IDENTITÉ ET ALTÉRITÉ :

PROTECTIONS IMAGINAIRES ET SYMBOLIQUES FACE AU SIDA1

Rommel Mendès-Leité

Unsafe sex is not irrational, but a different sort of rationality "

Davies et. al.( 1993 : 53) .


 





Au début de l'épidémie du sida, les discours de prévention se fondaient surtout sur le postulat assez simpliste qu'il suffisait de faire connaître certains préceptes pour que les individus les adoptent d'une manière " tout à fait " rationnelle(2). Aujourd'hui, grâce aux recherches menées dans ce domaine, on sait que la gestion du risque d'infection par le vih, comme l'indique Geneviève Paicheler (1992 : 213), " cadre mal avec les modèles individualistes, rationalistes et fonctionnalistes de gestion du risque par la maîtrise du comportement propre. Ces modèles sont inopérants lorsqu'il s'agit autant de gérer son propre comportement que le comportement de l'autre, de se protéger soi-même en impliquant autrui. "


La complexité des facteurs à l'oeuvre dans la gestion des risques liée à la contamination du vih par voie sexuelle a été mise en évidence par plusieurs travaux en sciences sociales. Ils sont particulièrement centrés sur l'influence des différentes significations des comportements et pratiques sexuelles selon les divers contextes et interactions individuelles et sociales (Bochow, 1993, 1995 ; Davies et. al., 1993), ainsi que sur l'importance de l'encadrement social (Prieur, 1990) ou sur le rôle des motivations inconscientes (Lisandre, 1994 ; Odetts, 1992). Ces enquêtes sont pratiquement unanimes à remarquer que les pratiques sexuelles à risque ne relèvent pas nécessairement d'un comportement irrationnel, mais plutôt d'une autre forme de rationalité (Davies et. al., op. cit. ; Mendès-Leite, 1992).


L'analyse des données recueillies lors de recherches que nous avons développées en France et au Brésil (1990-1994) auprès d'hommes qui ont des pratiques homosexuelles et en recourant aux méthodes de l'anthropologie sociale et de la sociologie qualitative, nous a amené à des conclusions qui vont dans le même sens. A partir de 120 entretiens en face à face et d'observations sur le terrain, nous avons constaté l'existence d'un phénomène que nous avons appelé de protections imaginaires (Mendès-Leite, id. ; Mendès-Leite et de Busscher, 1992). Il montre que la majorité des individus connaissent la nécessité de la gestion des risques, sont convaincus de son importance et mettent en oeuvre certaines pratiques préventives. Cependant, ils procèdent parfois à une réappropriation des " consignes " de prévention, en leur redonnant du sens dans une autre perspective, même si à leurs yeux, le but préventif final reste le même.


L'acteur social a recours à une " manipulation " symbolique des pratiques préventives en les rendant plus proches de son propre cadre cognitif, ce qui lui permet de les réadapter tout en gardant l'impression de ne pas prendre de risques (voir Tableau 1). C'est le cas, par exemple, de l'individu qui, au lieu d'utiliser systématiquement des préservatifs lors des rapports de pénétration, ne le fait que selon l'apparence ou le style de vie de ses partenaires sexuels3. Si pour l'épidémiologie, une telle tactique peut sembler irrationnelle parce qu'inefficace, elle est tout à fait logique pour l'individu. En réalité, mais à sa manière, il ne fait qu'utiliser un des principaux " commandements " préventifs : éviter d'avoir des contacts non protégés avec une personne contaminée.


Ce genre de " relecture " semble avoir trois fonctions principales (tableau 2) : primo, (adaptation) transposer les catégories utilisées par la prévention officielle dans le cadre conceptuel propre à l'environnement socioculturel de l'acteur social ; secundo, (simplification) atténuer ou simplifier les contraintes tout en estimant conserver leur efficacité et, tertio, (négociation) négocier dialectiquement une réadaptation entre sa sexualité et les nouvelles normes sociales dictées par la prévention. Par ailleurs, les protections imaginaires s'articulent selon deux facteurs de base qui sont les rapports à l'autrui et les effets pervers (ou paradoxaux) de la prévention.



1



Une question de sens




" Le risque n'est pas une chose matérielle, c'est une construction intellectuelle très artificielle, qui se prête particulièrement bien à des évaluations sociales de probabilités et de valeurs. "

 

Douglas (s/d : 56)


 

 


L'existence d'une notion de " prévention " dans toutes les cultures et tous les systèmes sociaux est un fait anthropologiquement avéré (Dozon, 1992). Elle est un des universaux (Héritier-Augé, 1991) qui structurent la pérennité de la vie sociale en assurant une représentation de l'anticipation et du contrôle des événements. Étant une construction culturelle, la prévention et les comportements qu'elle engendre " ne peuvent être étudiés qu'au regard de l'ensemble de représentations de la maladie, du corps, du malheur, et du monde auxquels adhèrent les individus " (Fainzang, 1992 : 19). S'agissant de la transmission d'une maladie par voie sexuelle, les représentations de l'imaginaire social des sexualités (sexe, genre, catégories et orientations sexuelles, styles de vie et de sexualité, etc.) sont aussi d'une grande importance. Les individus vont interpréter les préceptes préventifs selon leur cadre cognitif socioculturel, leur donnant ainsi un sens qui va rendre possible leur mise en _uvre. C'est un mécanisme parfaitement rationnel qui ne nie pas l'importance des attitudes prospectives pour se prémunir contre la maladie. Bien au contraire, c'est exactement parce qu'ils les connaissent et qu'ils leur accordent du crédit que les individus vont se les approprier et leur donner du sens, même si à d'autres yeux le contenu " rationnel " peut sembler pour le moins paradoxal. Les recherches anthropologiques en Afrique4nous donnent nombre d'exemples de conduites sociales relevant d'une logique de prévention qui n'est pas reconnue en tant que telle par l'épidémiologie.


