il leur suffit de déclarer en mairie la rupture et de présenter une convention notariée réglant uniquement la répartition des biens immobiliers. Mais que se passe t-il pour les autres biens ? Comment seront liquidés les biens issus de cette vie commune ? A qui sera attribué le logement commun ? Là encore, le texte n’apporte aucune réponse.

Mais les interrogations essentielles portent sur la rupture judiciaire applicable en cas de désaccord entre les parties, qui n’a pas été modifié malgré les nombreuses critiques qu’il a suscité. Dans ce système, l’une des parties peut saisir le juge (sans que soit précisé quel juge est compétent) sans avoir de motif justifiant la rupture à invoquer ; le magistrat prononce la rupture du PACS et ordonne les mesures l’accompagnant. Rien est dit, ni sur la procédure, ni sur les critères sur lesquels reposeront la décision du juge. Privé de tout pouvoir d’appréciation, le juge ne fera que valider une rupture en réalité unilatérale, mais rendue plus complexe par le caractère obligatoire de sa saisine. Contrairement à ce qui est souvent dit, les intérêts du plus faible ne sont pas davantage protégés qu’en cas de rupture du concubinage, aucune pension ou prestation n’étant due.

 

Le régime des obligations est modifié sur un seul point: l’obligation de la communauté de vie entre les partenaires se substitue au flou du " projet commun de vie " [13], ce qui est tout à fait logique, puisque c’est de cette communauté que découlent les droits accordés par le pacte, comme c’est le cas pour la majorité des droits octroyés aux concubins. [14]

Les autres obligations sont toujours imprécises : d’une part la solidarité financière prévue " pour les besoins de la vie courante " n’est pas assortie des restrictions prévues en mariage par l’article 220 du Code civil  ; c’est peut être ici que le pacte de solidarité prend tout son sens. En revanche, la contribution aux charges n’est pas prévue en tant que telle, et elle n’apparaît en filigrane qu’à travers l’obligation générale de soutien matériel. En l’absence de toute disposition sur les obligations des partenaires concernant la protection du logement commun du couple, on peut déduire que chacun peut en disposer librement, sans avoir à recueillir l’accord de l’autre.Enfin, la possibilité d’obtenir du juge la rupture du PACS en cas de désaccord des partenaires rend plus que précaires ces obligations qui sont de ce fait, subordonnées à la bonne volonté des parties.,

 

Du souci de ne pas être accusé de concurrencer le mariage, il résulte que les avantages octroyés par le PACS sont considérablement réduits, à tel point qu’on se demande à quelle finalité le PACS répond véritablement : souci de protéger les couples hors mariage ou " gadget juridique " pour satisfaire à moindre frais les revendications des homosexuels ?.

 

Il y a plus inquiétant que ces questions soulevées par le formalisme du PACS. Alors que le pacte traduit la volonté d’un engagement solennel des partenaires, la plupart des droits ne sont accordés qu’après écoulement d’un certain délai. Comment justifier ce choix, apparemment contradictoire, entre démarche contractuelle et décalage des effets juridiques essentiels ?

Est ainsi instaurée une période probatoire, véritable mise à l’épreuve de la sincérité des partenaires, jugés dignes de bénéficier de la protection de la loi qu’après un laps de temps variable selon le droit accordé, et surtout le coût de celui-ci : un an pour bénéficier d’une carte de séjour (et non comme dans le CUCS d’une carte de résident), un an pour bénéficier du maintien dans le logement loué par le partenaire en cas d’abandon ou de décès [15], deux ans pour être considéré comme un foyer fiscal, cinq pour être assimilé au conjoint survivant en matière successorale et bénéficier de certains avantages fiscaux pour les libéralités.

