DES " RÉVOLUTIONS SEXUELLES " À L'ÈRE DU SIDA :

BASCULE ET RECONSTRUCTION(S) DES SEXUALITÉS1

Rommel Mendès-Leité


" Nous ne baisons plus : nous nous aimons "

(un couple d'homosexuels, d'après Wolinski)


 



Étudier la diffusion de la maladie du xxe siècle, le sida, passe obligatoirement par la caractérisation des pratiques sexuelles, elles-mêmes sous-tendues et structurées selon certaines représentations constituant l'imaginaire social des sexualités. Ces représentations sociales sont un arrière-fond qui oriente aussi bien les pratiques sociales et individuelles (Moscovici, 1976) que la construction des identités de genre et sexuelle et, par conséquent, la construction et la présentation sociale de soi (Goffman, 1973). Sans oublier que cet imaginaire est en rapport dialectique avec la morale sociale qui, elle-même, est modifiée par la fréquence des transgressions qu'elle est censée encadrer.


Bien sûr, les pratiques socio-individuelles ne sont pas toujours en accord avec l'imaginaire social qui les règlent. Mais, même si parfois elles présentent des alternatives au système majoritaire des représentations, c'est à ce système qu'elles se réfèrent. Ainsi, même s'il existe alors un décalage entre les représentations et les pratiques, comme l'a montré Kinsey, il est aussi vrai que, dans la mesure où_ la perception est construite et contrôlée par les représentations, l'action sociale sera en quelque sorte dirigée par elles. De plus, et cela est fondamental, l'action sociale, même décalée par rapport aux priorités établies par les représentations, sera toujours incluse dans les termes que celles-là posent. Et, bien quelles soient très souvent conflictuelles et contradictoires, elles seront utilisées dans la vie quotidienne pour expliquer, légitimer ou condamner certaines actions (Fry, 1982 :89). D'ailleurs, c'est justement ce décalage entre certains comportements et l'imaginaire social institutionnalisé qui va servir de paramètre social pour la déviance ou, pour utiliser un langage plus psychanalytique, pour la perversion. Néanmoins, cette déviance ou perversion ne sera l'objet d'une sanction sociale effective que si elle est d'abord perceptible et représente ensuite un danger pour la cohésion sociale ou pour l'existence de la collectivité. Bien sûr, il peut aussi arriver que certaines actions soient la cible irrationnelle de l'intolérance communautaire par le phénomène du bouc émissaire.


Dans le domaine des sexualités, parler de déviance ou de perversion constitue une question fort complexe. Si, d'un côté, il est évident qu'il existe toute une codification sociale qui indique aux individus ce qui est souhaitable, tolérable ou interdit, en revanche ces définitions peuvent changer d'une société à l'autre, aussi dans la diversité des contextes sociaux qu'à des moments historiquement divers. Parallèlement aux sexes (mâle et femelle), définis par la biologie, les sexualités relèvent d'une construction historique et culturelle. Pour cela, le chercheur qui travaille sur ces dernières doit essayer de les comprendre à la lumière d'une contextualisation mettant en évidence ses relations avec la logique interne de la culture totale au sein d'une détermination socioculturelle et historique (Davenport, 1976). De cette façon, on pourra " visualiser " de manière cohérente l'imaginaire social qui oriente les représentations, les discours et les actions des acteurs sociaux en ce qui concerne les sexualités, considérées non seulement dans une dimension individuelle, mais aussi en tant que manifestation d'un vaste contexte social.


Certaines représentations sociales liées à la sexualité sont parfois des stéréotypes trompeurs parfaitement répandus et ancrés dans la société et qui, pourtant, ne sont pas des outils pertinents pour appréhender finement les nuances. C'est le cas, par exemple, des représentations sociales des homosexualités dans la société élargie. Il existe une tendance à catégoriser en bloc les individus perçus comme ayant cette orientation sexuelle, sans prendre en compte les diversités sociales existant au-delà de l'attirance pour les individus du même (ou de l'autre) sexe. En fait, la définition elle-même d'un " homosexuel(le) " (pour ne pas rentrer ici dans le débat théorique autour de la définition de " l'homosexualité ") n'est pas toujours claire, y compris pour les " homosexuels " eux-mêmes. Il est, donc, recommandable au chercheur qui souhaite saisir certaines nuances dans ce domaine d'établir une distinction conceptuelle entre les comportements " homosexuels " et les rôles, catégorisations et identités (homo)sexuelles (MacIntosh, 1968 ; MacRae, 1985 ; Mendès-Leite, 1988). L'identité " homosexuelle " n'est pas une caractéristique innée et permanente, encore qu'elle puisse être considérée de la sorte par l'acteur social : c'est une construction sociale qui est maintenue à travers les processus d'interaction sociale (Richardson et Hart, 1983). Ainsi, les " comportements homosexuels " peuvent refléter une simple " performance " d'individus qui n'ont pas (ou pas encore) d'" identité homosexuelle ", bien qu'ils puissent éventuellement jouer un rôle socialement perçu comme un " rôle homosexuel ". Il faut aussi remarquer que les " rôles homosexuels " sont, à leur tour, des rôles sociaux variables à mettre en relation avec les " catégorisations homosexuelles " (stéréotypes sociaux) existants et qui renvoient à diverses interprétations possibles (l'une d'elles étant l'adoption d'une identité), elles-mêmes correspondant à des types d'actions et de comportements différents.