Porter un certain regard africaniste (Fainzang, 1989) sur les mécanismes de protection imaginaire au vih peut nous fournir des pistes intéressantes à plus d'un égard. Il est évident que, d'un point de vue conceptuel, les catégories utilisées par l'épidémiologie et celles adoptées par l'anthropologie ou par la sociologie qualitative ne sont pas forcément correspondantes puisqu'elles ne relèvent pas de la même logique (Coppel, Boullenger et Bouhnik, 1993 : 06). Mais, c'est justement l'étude socio-anthropologique de la médiation exercée entre les catégories du savoir commun et celles de santé publique qui nous intéresse ici. Leur analyse nous amène à affirmer, comme Ferrarotti (1983 : 51), que " bien loin de refléter le social, l'individu se l'approprie, le médiatise, le filtre et le retraduit en le projetant dans une autre dimension, celle, en définitive, de sa subjectivité. Il ne peut en faire abstraction, mais il ne le subit pas passivement, au contraire, il le réinvente à chaque instant. "


Il est bien vrai que le discours de prévention qui est adressé aux hommes ayant des rapports sexuels entre eux (homosexuels, bisexuels, hétérosexuels à pratiques homosexuelles...) en France, tente déjà depuis quelque temps de répondre à la diversité de leurs styles de vie. Néanmoins, sauf en ce qui concerne les pratiques sexuelles qui l'on appelle " hard ", l'ensemble des dépliants diffusés auprès de ce public considère les diverses pratiques sexuelles décrites d'une manière interchangeable5, sans prendre en considération les différentes significations qu'elles peuvent avoir selon le contexte social, sexuel et émotionnel, ainsi que selon le style de sexualité des individus.


Du reste, des notions qui à première vue semblent être évidentes pour tout un chacun, ne sont pas toujours sans équivoque. Par exemple, celle de " fidélité " peut comporter des nuances parfois subtiles qui ne l'identifient pas inévitablement au monopartenariat. Un individu peut faire la différence entre fidélité physique et fidélité émotionnelle, cette dernière étant considérée comme plus importante et n'allant pas de pair avec une exclusivité sexuelle :


C'est le coeur, je crois. C'est rester en accord avec un sentiment d'amour que l'on a pour quelqu'un. Je disais auparavant que j'ai eu des relations avec d'autres hommes pendant ces cinq ans, mais je n'ai pas le sentiment d'avoir été infidèle parce que je ne les ai pas aimés. Je ne me suis pas donné en fait... Par contre, quand je me suis donné à cet homme il y a quelques années et avec qui je suis toujours, je lui ai donné autre chose que mon corps : je lui ai donné mes pensées de tous les instants, je lui ai donné ce sentiment que l'on a rarement, trop rarement peut-être, mais qui est le sentiment d'amour que l'on a au fond de soi... Aux autres hommes que j'ai rencontrés, je n'ai pas donné tout ça : j'ai donné juste mon corps pour un instant... " (VDS, 28 ans, vendeur)6.


La fidélité est morale; ce n'est pas une question physique. (PAR, 70 ans, architecte).




Ainsi, nombre de couples (homosexuels mais aussi hétérosexuels) admettent une vie sexuelle extra-conjugale, cela ne mettant pas nécessairement en cause leur relation principale.


Je suis très jaloux, donc la fidélité j'y accorde assez d'importance. Mais je la perçois, en rencontrant de plus en plus des mecs, que la fidélité dans l'homosexualité c'est quelque chose de quasiment impossible. Je n'ai rencontré aucun couple fidèle à cent pour cent. Si les couples marchent, c'est parce que chacun va voir de son côté de temps en temps et qu'ils se retrouvent le soir (VDS, 25 ans, analyste programmeur).


Pour moi, la fidélité, c'est pas quelque chose de sexuel. [] Moi, je pense que je suis fidèle à Paul d'une certaine manière... C'est vrai que j'ai eu des relations sexuelles ailleurs, mais en général c'est des choses qui ne comptent pas beaucoup ou même pas du tout (PAR, 37 ans, pupitreur en informatique).




La distinction entre partenaire occasionnel et partenaire habituel peut être utile dans ce genre de situation. Mais un partenaire de passage ne nous semble-t-il pas régulier si l'on envisage de le rencontrer de nouveau ? De plus, même quand la fidélité est associée au monopartenariat, sa durée peut être trop limitée pour constituer vraiment un gage de sécurité; elle s'apparente dès lors à une monogamie sérielle et à court terme. D'autres questions sont soulevées par des variables culturelles comme le pacte du silence, forme de dénégation servant à garder les apparences d'une fidélité sexuelle et affective selon un schéma des plus traditionnels dans nos sociétés.


Non c'était comme ça, mais officiellement on était fidèle. On parlait pas de ça parce que je savais qu'il savait; et il savait que je savais... Alors, bon, pourquoi gâcher une relation comme on avait qui était si rare pour des histoires de cul de cinq minutes ? (PAR, 38 ans, chanteur de variétés).


