Publication originale : Mendès-Leite, R. " Genres et orientations sexuelles: une question d'apparences ? ". GREH et. al. Homosexualités et Lesbianisme: mythes, mémoires, historiographies. Actes du colloque international (3 volumes). Lille, Cahiers GKC, 1989-1990. pp. 109 - 147.
GENRES ET ORIENTATIONS SEXUELLES :
UNE QUESTION D'APPARENCES ?1
Rommel Mendès-Leité
" Notre infiniment riche pléthore d'identités sexuelles, nos homens, mulheres, bichas, miches, viados, travestis, sapatoes, monas, ades, monocos, saboeiras et ainsi de suite ne sont pas la simple traduction des "homosexuels" , "hétérosexuels" et "bisexuels" qui peuplent les terres anglo-saxonnes. Ce sont des personnages d'un théâtre de significations qui ont leur histoire et leur logique propres. "
Fry, 1987 : 12 |
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Les " prescriptions " sociales de normalité
" Il n'y a pas une réalité unique mais des manières différentielles de la concevoir. " Maffesoli , 1985 : 05 |
Partie intégrante de l'ensemble formé par l'imaginaire et les pratiques sociales, les sexualités, dans leurs constructions sociales et historiques, sont influencées par des principes déterminés (et par certaines contradictions) qui traversent le tissu culturel, y compris au niveau du pouvoir. D'ailleurs, aussi bien au plan de la psyché qu'au niveau des formations sociales, elles permettent que certaines notions comme la hiérarchie ou l'égalité qui lui sont transmises culturellement aient une répercussion très importante, que ce soit d'une manière consciente ou non. En fait, ces notions, " du fait d'être exprimées par le langage du sexe, structurent la conscience plus profondément qu'elles ne le feraient, véhiculées par d'autres langages " (Fry, 1982 : 112). Et ainsi, les perceptions et les représentations sociales (et individuelles) de la culture des sexualités, construites progressivement, servent également de base à une large variété de relations de domination, de manipulation, mais aussi de ruse, allant des formes institutionnalisées jusqu'aux formes capillaires (Foucault, 1982) qui traversent le tissu social et se font sentir jusque dans les interactions primaires et quotidiennes des individus.
J'ai désigne l'ensemble des " prescriptions sociales " relatives aux sexualités qui déterminent les représentations, comportements et pratiques qui sont exigées, souhaitées, tolérées ou interdites " d'idéologie sexuelle dominante ". Dans ce contexte, j'utilise la notion d'idéologie pour désigner un système d'idées et de représentations que les acteurs sociaux ont des structures sociales ainsi que la position qu'ils y occupent (Katz cité par Bezerra de Menezes, 1984). Ce système va servir de référence (" moyen de pensée commune ") au groupe, qui peut le confirmer, le nuancer ou le contester, mais ceci toujours en l'utilisant en tant que paramètre, même parfois en n'en ayant pas conscience ou en le faisant d'une façon rusée par le biais d'une sorte de jeu d'apparences, ce que j'appelle de " mimétisme social " (Mendès-Leite, 1987, 1988).
Les systèmes idéologiques sont formulés en articulation avec les relations concrètes de la production et de la reproduction sociale, aussi bien qu'avec les organisations et les institutions de la société.
Bien évidemment, chaque formation sociale à un moment historique donné peut présenter des configurations idéologiques spécifiques.
La perception que les individus ont de leur position au sein de l'univers social va définir, d'une manière réciproque, la codification des relations que les acteurs sociaux ont entre eux. Ou, pour dire les choses autrement, les relations sociales entre groupes ou personnes ne sont pas construites unilatéralement, mais impliquent nécessairement des références aux rapports avec autrui (ou avec les autres groupes ou catégories sociales). La perception que l'individu social a de lui-même et de ses diverses relations avec le monde social (life-word : Berger, Berger et Kellener, 1973 ; Schutz et Luckmann, 1977) qui l'environne va être marquée non seulement par le niveau d'attente qu'il entretient avec ce monde, mais aussi par les expectatives qu'il croit que la société élargie entretient avec lui.