Les nombreuses interrelations entre ces divers niveaux d'analyse permettent l'apparition de certaines combinaisons possibles. Un exemple nous est fourni par l'homosexualité " occasionnelle " d'un individu qui n'interprète pas pour autant son rôle comme " homosexuel ", ni comme son identité propre. À l'inverse, un autre exemple serait celui de l'acteur social qui interprétait son " rôle homosexuel " comme une identité, mais qui, dans sa performance sociale (la présentation de soi), n'extérioriserait pas ce rôle, ou le ferait d'une manière différente de celle que l'on attribue le plus souvent à cette catégorie sociale. C'est-à-dire qu'il s'identifie comme " homosexuel, " mais sans être socialement perçu comme tel. Bien sûr, outre ces questions identitaires, existe aussi toute une série de spécificités liées à une insertion sociale, qui jouera un rôle dans la perception des homosexualités, aussi bien chez les personnes à orientation hétérosexuelle que chez celles à identité homosexuelle ou bisexuelle. C'est le cas, par exemple, de la tranche d'âge, de la couche sociale et de l'habitat (urbain, rural, intermédiaire). Il est évident, en effet, que les homosexualités ne sont ni perçues ni vécues de la même manière dans les grands centres urbains et dans les villes moyennes, les villages ou les zones semi-rurales ou rurales. Ce sont des spécificités à prendre en considération quand on se propose de saisir la dialectique existant entre les représentations sociales des sexualités et les comportements et pratiques individuelles et sociales en interrelation au sein d'une détermination socioculturelle et historique. En ce sens, une étude comparative entre les représentations sociales d'individus de milieux divers et même de sociétés différentes semble être tout à fait prospective pour faire apparaître ces diverses nuances et spécificités existant au sein des cultures des sexualités (Mendès-Leite, 1990).


J'envisage la construction sociale des sexualités comme un processus dynamique, lié aussi bien à l'imaginaire socioculturel qu'aux transformations subies par les sociétés par l'action de variables diverses comme les mouvements sociaux, les innovations scientifiques ou certains phénomènes comme l'actuelle épidémie du sida, c'est-à-dire, des facteurs socioculturels plus larges qui dépassent la question spécifique des interactions sexuelles.


Suivant cette approche, ce qui m'intéresse ici sont les reconstructions dans la culture des sexualités (Mendès-Leite, 1990) depuis la fin de la décennie 1960, époque des " révolutions " sexuelles, pour arriver aux transformations que se sont imposées à cause de la transmission par voie sexuelle du virus de l'immunodéficience humaine (vih).


Pour une analyse plus détaillée de ce type de processus, je m'arrêterais plus longuement sur les changements concernant les représentations sociales des sexualités entre hommes, c'est-à-dire des diverses expressions sociales des homosexualités, mon sujet privilégié de recherches.



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Le plaisir comme mode de vie


 

Au cours des trois dernières décennies, les représentations, les comportements et les pratiques sexuelles ont énormément changé, d'abord dans les classes moyennes des centres urbains et ensuite un peu partout, d'une façon plus ou moins nuancée, en raison de certains mouvements sociaux et au développement scientifique, alliés à leur diffusion rapide, permise par les médias et par la technologie moderne.


Phénomène d'abord nord-américain et européen, la " révolution " sexuelle a fait ravage : la fin des années 1960 et la décennie 1970 ont vu se bouleverser avec une intensité variable selon les spécificités socioculturelles les perceptions et les comportements sexuels dans les sociétés occidentales contemporaines. Cette libéralisation des m_urs a remis en question les normes elles-mêmes et, en conséquence, les définitions de perversion et de déviance. Les mouvements de " contre-culture ", féministes et homosexuels ainsi que certains développements de la science, notamment de la médecine (pilule contraceptive, avortement, contrôle des MST), ont contribué à orienter la culture des sexualités plutôt vers l'hédonisme.