Je pense que c'est pas le fait d'avoir, heu, des relations sexuelles en dehors du couple qui empêche un couple de fonctionner. [] Oui, je pense que... oui, je pense qu'on peut être fidèle effectivement, heu, sans que ça implique forcément une exclusivité, hein. [] Ah oui, ce que je voulais dire c'est que je ne suis pas persuadé quand même qu'il faille forcément jouer toujours la franchise absolue dans le couple lorsqu'il peut y avoir, heu, attirance ou, heu, trouble, hein, trouble sexuel. Je crois que quelquefois heu... Ben, la franchise peut faire mal. Oui, parce qu'on peut être tenté hein on peut être tenté de, de jouer la franchise, la lutte contre l'hypocrisie, tout affirmer à l'autre : le moindre trouble que l'on peut ressentir vis-à-vis de tel ou tel. Heu, on fait mal quand même ! Je crois qu'on peut, on peut détruire quelque chose, on peut détruire l'autre (VDS 32 ans, biologiste).




Des catégories liées au sexe et au genre peuvent aussi entrer en ligne de compte, même si c'est dans un nombre plus restreint de cas. Que penser, par exemple, des clients de travestis interrogés par Mendes Lopes (1995) qui, du fait qu'ils ne sont pas " tout à fait " des homosexuels, ne considèrent pas leurs rapports de pénétration non protégés comme à risques ?


Quelquefois, ce sont les pratiques sexuelles socialement stigmatisées qui sont considérées comme étant " la source " du mal à éviter. Ainsi, de jeunes beurs hétérosexuels de la banlieue parisienne étudiée par Boullenger (Coppel, Boullenger et Bouhnik, 1989 : 48) disaient avoir cru que " ça ne pouvait s'attraper qu'en ayant des rapports par derrière. " De même, des femmes responsables de l'antenne régionale d'une grande association française de lutte contre le sida7ne se considéraient pas " moralement autorisées " à parler du safer sex aux jeunes gens, car elles considèrent vraisemblablement comme anormaux des rapports sexuels autres que la pénétration8.


Comme nous l'avons affirmé auparavant, ces stratégies de protection imaginaire et symbolique ne signifient pas que les personnes concernées ne connaissent pas la prévention du sida ou ne croient pas à son efficacité. Au contraire, face à la demande sociale de rationaliser des comportements et des pratiques (sexuelles) qui sont perçues par la majorité comme relevant d'un cadre naturel, voire instinctif, l'acteur social met en place des répliques culturelles. L'une des répliques possibles est de répondre à l'appel d'une rationalité particulière qui semble équivalente ou même plus " logique " que celle qui est originellement proposée.


De nombreux auteurs travaillant dans le domaine de la sociologie ou de l'anthropologie du risque sont d'accord sur le fait que leur évaluation individuelle est construite en fonction de la pratique quotidienne des individus. Comme nous le rappelle Duclos (op. cit. : 41), " celle-ci n'est certes pas irrationnelle, mais sa logique n'est pas celle d'une intégration de toutes les probabilités. Il s'agit d'une rationalité "limitée" qui permet de traiter de questions actuelles et locales en "oubliant" ce que l'on est, de toutes façons, incapable d'envisager. " Même si une telle observation a été faite à propos des formes de prévention tout à fait différentes de celle qui nous intéresse ici, elle est parfaitement applicable à la gestion des risques de contamination du vih par voie sexuelle. Tout en étant conscientes du risque fatal représenté par le sida, certaines personnes procèdent à une gestion différentielle des pratiques et des gestes préventifs. Au but principal de se protéger de la contamination, elles ajoutent " naturellement " celui d'amoindrir les contraintes représentées par les restrictions qu'impose la prévention.


Les difficultés vis-à-vis des gestes préventifs telles qu'elles sont perçues sont variables et sont différemment hiérarchisées selon les individus et leur appartenance socioculturelle. Ainsi, si pour certains hommes la difficulté principale est l'utilisation matérielle du préservatif (le contact du caoutchouc sur la peau), pour d'autres, elle peut être plutôt la " cassure " représentée par les gestes " fonctionnels " de mise en place du préservatif. Certaines personnes utilisent sans difficulté les condoms pour la pénétration anale (ou vaginale) mais restent incapables de le faire pour la fellation. Pour d'autres, la difficulté majeure peut être l'abandon de la sodomie ou alors la réduction du nombre de partenaires. Ils sont ainsi amenés à faire des choix pragmatiques et à privilégier les gestes qui leur semblent les plus réalisables.


Ces limites qui s'imposent à la prévention sont déjà prises en considération dans plusieurs pays qui ont renoncé depuis quelque temps à l'objectif " sexe sans risque " (sécurité maximale)9, privilégiant d'une manière plus réaliste le " sexe à moindre risque. " Ainsi, en Europe occidentale, mais cependant d'une manière différentielle, on a vu le discours préventif officiel laisser de côté l'idée de l'abandon de la sodomie ou de l'obligation du préservatif pour la fellation. Du reste, certaines enquêtes ont montré que plusieurs aspects de ces objectifs se sont avérés insurmontables pour un nombre important d'hommes à pratiques homosexuelles10. Pourtant, dans les tactiques de prévention dirigées vers les hommes à pratiques homosexuelles en France, on assiste à une espèce de recrudescence des recommandations visant à réduire le nombre de partenaires ou à vanter les vertus de la fidélité et du monopartenariat. C'est ainsi qu'une brochure rééditée cette année, ajoute ces conseils au contenu préexistant. Même si ce genre de consignes paraît dépassé dans le monde anglo-saxon, dans notre pays on prêche contre les rapports sexuels avec " le premier venu " et on s'oppose à la drague " en tout lieu. " Ce type d'affirmation conforte les stratégies adoptées par les individus qui se retrouvent dans une zone de protection imaginaire en appuyant leur logique préventive sur le choix subjectif de leurs partenaires sexuels d'après leur apparence, leur style de vie ou leur origine géographique :