Sous réserve de ce délai de cinq ans, les partenaires peuvent se faire des donations et legs dans les mêmes conditions civiles que les époux, rendant donc révocables celles-ci, alors qu’elles sont irrévocables entre concubins (art 8) ; en revanche, le régime fiscal y afférant n’est pas intégralement transposé: si l’abattement de 330 000 F applicable entre époux est étendu au partenaire d’un PACS (art 13), au delà de cet abattement, est retenu le taux fixe de 60 % et non le barème progressif applicable aux époux. Comment se justifie une telle différence ?

Toujours après cinq ans, le partenaire a donc une vocation successorale ab intestat dans les mêmes conditions qu’un époux (art 7). Mais de manière générale, assimiler le partenaire homosexuel au conjoint survivant appelle des réserves: la présence de la réserve des ascendants et la place attribuée au partenaire survivant dans l’ordre successoral peuvent entraver en pratique la possibilité de léguer ses biens librement à son partenaire ; le régime légal qui accorde, en présence d’héritiers au degré successible un droit d’usufruit sur la succession du de cujus est source de problèmes, voire de conflits avec la famille quant à la gestion et la répartition des charges entre usufruitier et nu-propriétaire. Certes, on rétorquera que c’est toujours mieux que le vide actuel ; peut être serait-il plus judicieux de s’attaquer de front à la réforme fiscale et civile d’un droit successoral vieux de deux siècles, fondé sur la famille lignagère et totalement inadapté à la réalité sociale d’aujourd’hui ?

 

Plus surprenante est la solution retenue en matière sociale. En ce qui concerne l’affiliation à la sécurité sociale au titre d’ayant-droit du partenaire, le PACS se calque sur le régime de l’alinéa 2 de l’article L. 161-14 du CSS qui prévoit un délai d’un an, ce qui ne change rien à la situation actuelle des couples homosexuels et constitue un recul pour les concubins hétérosexuels qui bénéficient de ce droit sans condition de délai  ! (art L. 161.14 CSS) [16].

Quant aux autres avantages octroyés par les régimes d’assurance-invalidité, vieillesse-veuvage, décès et accidents du travail, ils ont purement et simplement disparu du nouveau projet, et ce quelle que soit la durée de l’union. Ces avantages restent donc l’apanage exclusif du conjoint survivant ; alors que le PACS se définit par la solidarité, l’entraide entre les partenaires, il est difficile de comprendre pourquoi ces droits dérivés qui permettent d’assurer un revenu minimal au partenaire survivant [17] n’y figurent pas.

 

 

II - De la pertinence d’un tel statut

 

Le PACS se présente donc a priori comme une troisième voie entre l’union de fait et le mariage, qui renforcerait la liberté de choix des individus. Mais cette nouvelle voie répond-elle aux aspirations de la communauté gaie, qui attend de l’intervention du législateur la suppression des discriminations qui frappent aujourd’hui les couples homosexuels ?.

Rien n’est moins sur : d’une part, le PACS ne reconnaît pas le concubinage homosexuel en tant que tel ; d’autre part, la création de deux catégories de concubins, ceux qui auront conclu un PACS et les, autres appelle des réserves ; enfin, le PACS créé un sous-mariage qui consacre l’infériorité juridique des couples homosexuels.

 

 

 

A - Le PACS ne reconnaît pas le concubinage homosexuel

Certes, la conclusion d’un PACS permet de résoudre quelques problèmes dramatiques aujourd’hui sans solution, notamment le transfert de bail en cas de décès du concubin titulaire du bail, et l’amélioration de la situation du partenaire étranger.

La conclusion d’un PACS lui donne droit à une carte de séjour temporaire au bout d’un an,sous réserve de son entrée régulière sur le territoire, et sans que soit précisé si le maintien de la communauté de vie constitue une condition péremptoire. Les " homos sans papiers " remplissant ces conditions pourront donc être régularisés, mais seront-ils pour autant protégés contre les mesures d’éloignement du territoire entre la conclusion du PACS et l’expiration du délai d’un an ?

Le partenaire étranger pourra aussi demander sa naturalisation au bout d’un an, au lieu du délai de droit commun de cinq ans applicable à défaut (article 21-17 du Code civil).