J'ai utilisé à dessein l'expression, apparemment antinomique, " d'individu social " pour souligner que l'individuel et le collectif non seulement se complètent mais aussi, justement parce qu'ils sont complémentaires, s'opposent également parfois. Ces relations, de fait, ne sont pas obligatoirement d'exclusion (Berger et Luckmann, 1987), puisque l'individu peut ruser avec les situations à travers ses " performances circonstancielles " (Mendès-Leite, 1988) et réussir à arranger d'une façon " convenable " les différences et les contraires au sens de la lecture que fait Durand (1969 : 401) de la métaphore musicale, et que Maffesoli (1979) nomme " d'antagonisme harmonique. "
En général, d'une manière idéale, les prescriptions sociales renvoient à un choix entre une variété de possibilités, réalisant un mécanisme idéologique que Baechler (1976 : 22 - 23) nomme " fonction de désignation. " D'après cet auteur, lorsque l'individu opère un choix entre une variété d'alternatives, il est influencé par ce qui est socialement souhaitable, opération qui constitue une manifestation idéologique. La fonction de désignation réduirait donc la complexité de la gamme variée d'éventualités de la vie sociale, en choisissant des représentations déterminées qui orienteraient ainsi les procédés des acteurs sociaux dans un rayon d'action relativement large. Les systèmes idéologiques embrasseraient alors l'ensemble du monde social en orientant le choix de solutions qui même si elles l'interprètent d'une forme nuancée, voire opposée, lui font néanmoins référence.
Le pouvoir coercitif des représentations sociales majoritaires est, de cette manière, toujours présent, mais, en règle générale, assez subtil. En vérité, il ne se ferait d'habitude percevoir que face à un comportement hors des modèles déterminés par les normes. C'est à ce moment qu'entrent d'habitude en jeu les mécanismes sociaux de " re-socialisation " ou de " liquidation " (Berger et Luckmann, op. cit.), qui ont pour fonction le réencadrement de l'individu déviant.
Le " mimétisme social " , à son tour, peut être une manière utilisée par " l'outsider dissimulé " (pour reprendre à mon compte une notion de Becker, 1985) d'échapper à ces procédés thérapeutiques " , en ayant recours aux performances circonstancielles pour donner l'impression de se conformer à l'idéologie dominante, mais sans pour autant se départir vraiment de ses représentations alternatives et d'un comportement en marge de ceux qui sont institutionnalisés. Une telle " performance stratégique " exige cependant de l'individu un inévitable effort allié à un certain niveau de conscience et d'auto-affirmation, ce qui peut être interprété par lui à travers d'une identité construite en rapport au sentiment d'appartenance à une catégorie socio-sexuelle spécifique (Pollak, 1988), ceci même sans aller jusqu'à son expression publique, ou seulement à un public ciblé et censé accepter la " déviance " , ou encore ne la percevant pas comme telle. Toutefois, ces jeux d'apparences peuvent aussi exprimer le refus de l'individu à être encadré dans cette identité cristallisée (Mendès-Leite, 1990), même s'il a des pratiques qui sont d'ordinaire perçues dans l'imaginaire collectif comme typique de la catégorie en question.
Bien évidemment, il existe aussi la possibilité que l'individu s'affirme socialement comme ayant une identité liée à une catégorie " déviante " en jouant publiquement le rôle qui lui est attribué. Cette visibilité peut se concrétiser comme l'expression d'une volonté politique d'évacuer l'étiquette de déviance assignée à son groupe social, ce qui se passe d'abord par l'affirmation de la " différence " (qui n'est pas perçue comme anormal), suivi (ou non) par sa banalisation, voire par son intégration à l'ensemble du corps social (Cf. Mendès-Leite, 1989 ; Schérer, 1990).
D'autre part, et d'une façon beaucoup plus prosaïque, la performance du " déviant " peut aussi être interprétée par lui-même comme étant la plus proche possible du rôle socialement attribué à la catégorie à laquelle il se sent appartenir, tout en se conformant à l'étiquette de déviant.