Depuis le sida, ma vie sexuelle a changé dans le sens où, lorsque je fais une rencontre comme ça un après-midi, j'essaye de juger le partenaire à qui j'ai affaire, avec qui je suis en face, pour savoir si c'est quelqu'un qui est susceptible de... d'être contaminé. Je sais pas, heu, par l'apparence, ouais. Si ça se voit ? Ben je sais pas, y a des gens avec qui, qu'on rencontre une fois, avec qui on a plus confiance que d'autres. Heu un type que je rencontre tous les jours sur un lieu de drague heu, non, je n'irai pas parce que ça c'est vraiment trop, c'est trop tenter le sort là. [] Mais disons que, si c'est quelqu'un qui semble être en bonne santé, heu enfin ça ne veut rien dire hein... Je sais pas, mais quelqu'un qui... semble en bonne santé, qui heu a un look vestimentaire très correct, et tout... J'aurais peut-être plus confiance quand même, même si c'est à tort. Même si c'est à tort parce que, après tout, bon ben on sait pas qui il est, on sait pas d'où il vient (NAN, 36 ans, conducteur d'autobus).


Cette question du sida me gêne moins du moment qu'on est à Niort. C'est évident que si j'étais allé à Paris ça serait caoutchouc ou pas de sexe, que j'aime ou pas le préservatif, je l'aurais pris je crois... (VDS, 26 ans, éducateur spécialisé).


J'en connais qui sont morts du sida. Oui, même plusieurs mais c'est pas à Niort : ce sont des gens qui ont... qui voyageaient beaucoup. (VDS, 74 ans, retraité).


Ça [la sodomie] ne m'est arrivé qu'une fois, je dirais. Et c'est à Paris avec un Parisien, enfin avec quelqu'un qui vivait à Paris. Mais lorsque j'ai eu des relations ici, heu, pour autant que je me souvienne, ne s'est jamais posée [la question de la sodomie] sauf avec une personne une fois mais enfin quasiment jamais. Hein, mais ça m'est arrivé seulement à Paris. Ce sont des pratiques qui en province heu sont moins répandues, oui je le pense, oui. [] Je crois que ça n'est pas pour rien que... Heu, oui, mais j'ai eu l'occasion de discuter justement lors de mes petits séjours à Paris et puis, donc, j'ai eu l'occasion heu de un petit peu de pratiquer hein et de la refuser alors que je n'ai jamais eu à opposer la moindre résistance heu ici, ici dans la région. [] Je me suis demandé s'il s'agissait, si... bien sûr, s'il avait une espèce d'autocensure encore en province ou, enfin ici, ou s'il avait un phénomène, heu, de mode et de un petit peu de, de, de plagiat, hein, de Paris sur ces rapports à certains types, disons, standardisés de relations homosexuelles. Je n'ai pas de réponse toute faite mais je crois qu'il y a un petit peu des deux, hein (VDS, 32 ans, biologiste).




Crédulité semblable à celle des personnes qui, parce qu'elles diminuent le nombre de leurs amants, présument pouvoir relâcher l'utilisation systématique des préservatifs11.


Continuer à adopter le multipartenariat, mais seulement avec des personnes soigneusement élues, est l'une des formes d'adaptation des pratiques sexuelles privilégiées, à partir d'une relecture des consignes préventives. En France, elle a été également constatée, avec certaines spécificités, auprès des jeunes hétérosexuels de banlieue (Coppel, Boullenger et Bouhnik, 1989) ou de personnes divorcées ou séparées (Bastard et Cardia-Vonèche, 1992). De même, chacun essaie de faire cadrer ses préférences et pratiques sexuelles avec une logique préventive mais, selon le même raisonnement, les individus réadaptent aussi cette logique à leurs goûts et penchants. Ils " profitent " par exemple du fait que le discours sur l'importance du préservatif pour la fellation est très ambigu pour trancher exactement en faveur de ce qu'ils préfèrent.


Non, non, je n'utilise pas des préservatifs pour la fellation. Ouais, seulement pour la sodomie. La fellation, donc, on n'a pas démontré qu'il y avait des risques. Il y en a, peut-être, certains; mais étant donné que c'est très limité par rapport à... Enfin, je pense qu'il y a un pourcentage beaucoup moins élevé, donc... (VDS, 25 ans, analyste programmeur).


Ma sexualité... Je n'aime pas la sodomie et avec ou sans préservatif, tu élimines déjà vachement le risque... Maintenant, la fellation si tu ne te fais pas éjaculer dans la bouche... Je fais gaffe quand même... J'ai entendu... J'ai couché avec des mecs séropositifs, parfois ils me le disaient ou j'entendais dire j'ai couché quand même avec eux... [] Pareil, j'embrassais peut-être moins... Ils me le disent... J'ai su pour peu de personnes... Je ferai hyper gaffe qu'il ne m'éjacule pas dans la bouche... La personne va éjaculer, je tousse et le mec.. on sent quand le sperme arrive, ça non.. Ca m'est arrivé une fois que le mec me maintenait la tête et je me suis... je le sens. Même avec n'importe qui... toujours je sens l'arrivée de l'orgasme... (PAR, 22 ans, étudiant).