Le multipartenariat sexuel, aussi bien que la " déperversion " ou la banalisation relative de certaines pratiques sexuelles (fellation, sexe de groupe et formes de sexualité non relationnelles ou non reproductives comme la masturbation ou le voyeurisme) sont quelques-unes des conséquences de ce phénomène. D'autres changements déjà en cours comme la dévalorisation du mariage (et même du couple stable), de la famille, de la monogamie et de la virginité féminine , qui ont certainement " préparé le terrain " aux nouvelles transformations, ont été aussi renforcés par ces dernières. De même en ce qui concerne la déhiérarchisation progressive des genres (masculin et féminin), avec une remise en question plus aiguë des rapports entre les hommes et les femmes. Ceci a eu pour corollaire la mise en _uvre d'un processus de reconstruction de la perception des genres, discours féministes d'abord, s'élargissant à la population féminine et touchant les hommes ensuite.


Toutefois, ces changements n'affectent pas d'une manière homogène les sociétés concernées. Il faut prendre en compte les spécificités de certains contextes, situations et groupes sociaux liés à des variables comme l'appartenance à une classe sociale, à une génération, à un milieu culturel, au lieu d'habitat (urbain, rural, intermédiaire), etc. Ainsi, dans les milieux ruraux, dans les petites villes ou au sein de certaines couches sociales, les changements se sont fait sentir peut-être avec moins d'intensité, liés davantage à une sexualité sans finalité procréatrice mais toujours à l'intérieur du couple hétérosexuel, stable et monogame. D'autre part, dans la population jeune de classe moyenne des grands centres urbains, on peut constater, par exemple, un changement de la perception des genres, avec une certaine dérive des frontières traditionnelles entre la masculinité et la féminité, notamment au niveaux des apparences, phénomène que j'appelle " androgynéisation sociale " (Mendès-Leite, 1987, 1988).


C'est aussi à partir des années 1970 que les mouvements homosexuels et lesbiens arrivent à conquérir un certain espace social, visible aujourd'hui non seulement par le biais du " milieu gai " (presse spécialisée, bars, boîtes de nuit, saunas, etc.) et par la construction d'une identité sexuelle exprimée au travers du sentiment d'appartenir à un groupe social, mais aussi par une certaine banalisation sociale de l'homosexualité dans les grands centres urbains (Mendès-Leite, 1992).


En revanche, même si une certaine visibilité sociale, rendue possible par les changements des moeurs, par les médias et par le coming out (" sortie du placard ") plus ou moins public d'une partie des homosexuels et des lesbiennes, a fait de cette orientation sexuelle un certain lieu commun, les homosexualités sont beaucoup plus diversifiées que ne le laissent croire les stéréotypes sociaux formés autour d'elles. Certes, il existe des modèles plus ou moins communs aux " milieux gais " des grands centres urbains occidentaux (Altman, 1983). Mais, hors de ce cadre, ils ne sont pas toujours répandus, ou pas de la même façon. Au sein d'autres cultures, par exemple, la définition sociale des rapports homosexuels n'est pas obligatoirement similaire à celle qui a été institutionnalisée, d'abord par les discours médicaux et ensuite par les discours militants, dans les sociétés industrialisées contemporaines. Par exemple, au sein d'une tranche assez importante de la population brésilienne, et aussi certainement dans une bonne partie de celle de certains pays latino-américains, un rapport sexuel entre deux hommes ne relève pas tout à fait de l'homosexualité, du moins pas d'une manière semblable pour les deux partenaires. Ainsi, l'individu " passif " sera le seul a être socialement considéré comme homosexuel puisqu'il a adopté un " rôle féminin " pendant l'acte sexuel. L'autre, " l'actif ", verra sa virilité " préservée " aussi bien dans son identité hétérosexuelle que dans son aura de vrai macho (Fry et MacRae, 1983). L'homosexualité est donc perçue plutôt comme un rapport entre les genres (masculin-actif versus féminin-passif) qu'entre les sexes (mâle versus mâle, ou femelle versus femelle).


Des représentations semblables sont aussi répandues dans une large tranche des populations des sociétés du bassin méditerranéen (ou dans leurs anciennes colonies). Il est certain que les changements sociaux des années 1970 ont eu des répercussions dans ces sociétés, mais leur diffusion semble être bien différente de celle qu'ont connue les pays d'Europe ou d'Amérique anglo-saxonne.