Il ne faut pas oublier que certaines institutions sociales, après avoir été collectivement objectivées et en se consolidant au sein du parcours historique d'une société donnée, finissent par se réifier, en étant perçues comme transcendantes par rapport à l'homme lui-même (Duarte Junior, 1985 : 42 - 43). Ainsi, le monde social finit par se fondre avec le monde de la nature, dans une opération indirecte de maintien de l'univers symbolique socialement légitimé. L'identification entre le social et le naturel justifie sa légitimation et favorise la concrétisation des prophéties sociales d'auto-réalisation (self-fulfilling propheties Merton, 1965), aussi bien au niveau des rôles qu'à celui des performances des acteurs sociaux. Certains de ceux-ci ont tendance, d'une manière consciente ou non, à interpréter, au plus près leurs rôles socio-sexuels (aussi bien que les performances sociales qui leur sont liées), dans un souci d'hyper-conformité, en plein accord avec les " prescriptions " idéologiques qui définissent les catégorisations sociales.
Certainement, les perceptions du monde social, même lorsqu'elles se réfèrent à des modèles largement consacrés, ne sont pas homogènes partout dans la société. Ceci laisse la place à une polysémie d'interprétations d'un même système idéologique, générant une diversité de visions de monde (Geertz, 1978) qui nuancent le paradigme social. Ces perceptions divergentes, quand elles sont exprimées par certaines catégories ou groupes sociaux minoritaires, essayant de se légitimer socialement en tant que référence acceptable, même si elles subissent des pressions de la part des mécanismes de conservation du système idéologique dominant. Ainsi, coexiste une pluralité idéologique de sous - systèmes de représentations concurrentes, sans être pour autant forcement contradictoires (antagonisme harmonique). Dans d'autres publications, j'ai appelé " ambigusexualité " ces aspects nuancés, mouvants et polymorphes de la culture des sexualités (Mendès-Leite, 1988, 1990).
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Des vicissitudes d'être un " authentique " macho2
Il n'y a culture que par le partage d'une tradition vivante. Une culture s'est tout un réseau de représentations, d'attitudes, de références qui irrigue le corps social - inégalement, certes, mais globalement.
Levy-Leblond, 1984 : 90 |
Je voudrais considérer dans cet article l'idéologie sexuelle actuellement dominante dans la société brésilienne, insérée dans le contexte de l'imaginaire occidental contemporain et liée plus spécifiquement à l'imaginaire des sociétés dites " latines " ou " méditerranéennes ".
Mais, avant cela, je souhaiterais rappeler que les expériences sociales vécues par les acteurs, même si, dans la pratique, elles présentent parfois des alternatives, des nuances au système majoritaire de représentations (l'imaginaire social hégémonique ou, autrement dit, l'idéologie dominante), elles font pourtant toujours référence à ce dernier. Ainsi, même si, entre les représentations et les pratiques, il existe des décalages, " il est aussi vrai que, dans la mesure où la perception est fabriquée et contrôlée par les représentations, l'action sociale sera dirigée par elles. De plus, l'action sociale, même décalée par rapport aux priorités établies par les représentations, est toujours incluse dans les termes que celles-là posent. De plus, bien qu'elles soient très souvent conflictuelles et contradictoires, elles sont utilisées dans la vie quotidienne pour expliquer, légitimer ou condamner certaines actions " (Fry, 1982 : 112).
À partir de ce raisonnement, on peut conclure que les interprétations adjacentes à l'univers idéologique, ayant celui-ci comme paradigme, sont interprétées par rapport à ce référentiel socialement institutionnalisé. L'idéologie sexuelle dominante dans une société donnée va alors déterminer les modèles référentiels de la culture des sexualités.
Mais jusqu'à quel point ceux-ci se reproduiront-ils à l'intérieur des conceptions sociales divergentes ? Ou encore, les univers interprétatifs minoritaires seront-ils constitués par un réarrangement d'éléments du système idéologique majoritaire?
J'essayerai de saisir ces questions dans le contexte de la formation sociale de la ville de Fortaleza (capitale de l'État du Ceará, dans la région Nordeste du Brésil), en me référant à l'idéologie sexuelle dominante et en considérant comme idéologie minoritaire le système de représentations propre aux visions du monde des individus de sexe masculin à tendance homosexuelle.