Pour la fellation je sais pas trop ! C'est... Les avis des médecins étant parfaitement partagés, étant donné que c'est relativement... Dans ce domaine là, heu, là je dois dire... Je sais pas trop : il y en a qui disent que oui ça se transmet et il y en a qui disent que non, ça ne se transmet pas, heu... [] Ca dépend je veux dire j'ai fait une fellation sans, j'ai fait une fellation avec, je trouve ça ignoble avec heu je trouve ça vraiment très désagréable parce que vraiment c'est du plastique hein donc ça me... Quel est le critère pour l'utiliser ou pas ? Ca dépend du partenaire : s'il veut le préservatif je mets le préservatif sans aucun problème; s'il veut pas le préservatif j'ai plutôt tendance à pas avoir tellement envie de le mettre, étant donné qu'en plus les avis des médecins sont extrêmement divergeants sur le sujet. Alors, par contre, bon, ce à quoi je fais, j'essaye de faire plus attention, c'est de pas avoir de sperme dans la bouche. Non, non, non, ça veut dire que, bon, si, s'il y a fellation qui risque d'amener à l'orgasme, heu, j'essayerais d'éviter que l'orgasme se produise directement dans la cavité buccale, malheureusement... ça me gênerait pas du tout (PAR, 21 ans, étudiant).


Alors là, écoute... le problème est là.... il est évident que à partir du moment où il y a pénétration, il y a préservatif. Mais il y a le problème de la fellation. Moi, je ne peux pas sucer du plastique, je ne peux pas... Il y a le problème de la fellation... Là je prends un risque, même s'il est minime, je sais qu'il y a un risque... [] Non, ça ne m'est jamais arrivé que quelqu'un jouisse dans ma bouche... J'évite de sucer trop longtemps... [] Je me fais sucer aussi, oui. Si là je mets un préservatif? Eh ben non (PAR, 37 ans, pupitreur en informatique).


À propos de la fellation, il y a quand même une incertitude qui est plus forte que pour la sodomie... On m'a dit que le risque était minime, disons que je l'ai cru... En plus, la fellation est quand même une pratique, quand même majoritaire dans notre sexualité : on y passe tout le temps... Je n'ai pas tout le temps le sperme dans la bouche mais on y passe... Je peux très bien me retirer, mais je pense que le garder dans la bouche et le jeter... ça suffit, je me rince après et puis lui aussi (PAR, 23 ans, étudiant).




Dans le même ordre d'idées, l'un de nos informateurs se présentait comme étant " complètement et uniquement actif " et cependant au cours de notre entretien, il nous a raconté s'être fait sodomiser à l'occasion de rapports sexuels avec des personnes qu'il jugeait " sûres " compte tenu de leur corpulence12. Une autre possibilité consiste dans l'adaptation d'outils " Ersatz " pour remplacer ceux recommandés officiellement, non disponibles pour des raisons diverses comme le prix ou tout simplement le manque à un moment précis. Ainsi, on peut utiliser des crèmes grasses (vaseline, " crème nivéa ", beurre) à la place des gels hydrosolubles. Boullenger (Coppel, Boullenger et Bouhnik, op. cit. : 52) en donne un exemple plus radical : un jeune Parisien banlieusard ne voulant pas laisser échapper l'occasion d'une " partouze " et n'ayant pas de préservatifs sur lui, les a remplacés par un sac de supermarché.



2



Le sens de l'altérité


" La prévention n'est jamais sans risques. "

Kipman (1994 : 17).


 


Le rapport avec autrui est une des problématiques de base pour la prévention. N'oublions pas que, comme nous le rappelle Maheu (1994 : 03), " être prévenu, dans le jargon judiciaire, au demeurant bien éloigné du discours médical, c'est être accusé, inculpé pour un délit ou pour un crime. Sur un plan plus personnel, avoir des préventions à l'égard de quelqu'un a pour synonymes la défiance, le partis pris. " Tout comme le terme prévention, les pratiques qu'elle englobe ne sont pas symboliquement anodines. Se prémunir contre une maladie (aussi) sexuellement transmissible, comporte une double gestion : celle de soi et celle des rapports avec autrui. Ce qui implicitement met en garde vis-à-vis des autres. Si l'on doit maîtriser ses actes pour éviter la contamination, dans la transmission sexuelle elle ne peut venir que par le biais d'une autre personne. En conséquence, l'autrui représente directement ou indirectement " le danger. " Quand le langage préventif dit qu'il faut éviter des rapports non protégés ou qu'il faut restreindre le nombre de partenaires, c'est à l'égard d'autrui qu'elle met en garde. Par contre, quand il affirme qu'il faut être fidèle à son compagnon ou qu'on peut avoir des rapports sans préservatif si on est sûr de sa séronégativité et de celle de son partenaire unique (ou régulier), le discours de prévention enseigne qu'on peut faire confiance à certains autrui.


Les principales protections imaginaires et symboliques que nous avons identifié dans les discours de nos interviewés qui sont liées à ces cas de figure sont, parmi les " mécanismes de repérage ", le jeu des apparences, les zones à risque, l'âge du danger, le mauvais genre, les questions d'identité, les plaisirs dangereux, ainsi que, parmi les " mécanismes de maintien ", le pacte du silence, la monogamie sérielle, les rapports de confiance et le pacte du sang13. Il existe dans ce type de raisonnement deux catégories d'autrui : l'Autre familier et l'Autre étranger14. Les rapports que nous entretenions avec eux ne sont pas les mêmes, le niveau de confiance que nous leur portons non plus. Néanmoins, la différence entre ces deux catégories n'est pas figée : au contraire, elle est dynamique et l'on peut transiter aisément de l'une à l'autre. C'est tout particulièrement le cas quand il s'agit de devenir connu et par conséquent de conquérir une confiance qu'on ne " méritait " pas auparavant. C'est quelque chose de parfaitement banal dans les rapports sociaux, mais cette dynamique peut être aussi la source de manipulations qui constitueront des stratégies de protection imaginaire et symbolique.