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Sexualités récréatives et plaisirs chastes


 

Si, depuis la fin des années 1960 (et surtout depuis 1968) et durant la décennie 1970, grosso modo, on a assisté à la dissolution des anciens tabous sociaux et sexuels et à l'apparition d'une " sexualité récréative " (Sontag, 1989), consommatrice, libérée de tout risque, les années 1980 vont connaître aussi bien la continuation de cette vague d'épanouissement que la revalorisation d'un " plaisir chaste " (de Kerorguen, 1984). Le retour d'une tendance à la limitation dans la réalisation des appétits sexuels fait partie d'un autre mouvement, plus large, qui impose des contraintes au corps, à la conscience et à la conduite personnelle, au nom de la santé ou de la recherche d'une apparence physique idéale (Sontag, op. cit.). Elle va de pair avec le retour au romantisme, avec une nouvelle identification entre amour et sexualité, une revalorisation du couple et du mariage. En fait, ces deux voies coexistent dans les sociétés occidentales actuelles et tendent soit à une concurrence soit à un juste équilibre.


Bien sûr, l'apparition et la rapide diffusion de l'infection du vih y est pour quelque chose. Cette épidémie vient non seulement renforcer une tendance " conservatrice " dans la culture des sexualités, mais surtout imposer de nouvelles représentations et pratiques sexuelles (Altman, 1989). Nous pouvons même parler de revalorisation de certaines pratiques traditionnellement considérées comme " perverses " (masturbation, voyeurisme, exhibitionnisme, etc.) dans un nouveau contexte et surtout entre les personnes de sensibilité homosexuelle (Mendès-Leite, 1988a; Pollak, 1990). Cette espèce de " libertinage post-sida " (Pollak, 1989) est même encouragé par certaines campagnes de prévention qui envisagent le changement des représentations et des comportements sexuels, non seulement en montrant le danger de certaines pratiques mais aussi en essayant d'en érotiser certaines autres (par exemple l'utilisation des préservatifs). Ceci est vrai surtout pour les personnes à identité homosexuelle, pour qui la " libération " est perçue comme un droit acquis.


Les deux tendances précitées de cette " nouvelle sexualité " semblent donc être, sinon un choix ambigu, du moins un ménage difficile à gérer. Dans ce contexte, il y a aussi bien la mise en valeur des couples, de la monogamie et du romantisme, que la redéfinition de pratiques sexuelles jusqu'alors dépréciées.



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Homosexualités et sida :



le plaisir avec risque de vie ?


 

D'autre part, les représentations sociales des homosexualités ont bien changé depuis l'apparition du sida, aussi bien dans le milieu homosexuel que dans la société élargie. L'association immédiate, mais trompeuse, entre homosexualité et sida, largement diffusée par les médias s'est fortement ancrée dans l'imaginaire populaire et a frappé fortement les équités. Selon une enquête conduite par Pollak (1989), les personnes à identité homosexuelle en France se perçoivent comme de moins en moins acceptées par leurs collègues de travail (35 % en 1985 contre 29 % en 1989) et par leurs amis hétérosexuels (41 % en 1985 contre 36 % en 1989).


Même avec le changement des discours de prévention, qui d'une manière homogène aujourd'hui font référence à des pratiques à risques plutôt qu'à des groupes à risques, le sida reste encore identifié davantage aux groupes considérés comme situés en marge de la société (homosexuels, bisexuels, prostitués, drogués...). Les personnes contaminées mais qui ne sont pas identifiées à ces groupes ou catégories sociales sont en général représentés comme des " victimes " : enfants, hémophiles, polytransfusés ou femmes infectées par leurs partenaires bisexuels.


Ainsi, ce genre d'évocation n'est pas sans conséquence en ce qui concerne les représentations des homosexualités ou celle que les homosexuels croient être la représentation qu'a " la société " des personnes ayant des pratiques sexuelles avec des personnes du même sexe. De la même façon, les représentations que certains homosexuels ont d'eux-mêmes et des autres homosexuels à pratiques différentes des leurs sont aussi l'objet de discriminations (Mendès-Leite et de Busscher, 1990), notamment entre les adeptes du multipartenariat et ceux qui préfèrent la formation de couples stables, désignés par Silverstein (1982) respectivement comme " chasseurs d'émotions " et " constructeurs de foyers ". En fait, la coexistence de ces deux tendances chez le même individu n'est pas exclue et peut être la source de sentiments conflictuels entre le désir et la peur de la contamination. Elles peuvent aussi être manipulées par l'individu comme une espèce de " protection imaginaire " qui le rassure face aux risques de contamination (Mendès-Leite, 1992a). D'ailleurs, cette peur actualise les pulsions de mort et de destruction qui font des sexualités aussi bien une source de plaisirs que d'angoisses (Bataille, 1957).