 

En revanche, que se passera t-il pour les concubins homosexuels qui ne souscriront pas de pacte ? L’instauration du PACS ne résout en rien leur situation ; aucune amélioration n’est apportée aux concubins homosexuels de fait. La jurisprudence de la Cour de cassation [18] qui dénie aux couples de concubins homosexuels le droit d’être des concubins à part entière leur sera toujours applicable. Pour eux, pas de transfert de bail, pas de droits successoraux, pas de droit de séjour du partenaire étranger... En effet, le concubin homosexuel n’est considéré ni par la loi, ni par la jurisprudence, comme ayant une vie privée et familiale lui permettant, du fait de ses liens affectifs, de bénéficier d’un titre de séjour et d’être protégé contre l’éloignement du territoire. Il n’entre pas dans la nouvelle catégorie prévue par le 7° l’article 12 bis de l’ordonnance de 1945 modifiée qui permet la délivrance d’une carte de séjour temporaire à l’étranger qui fait valoir des liens personnels et familiaux en France [19].

Et ces couples informels seront probablement nombreux [20] pour des raisons diverses : certains n’oseront pas faire la démarche d’aller en mairie, notamment dans les petites communes, celles dont les maires ont signé l’appel du collectif des maires pour le mariage républicain ou sont gérées par le front national ; d’autres, par choix de valeur, refuseront l’institutionnalisation du lien privé les unissant ; certains autres resteront en dehors par manque d’information ou parce qu’ils n’y verront aucun avantage concret...

 

 

 

B - Ensuite, le PACS risque d’aliéner la liberté de tous les concubins

C’est bien le paradoxe essentiel du PACS : en exigeant des couples un engagement contractuel pour bénéficier de certains droits, le PACS aboutit à la négation même de la notion juridique de concubinage. Instaurer un statut qui nécessite une manifestation de volonté expresse des partenaires rompt totalement avec la conception juridique d’un phénomène appréhendé par le fait ainsi qu’avec la nature même de l’union libre : c’est justement la liberté de l’union qui fait l’attrait du concubinage. Institutionnaliser le concubinage, en créant deux catégories de concubins, ceux qui auront conclu un pacte et les autres risque de produire des effets pervers à l’encontre des seconds, qui risquent de voir leurs droits acquis régresser.

Selon l’article 2, le PACS, comme le CUS, constate le lien unissant deux personnes physiques qui vivent en commun, et la formulation retenue risque d’entraîner des effets pervers que Jean Danet a bien montrés lors d’un précédent colloque, à propos du CUS : " en écrivant que le contrat d’union sociale constate ce lien, n’est-ce pas en effet un peu suggérer qu’hors ce contrat d’union sociale, on ne peut constater un tel lien et qu’en l’absence de ce contrat (...), ce lien est présumé ne pas exister ? "

Ainsi, l’article 16 prévoit que le PACS vaut justification de vie commune. N’y a t-il pas un risque que le PACS devienne le mode de preuve par excellence de la vie commune des concubins, ce qui signifierait la fin de l’union libre en tant que situation de fait produisant des effets juridiques ?

Dans cette hypothèse, les concubins qui n’auraient pas fait constater le lien existant entre eux pourraient se voir refuser des droits qui leur sont aujourd’hui accordés : certaines institutions, administrations, établissements financiers, bailleurs ... seront peut-être tentés de faire découler de la production d’un PACS les droits des concubins, dont la liberté serait anéantie. Selon le professeur Libchaber, " l’existence d’un statut du concubinage aurait pour conséquence probable d’absorber tout le concubinage, soumettant les concubins à l’alternative de passer devant l’officier de l’état civil (ou du moins en mairie), ou de renoncer aux avantages actuellement obtenus. " [21].

 

 

 

C - Le PACS enferme les homosexuels dans un sous-mariage

Ni union libre, ni mariage, le PACS aboutit à n’accorder de droits aux couples homosexuels que par l’adhésion à ce statut, qui valide une union de seconde zone très en deçà du mariage. En effet, et contrairement à certaines idées reçues largement véhiculées, le PACS n’instaure en rien le mariage homosexuel.