On peut remarquer que la question se pose grosso modo selon le processus suivant (tableau 3). D'abord, on repère si l'Autre étranger correspond effectivement ou non à un Autre dangereux15par son apparence (jeux des apparences), son origine sociale ou géographique (zones à risques), sa génération (l'âge du danger), son style de vie (mauvais genre) ou ses préférences sexuelles (pratiques dangereuses). Si la personne en question " ne rassure pas ", on peut la refuser ou choisir d'avoir des rapports sexuels avec elle mais évitant la pénétration (voire la fellation) ou en ayant recours aux préservatifs. Un autre cas de figure consiste en ce que le partenaire potentiel, correspondant aux critères de sélection envisagés par l'acteur social, soit considéré comme un Autre étranger à moindre risque. Avec lui, on pourra d'emblée ne pas prendre les précautions habituellement recommandées, ne le faire qu'à moitié ou seulement pendant un certain laps de temps. Par la suite, le cadrage du nouveau partenaire dans la catégorie " à moindre risque " peut se renforcer et le degré de connaissance que l'on va en avoir, le convertira en un Autre familier (rapports de confiance). La confiance acquise et parfois l'émergence de sentiments comme l'amitié ou l'amour vont jouer un rôle fondamental (pacte du sang). Une fois qu'il est déjà considéré comme Autre familier sans risques, certains mécanismes peuvent entrer en scène pour éviter que le partenaire redevienne un Autre dangereux. Les stratégies liées à la fidélité (pacte du silence, monogamie sérielle) sont à cet égard très significatives.


A l'appui de notre démonstration, présentons maintenant quelques-uns uns des résultats obtenus à partir de l'étude du vocabulaire utilisé par nos informateurs parisiens à pratiques homosexuelles concernant les représentations sociales de l'homosexualité et des homosexuels. A partir des réponses à plusieurs questions sur ce sujet et grâce à l'aide d'un logiciel d'analyse de fréquence des mots, nous avons identifié trois niveaux d'organisation du vocabulaire.


Les principaux axes discursifs s'organisent autour des trois niveaux qui font la médiation symbolique entre la représentation que l'acteur social fait de son identité sexuelle et la représentation qu'il pense être celle de la société élargie. Ils correspondent aux trois classes de vocabulaire qui sont présentées au tableau 4.


Pour définir ces classes, nous reprenons à notre compte la distinction faite par MacIntosh (1968) entre rôle socio-sexuel (l'ensemble des attentes auxquelles l'acteur " devrait " idéalement correspondre et qui peuvent ou non se concrétiser) et comportement sexuel (défini comme l'interprétation à divers niveaux des variations du rôle). Ainsi, nous avons défini ces trois niveaux (ou classes) comme étant le rôle (" ce qu'on attend de nous ", classe 1), l'interprétation que l'acteur fait de son rôle et qui, en général, ne correspond pas exactement à toutes les attentes socialement formulées (" ce que l'on est ", classe 3), et la performance par laquelle l'acteur social présente d'une manière sélective l'interprétation de son rôle selon ce que lui semble socialement souhaitable conformément aux circonstances ( " ce que nous laissons voir ", classe 2)16.Comme on peut l'observer, le mot " sida " n'apparaît que dans la première classe. Elle correspond à ce que nos informateurs pensent être les représentations que la société élargie a de l'homosexualité et des homosexuels. Il est intéressant de remarquer que les sous-catégories formées par les mots organisés dans cette classe ( " repérage ", " stéréotypes sociaux ", " désignation ", " distance sociale " et " inconnu " ) sont aussi sous entendues dans les facteurs de base qui structurent les protections imaginaires et symboliques fondées sur les rapports à l'autrui. Ainsi, dans la gestion de leurs rapports avec l'Autre étranger (qui peut être un Autre dangereux, parce que contaminé), nos informateurs utilisent une logique qui est proche de celle qu'ils présument être adoptée par la société élargie (autrui) pour " penser " les homosexuels. Ce qui à la limite n'est pas surprenant puisque les deux raisonnements ont un but semblable : gérer les rapports avec l'altérité. De plus, les personnes à pratiques ou identité homosexuelle sont socialisées selon les même schémas culturels que tout un chacun.


L'autre facteur de base dans la genèse des protections imaginaires est la " traduction " qui peut être faite de certaines " prescriptions " dictées par le discours de prévention et qui produisent parfois des effets " pervers. "


Dans cet ordre de choses, un dépistage négatif réitéré a quelque fois la valeur symbolique d'un exorcisme de la maladie : s'il est effectué d'une manière régulière, voire même d'une façon compulsive tous les trois mois (période potentielle de séroconversion), c'est qu'il est perçu parfois comme une sorte de vaccin.


Je fais un dépistage tous les trois mois (PAR, 26 ans, sommelier).


Oui, à peu près tous les six mois. Après chaque résultat négatif, cela me rassure, oui. Des fois, je dis que j'ai de la chance quand même, effectivement... Oui, je crois que c'est une hygiène de vie, il faut se faire dépister tous les six mois (PAR, 37 ans, pupitreur en informatique).


Et... heu... je fais des tests pour le sida tous les trois mois, je suis séronégatif, j'ai pas le sida, j'ai pas le cancer alors que je fume quatre paquets par jour et heu... [...] Heu les pipes ça j'adore mais je sais pourquoi je sais faire les pipes, enfin je sais faire les pipes oui je veux dire je sais pourquoi, je... j'aime. Pourquoi ? Parce que j'ai l'impression de dominer complètement l'individu. [...] Hein ah j'adore, ça me rend dingue ça. Si j'avale le sperme ? Ca m'arrive oui, ça dépend qui, ça dépend qui... Non absolument pas, ça ne me fait pas peur. Je demande rien du tout... Je leur dis avant tout je suce sans préservatif, parce que s'ils me disent avec, je dis c'est pas la peine de venir. [...] Les types éjaculaient dans ma bouche, oui. Dans cette centaine de personnes qui ont dû passer par ma bouche il y a certainement quelques uns qui... bien sûr, (qui sont) séropositifs. Ah oui tout à fait j'en suis bien conscient forcément. Si ça ne me dérange pas ? Ah pas du tout. [...] Je fais le dépistage tous les trois mois. A peu près, oui, quand même... Et ce qui me surprend moi-même c'est que je suis toujours séronégatif, ça m'amuse (PAR, 38 ans, chanteur de variétés).