L'existence d'un nombre important de séropositifs chez les personnes à pratiques homosexuelles fait aussi partie de cette peur. Pour les séropositifs, outre la discrimination sociale à leur égard et l'actuelle impuissance de la science à trouver une solution à la pandémie du sida, la question du dévoilement ou non de leur état sérologique s'étend à leur entourage comme à leurs partenaires sexuels. Dans ce dernier cas, la situation se complique surtout si leur " secret " n'a pas été explicité au début de la relation (ou au moment de la prise de connaissance de la contamination) et encore plus si un amant éventuel devient régulier. Pour les séronégatifs (ou pour ceux qui ignorent leur condition de séropositif, à dessein ou non), il existe toujours la peur de la contamination, même dans le cadre d'une relation privilégiée (partenaire préférentiel), indépendamment du statut sérologique de l'amant.


L'utilisation de la notion de " groupes à risque " au début de la pandémie du sida et sa divulgation un peu partout par les médias ont beaucoup contribué à l'association entre infection vih et homosexualités dans l'imaginaire populaire. Même si, aujourd'hui, on parle plutôt de " pratiques à risque " et si on démontre que la maladie est un problème qui concerne tout un chacun, il est fort probable que l'idée originale est encore présente, même sous une forme inconsciente, chez un grand nombre de personnes. De plus, il est vrai que les personnes à pratiques homosexuelles constituent le groupe le plus touché par la maladie, bien que les statistiques officielles montrent que, dans les régions où existe un milieu homosexuel plus ou moins organisé, le nombre de cas d'infection vih a tendance à diminuer parmi cette population. Il est probable que ces données aient une large influence dans la perception que la population en général se fait des homosexualités. En outre, pour les jeunes qui se perçoivent à tendance homosexuelle, l'idée qu'ils appartiennent à un " groupe à risques " peut être la source de problèmes d'identité ; de même pour l'acceptation de leur homosexualité par leur famille proche ou par leur entourage (Robinson, Walters et Skeen, 1989).


D'autre part, une autre question, toujours liée à l'association trompeuse entre comportements homosexuels et sida, est celle de certains individus qui continuent à avoir des pratiques à risque (par exemple, le refus d'utiliser le préservatif) justement pour ne pas se sentir concernés par " un problème de pédés ". Ou encore, des bisexuels qui utilisent des préservatifs lors des rapports sexuels avec d'autres hommes mais qui continuent à ne pas le faire avec leurs partenaires féminines.


Ce genre d'attitude peut être aussi une question culturelle qui relève d'une connaissance socio-anthropologique de l'imaginaire des sexualités de certaines tranches de la population. Bien évidement, prendre en considération des spécificités sociales et les changements qui sont intervenus au sein des " cultures des sexualités " constitue une démarche fondamentale lorsqu'il est question d'élaborer des campagnes d'information et de prévention, surtout quand on a affaire à des questions aussi complexes que celles liées aux sexualités et à la pandémie du sida.


Bibliographie :

Une bibliographie générale pour les articles de Rommel Mendès-Leité disponibles sur le site est accessible séparemment.




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Version remaniée des articles : Mendès-Leite, R. " Le sida et la (re)construction de l'imaginaire social des sexualités " in Guth, S. (dir) L'insertion sociale. Paris, L'Harmattan, 1994. Mendès-Leite, R. " Des " révolutions sexuelles " à l'ère du sida : bascule et reconstruction(s) des sexualités " in Mendès-Leite, R. (dir.) Sexualités et sida. Sociétés (39). Paris, Dunod, 1993. L'auteur voudrait remercier à Joël Olivier, Christian Deom, Valérie et Bruno Proth qui l'ont chaleureusement accueilli chez chacun d'entre eux pendant l'élaboration de ce texte, sans oublier leurs indispensables corrections apportées à mon français. Merci aussi à Jan-Willem Duyvendak et encore une fois à Christian Deom et à Pierre-Olivier de Busscher pour leurs commentaires et suggestions.

 

©Rommel Mendès-Leité

 

 


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