L’union est certes validé en mairie, mais pas devant l’officier d’état civil ; des registres sont créés, mais ce ne sont pas les mêmes que ceux des mariés...

A cette sous cérémonie s’ajoute des droits nettement inférieurs par apport à ceux du mariage :

Pas de droit à la pension de réversion ou à l’allocation veuvage quelle que soit la durée de l’union, instauration de délais pour bénéficier de certains droits accordés immédiatement par le mariage (droit de séjour du partenaire étranger, transfert de bail, assurance maladie, successions et libéralités, fiscalité) fiscalité de 60% après l’abattement de 330 000F en matière de libéralités, pas de protection de la résidence du couple [22], interdiction de rompre le contrat avant un an, aucune protection de la partie la plus faible en cas de séparation (pas de prestation compensatoire ni de dommages et intérêts), pas de droits extra-patrimoniaux (aucun droit de représentation du partenaire, pas de possibilité de dons d’organe entre partenaires ...), pas de reconnaissance internationale du lien (ce qui constitue une entrave à la liberté de circulation des personnes)....

Comme le PACS n’a pas vocation à être un cadre fondateur de la famille, car il pourrait alors entrer en concurrence avec le mariage et consacrer la famille homosexuelle, rien n’est prévu en matière de filiation : pas d’accès aux PMA, pas d’adoption conjointe par les partenaires, rien sur l’autorité parentale ou les foyers " recomposés ".

 

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Au terme de cette étude, il semble que le PACS suscite plus d’interrogations qu’il n’en résout.

Il créé un faux sentiment de protection juridique, dans la mesure où les droits accordés sont extrêmement restreints, et où le pacte peut être, malgré l’intervention judiciaire, rompu unilatéralement sans protection de la partie la plus faible. Certes, la proposition peut être améliorée ; mais alors, on ne voit pas comment pourrait être évité l’assimilation au mariage.

Il institutionnalise le concubinage, véritable non sens juridique et social, en apportant rien que le législateur ne pourrait accorder à tous les concubins, tout en restant dans le domaine de l’union de fait.

L’adoption du PACS enfermerait le couple homosexuel dans cette union de seconde zone, au risque de compromettre l’avenir des deux autres enjeux du couple, revendiqués par la communauté gaie. En premier lieu, celui de la reconnaissance du concubinage homosexuel et l’extension des droits pour tous les concubins en dehors de toute formalisation de leur union ; on pourra alors rétorquer, comme pour les concubins hétérosexuels à l’égard du mariage, que s’ils veulent des droits, ils n’ont qu’à souscrire un PACS. Enfin, le droit au mariage, qui s’il peut être discuté, notamment du point de vue féministe, n’en demeure pas moins la seule institution permettant aujourd’hui l’égalité de droits entre tous les couples, deviendra beaucoup plus difficile à revendiquer, puisque Le PACS octroie une forme, certes minime, de reconnaissance institutionnelle de l’union.

 

 

 

Marianne SCHULZ

Pour le colloque organisé par le SAF avec la participation de l’Université de Paris X

" Les unions du même sexe : Quelle reconnaissance légale ? "

juin 1998

 

 


1 - Pour une chronologie du débat et des propositions : Marianne Schulz, Eléments pour un débat, Esprit, octobre 1997 ; Gérard Bach Ignasse, Le contrat d’union sociale en perspective, Les Temps Modernes, mars-avril 1998

 

2 - Ces propositions sont faites par Irène Théry, dans le rapport qu’elle a remis au garde des Sceaux et à la ministre de la Solidarité en mai 1998, Couple, filiation et parenté aujourd’hui, Odile Jacob, juin 1998

 