Ah c'est tous les six mois, ça remonte y a deux mois [...] Non parce que en plus on ne sait pas comment cette maladie évolue, je veux dire là maintenant, je veux dire, on peut être infecté et puis heu développer la chose dix ans après, donc je veux dire, y a dix ans moi, je sais pas moi ce qui c'est passé quoi, si je sais ce qui c'est passé mais bon je veux dire je prêtais pas attention. Absolument donc y aller tous les six mois ça me paraît normal (PAR, 34 ans, directeur dans le milieu de la mode).


On fait des petits dépistages réguliers. Ben, tous les trois, trois-quatre mois ! Tous les deux, mon ami et moi. [...] Ben, parce que même en faisant attention, comme on a on heu, il nous arrive d'avoir des aventures extérieures, bon ben par précaution, on préfère faire un dépistage. [...] ah ben oui, bien sûr, bien sûr, on serait totalement fidèle sexuellement l'un l'autre, bon y aurait pas de problème, mais à partir du moment où il nous arrive d'avoir des aventures, heu on j'estime qu'il est un petit peu plus prudent, même beaucoup plus honnête par rapport aux gens que l'on peut rencontrer, de faire un dépistage (NAN, 36 ans, conducteur d'autobus).




De la même façon, le constat répété d'un statut sérologique négatif peut être interprété en termes d'immunité innée ou acquise lorsque celui-ci est associé à la sodomie non protégée ou à des nombreux contacts sexuels unsafe avec des personnes séropositives. Ce qui, comme le suggère de Busscher17, peut relever d'une interprétation assez libre du modèle pastorien.


Tout comme le dépistage, le préservatif peut aussi avoir une valeur symbolique qui réduit son efficacité. Cela se traduit par son utilisation irrégulière ou par le fait de l'avoir toujours dans la poche ou dans le portefeuille sans pour autant y avoir recours. Ce qui nous amène à une réflexion semblable à celle que fait Zonabend (1989 : 142) à propos de la " confiance " qu'ont les travailleurs des usines nucléaires dans les appareils de mesure de la radioactivité. Cet anthropologue observe [qu'] " il y a transformation symbolique et métaphorique de ces objets [...]. Dans cette perspective, il n'est guère besoin de s'interroger sur leur fiabilité puisque c'est affaire de croyance. " L'utilisation circonstancielle des diverses formes de fidélité ou de la réduction du nombre de partenaires suivant les diverses stratégies sélectives sont d'autres " transformations métaphoriques " (Zonabend, id.) des consignes de prévention qui peuvent avoir des conséquences pour le moins ambiguës.


Ces manipulations symboliques (avec des effets bien concrets) n'invalident pas l'ambition préventive en soi, toutefois elles mettent en lumière quelques-uns unes de ses limitations ou au moins de ses dilemmes. Ou, comme l'avance Dozon (op. cit. : 33) à propos des limites d'un " contrat social ", de partage de responsabilités pour la prévention de l'épidémie, cela ne veut pas dire " qu'il ne puisse effectivement susciter des pratiques préventives, bien plutôt est-il amené à les découvrir beaucoup plus complexes et diversifiées, associées à des configurations de sens qui s'en approprient, par des tours souvent paradoxaux, le contenu "rationnel". "


Bien sûr, présentés de cette manière rapide et presque caricaturale, les processus de mise en pratique des protections imaginaires et symboliques peuvent sembler trop rigides. En fait, ils sont dynamiques et comportent plusieurs variations et combinaisons que l'espace que nous pouvons leur consacrer ici ne nous donne pas l'occasion de développer davantage. De ce fait, l'enjeu principal, à notre avis, est celui de prendre en considération le niveau symbolique implicite à la prévention en l'analysant aussi comme une construction socioculturelle et, en tant que telle, productrice de sens et de logiques différentes.




TABLEAU I

LES PROTECTIONS IMAGINAIRES ET SYMBOLIQUES

 

DESCRIPTIF

MÉCANISMES DE REPÉRAGE :
Le jeu des apparences Sélection des partenaires fondée sur l'apparence (corpulence, hygiène, feeling, etc.)
Zones à risque Sélection des partenaires fondée sur l'origine sociale ou géographique
Age du danger Sélection des partenaires fondée sur des critères de génération
Question d'identité Sélection des partenaires à partir de leur identité sexuelle (hétéro-, homo- ou bisexuelle)
Mauvais genre Sélection des partenaires fondée sur leur style de vie socio-sexuel connu ou supposé (milieu, " hors ghetto ", multipartenaire, etc.)
Plaisirs dangereux Sélection des partenaires fondée sur leurs pratiques sexuelles connues ou supposées (sodomie, sadomasochisme, etc.)
MÉCANISMES DE MAINTIEN : Pacte du silence Négation du multipartenariat par l'un ou les deux membres d'un couple : " n'en parlons pas et cela n'existe pas. "
Monogamie sérielle Suite de périodes de fidélité successives
Rapports de confiance Créditer d'une confiance minimale les partenaires inconnus et maximale les partenaires connus
Pacte du sang Réassurance basée sur les sentiments (amitié, passion, amour).
EXORCISME DE LA MALADIE Exorcisme par le test de dépistage Croyance en une immunité innée et acquise à la suite de tests réitérés aux résultats négatifs
Exorcisme par la possession du préservatif Confiance acquise par la simple présence du préservatif dans la poche ou dans le portefeuille
Exorcisme par la réduction des partenaires Confiance vis-à-vis d'une stratégie de réduction du nombre de partenaires ou d'une forme de fidélité considérée comme suffisante.

 


 

 

TABLEAU II

LES PROTECTIONS IMAGINAIRES ET SYMBOLIQUES.

FONCTIONS ET FACTEURS DE BASE.


A Fonctions 1. Transférer Les catégories utilisées par la santé publique sont traduites dans les cadres socioculturels des acteurs sociaux.
2. Simplifier Les acteurs sociaux diminuent les contraintes des slogans préventifs. Ils supposent, alors que l'efficacité reste la même.
3. Négocier Au travers une négociation dialectique, il est procédé à un réajustement entre la sexualité de l'acteur social et les nouvelles " normes sociales " énoncées par la prévention.
B Facteurs de Base 1. Les rapports à l'autre
2. Les effets négatifs (ou paradoxaux) de la prévention.

 

 








1

Version remaniée des articles : Mendès-Leite, R. " The meaning of otherness : male homosexualities and imaginary protections ". in Friedrich, D. et Heckmann, W. (eds.) Aids in Europe : The Behavioural Aspect. Vol. 2 : Risk Behaviour and its Determinants. Berlin, Sigma,1995 ; Mendès-Leite, R. " Identité et altérité ". Gradhiva. Revue d'histoire et d'archives de l'anthropologie (n· 18). (Section histoire de l'ethnologie du Musée de l'Homme, École des Hautes Études en Sciences Sociales). Paris, Jean Michel Place éditeur, 1995; Mendès-Leite, R. " Une autre forme de rationalité : les mécanismes de protection imaginaire et symbolique " in ANRS, Les homosexuels face au sida. Rationalités et gestions des risques. Paris, ANRS, 1996; Mendès-Leite, R. " Imaginary protections against Aids ". Journal of Psychology and Human Sexuality, sous presse. Ces articles présentent certains aspects d'une recherche développée en France et au Brésil, grâce au soutien de l'Agence Nationale de Recherches sur le Sida (ANRS, France) et du Conselho Nacional de Desenvolvimento Cientifico e Tecnologico (CNPq, Brésil). Il est issue d'une présentation orale à la table ronde " Men who have sex with men ", du colloque Aids in Europe - The Behavioural Aspect (Berlin, septembre 1994). L'auteur remercie Pierre-Olivier de Busscher pour la présentation des tableaux ainsi que pour les discussions autour des différentes versions du texte. Merci aussi à Michael Bochow, Yves Souteyrand, Marie-Élisabeth Handman, Françoise Zonabend, Teresa del Valle, Christian Deom et Catherine Deschamps pour leurs suggestions.

2

Pour une présentation synthétique ainsi que pour une critique de ces approches, voir Davies et. al., id. : 45 - 51.

3

C'est ce que McKusick et. al. (1985) appellent des stratégies sélectives.

4

Voir, par exemple, Augé, 1984; Faizang, 1989, 1992.

5

À ce propos, cf. de Busscher, 1995.

6

Par manque de place pour exposer les analyses liées aux variables culturelles et géographiques, nous n'avons utilisé comme exemples dans cet article, que des extraits d'interviews faites en France, même si les protections imaginaires ont été également constatées au Brésil. Néanmoins, à chaque extrait d'interview nous précisons la région où réside l'informateur (PAR pour l'Ile de France, NAN pour Nantes et sa banlieue, et VDS pour la Vendée-Deux-Sèvres), son âge et sa profession. Bien évidement, ces données concernent l'époque où s'est déroulé l'entretien (août 1990 - avril 1992).

7

Nous avons réalisé ces interviews en collaboration avec Neila Mendes Lopes dans le cadre du projet à l'ANRS : La construction sociale des sexualités en Europe du Sud, sous la direction scientifique de Marie-Élisabeth Handman

8

Pour elles le safer sex représentait quelque chose qui n'avait rien à voir avec l'utilisation du préservatif, que d'ailleurs elles soutenaient sans réserve. Peut-être parce que ce dernier suppose des rapports de pénétration, donc " normaux. " Pour une problématique proche, Cf. Spencer, 1993.

9

À ce propos voir de Busscher, op. cit.

10

C'est le cas, par exemple, de la politique de prévention néerlandaise qui, au lieu de recommander aux homosexuels l'utilisation de condoms pour la pénétration anale, les exhortait à se priver de la sodomie (Duyvendak et Koopmans, 1991).

11

Pour une discussion sur cette problématique, voir Mendès-Leite, 1995a.

12

Ainsi, il affirmait éviter les rapports sexuels avec des personnes maigres, perçues comme étant " des gens pas sûrs côté santé ". Ceci nous semble être lié aussi bien à la diffusion par la grande presse de photos de malades avec un sida avancé et en état de grande déchéance physique qu'également aux avatars traditionnels d'une certaine symbolique du gros (sur ce dernier point, voir Fischler, 1987).

13

Pour les définitions de ces protections imaginaires, voir le tableau 1

14

Ici nous adaptons à nos propos une terminologie utilisée par Fainzang (1989 : 88).

15

Dangerous Other, dans l'expression de Clatts et Mutchler, 1989.

16

Cette question est exposée plus longuement en Mendès-Leite, 1988 (version nord- américaine : 1993).

17

Communication personnelle

©Rommel Mendès-Leité

 


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