3 - Bernard Beignier, Une nouvelle proposition de lois relative au contrat d’union sociale. Copie à revoir, Droit de la famille, avril 1997, p. 4. François Gaudu : A propos du " contrat d’union civile " : critique d’un profane, Dalloz 1998 chronique p 19. Laurent Leveneur : Les dangers du contrat d’union civile ou sociale ; JCP éd G doctrine n° 4069 et JCP et notariale et immobilière n°3 - 16 janvier 1998 p. 58. Philippe Malaurie : Sur les projets de réforme intéressant le droit de la famille ; La vie judiciaire, 9 septembre 1997. Le mariage et les homosexuels ; D n° 35, 9 octobre 1997 p 1. Alain Sériaux, être et ne pas être : les ambiguïtés juridiques de la constitution légale d’un contrat d’union civile, droit de la famille, mars 1998 p. 4. Béatrice Vial-Pedroletti, Le concubinage homosexuel sous les feux de l’actualité... et les foudres de la jurisprudence !, Loyers et copropriété - Editions du juris-classeur, avril 1998

 

4 - Notamment la pétition du collectif des maires pour le mariage républicain (Le Monde des 16/04, 18/04, 21/04 et 22/04 1998), la motion votée par l’Académie des sciences morales et politiques (Le Figaro, 27/05 1998), les propos de Jacques Chirac " il ne faut pas prendre le risque de dénaturer ce droit (le droit au mariage) en mettant sur le même plan d’autres réalités humaines de notre temps, qui conduisent bien loin des valeurs fondatrices de la famille ... ", le Figaro, 5 juin 1998

 

5 - Christine Boutin, Le mariage des homosexuels ? Cucs, Pic, Pacs et autres projets législatifs, Critérion, 1998

 

6 - Le terme CUS est utilisé dans cette étude de manière générale, vu la similitude des propositions, en spécifiant lorsque nécessaire de quelle proposition il s’agit, en cas de divergence.

 

7 - Voir le rapport Vers la reconnaissance des couples de même sexe, AIDES Fédération nationale, 2ème édition, décembre 1997 ; Irène Théry, Le contrat d’union sociale en question, Esprit, octobre 1997

 

8 - Le CUS (proposition socialiste) excluait déjà les fratries

 

9 - Les deux soeurs et leur mère, Odile Jacob 1994

 

10- Jean-Paul Branlard, analyse du contrat d’union sociale par rapport au mariage et au concubinage, documentation interne AIDES Fédération, 1996  ; François Courtray, Normes sociales, droit et homosexualité, thèse pour le doctorat en droit, faculté de droit et de science politique d’Aix-Marseille, 1996 ; Marianne Schulz, Analyse des propositions par rapport au mariage, Esprit, oct 1997 ; Jean-loup Vivier n’hésite pas à intituler son étude parue dans La vie judiciaire du 28 septembre 1997 le contrat d’union civile et sociale ou l’autre mariage  et conclut : " Il est permis de se demander si le moindre avantage restera au mariage par rapport au CUS, hormis l’usage du nom du conjoint, ou encore le plaisir de payer une pension alimentaire et une prestation compensatoire en cas de divorce (...) le mariage a sans doute trouvé là l’institution rivale qui lui enlèvera de nombreux candidats. "

 

11 - Les quatre jours de congé octroyés en cas de mariage au salarié par l’article L. 226-1 CT ne sont pas transposés au partenaire d’un PACS.

 

12 - Si le rapprochement de conjoint est prévu, la possibilité de bénéficier prioritairement, en cas d’impossibilité de mutation, du détachement ou de la mise à disposition prévu par l’article 62 de la loi du 11 janvier 1984 n’est pas étendue aux contractants d’un PACS.

 

13 - La notion de projet commun de vie soulevait des incertitudes sur sa définition juridique ; de plus, elle était en contradiction avec certaines dispositions du CUS qui faisaient découler les droits de la vie commune : transfert de bail, droits sociaux, droits de séjour du partenaire étranger.

 

14 - Gaël Henaff, La communauté de vie du couple en droit français , RTD civ. (3) juillet-septembre 1996

 

15 - En revanche, si le titulaire du bail résilie celui-ci, le partenaire n’a aucun droit au maintien dans les lieux, puisque n’est pas instaurée la cotitularité du bail de l’article 1751 C. civ.

 

16 - Les propositions précédentes, qui étaient muettes sur ce point, permettait cependant l’affiliation sans délai, par application de la disposition générale selon laquelle les contractants bénéficiaient de tous les droits réglementaires ou conventionnels accordés par les dispositions législatives aux concubins ou personnes vivant maritalement (Article 4 CUS et 3 CUCS).

 

17 - Si on peut regretter l’absence de tels droits dans la mesure où certaines catégories en bénéficient et pas d’autres, il serait nécessaire de s’interroger de manière générale sur la question de l’individualisation des droits sociaux, afin que chacun -ou plus exactement chacune- puisse à terme bénéficier de droits personnels, indépendamment de sa situation matrimoniale. Il en est de même en matière de fiscalité, l’imposition commune étant une spécificité du droit français, présente uniquement au Luxembourg parmi les Etats membres de l’union européenne ; la remise en cause de l’imposition commune constitue une des revendications des féministes, car elle aggrave souvent la dépendance économique de la femme mariée, vu les disparités de salaire homme/femme..

 

18 - Soc 11 juillet 1989, 2 arrêts : JCP 1990, JP 21553, note MEUNIER ; ;Dalloz 90 p. 582, note MALAURIE ; Revue de droit sanitaire et social 90 p.116, note HARICHAUX ; Conclusions DORWLING CARTER, rapport de la Cour de cassation 1989, La documentation française p. 85. Solution confirmée par Civ 3, 17 décembre 1997, D 1998 JP p 111 ; conclusions de M Jean-François WEBER, avocat général et note AUBERT.

 

19 - Les critères retenus par la circulaire d’application l’excluent doublement : par la référence à l’étranger qui se prévaut directement de la protection de l’article 8 de la convention qui ne le concerne pas, du fait de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui l’exclue du bénéfice de cette disposition (sur ce point voir Catherine Meyer, L’homosexualité dans la jurisprudence de la Cour et de la Commission européenne des droits de l’Homme, homosexualités et droit, PUF 1998 p. 153); ensuite, par la notion même de vie privée et familiale, entendue comme une relation maritale.

 

20 - Les partenariats instaurés dans les pays scandinaves ne se sont pas, en pratique, traduits par une adhésion massive des couples homosexuels. Ainsi, au Danemark, ce sont seulement 3011 personnes, dont deux tiers d’hommes, qui ont fait enregistrer leur partenariat entre le 1er octobre 1989, date d’entrée en vigueur de la loi sur le " partenariat inscrit " et la fin de l’année 1996. Il conviendrait de s’interroger sur les raisons d’un nombre aussi faible, et de la proportion de femmes.

21 - Rémi Libchaber, RTD civ (1), janv.-mars 1998 p 228 ; voir aussi sur ce risque : René-Miguel Roland, du mariage sans contrat au contrat sans mariage, Les petites affiches, 6 mars 1998, n° 28 p. 12, qui n’hésite pas à parler de " marginalisation des concubins traditionnels ", et prédire que " le concubin actuel, qui est seulement hors mariage, deviendra demain hors la loi puisqu’il n’y aura plus qu’une loi, celle de l’union contractuelle à deux vitesses ".

 

22 - En effet la cotitularité du bail prévue par l’article 1751 n’est pas accordée aux partenaires du PACS ; seul est prévu le transfert du bail en cas d’abandon ou décès du titulaire ; mais que se passe t-il si le titulaire du contrat résilie le bail ? Lorsque le logement est propriété de l’un, l’autre n’a aucun droit, et son partenaire peut en disposer librement : le principe issu de l’article 215 alinéa 3 qui interdit aux époux de disposer seul des droits par lesquels est assuré le logement de la famille n’est pas applicable aux contractants du PACS.

 

©Marianne Schulz


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