L'idéologie sexuelle actuellement prépondérante au Brésil a comme principales caractéristiques : primo, la hiérarchisation des relations entre hommes et femmes, avec la supériorité des premiers et, par conséquent, une plus grande valorisation de toutes les représentations attachées au rôle du genre (gender role) masculin ; secundo, l'attribution au statut de l'adulte marié d'un prestige social plus grand, duquel on attend un comportement sexuel monogame, bien que traditionnellement ambigu dans la pratique, surtout pour l'homme (configuration que j'appellerais de " double morale ") ; tertio, un tel modèle présuppose que les relations à caractère sexuel-affectif se font exclusivement entre individus de sexe opposé (orientation " hétérosexuelle "), mais, dans la réalité l'importance majeure est consacré plutôt à la complémentarité de genres (masculin et féminin) qu'à celle des sexes (mâle et femelle).
Tracer le parcours historique qui nous conduirait aux origines du sexisme3est une tâche fatalement polémique. De plus, comme il existe une énorme littérature sur ce sujet4. Je ne m'y étendrais pas car ceci dépasserait les intentions les plus immédiates de la présente analyse. Je préfère chercher à saisir ce qu'est le machisme, l'une des expressions du sexisme qui exerce un rôle fondamental dans les rapports sociaux au Brésil, surtout dans la région Nordeste, où se trouve Fortaleza, ville où a été développé le terrain de quelques-unes de mes recherches (1983 - 1991).
Il est intéressant de noter qu'il n'existe que très peu d'analyses sociologiques sur le machisme dans le contexte spécifique de la société brésilienne. Un tel fait est très certainement le signe, selon Bezerra de Menezes (1983), que " les silences de nos sciences sociales peuvent être révélateurs d'un processus d'occultation des aspects indésirables de notre société ".
Le machisme est un trait caractéristique des sociétés latino-américaines, et de la société brésilienne en particulier. Il se présente comme un système de représentations, de comportements et de pratiques qui est un paramètre à prendre en compte au-delà des genres. Il présuppose, d'une façon consciente ou non, la mise en valeur hiérarchique de tout ce qui est culturellement considéré comme masculin et qui se trouve érigé au rang de norme sociale. Ce système de représentations forgé sur le genre procède à une mystification de cette hiérarchisation des rapports entre hommes et femmes, ou plus précisément entre masculinité et féminité. Malgré cette opposition en deux pôles l'un dominant et l'autre dominé , les genres, puisqu'ils sont culturellement définis d'une façon contrastée, se complètent et opèrent leur mutuelle confirmation d'objets5. Comme l'affirme Drumont (1970 : 01), le machisme " est le culte de l'homme "fort" qui sait se battre, non seulement pour avoir une femme, mais aussi pour défendre ses idées ". Le macho " est un bon amant, qui sait mener et dominer la femme, tant dans les relations sexuelles que dans les relations quotidiennes économiques, morales ou physiques. Le machisme se présente comme un modèle de comportement, une certaine façon de vivre en groupe, qui est acceptée par la société plus ou moins consciemment et qui est acquise par la transmission de patterns culturels socialement adoptés ".
Ainsi, loin d'être une " question individuelle ", le machisme est un " argument idéologique " qui présente des modèles sociaux normatifs pour les individus mâles et femelles, qui ne seront considérés socialement comme masculins et féminins que par l'apprentissage (construction des identités) et par l'extériorisation des comportements socialement " prescrits " (rôles sexuels).
La perspective machiste ne nie pas les modèles de la féminité. Au contraire, il est nécessaire pour sa propre existence qu'elle les accepte car ils sont complémentaires et, comme tels, interdépendants. Tout est réalisé dans une perspective phallique qui idéalise la virilité et qui se manifeste principalement dans les attitudes de mépris envers les activités, représentations et individus dits féminins, et cela dans une adéquation de complémentarité hiérarchisée où son statu quo n'est pas menacé puisque sa supériorité est considérée comme " normale ", " naturelle " et que, par conséquent, elle ne peut être mise en cause. C'est à l'homme, supposé " plus fort ", que correspondrait la protection et, suprême confirmation de sa virilité, la conquête de la femme, considérée comme " pôle faible ". En revanche, la femme doit assumer le rôle inférieur qui lui est imposé dans cette relation de domination et l'accepter comme une réalité " naturelle ".
De cette manière, se forme un paradigme social stéréotypé qui commande les représentations et les actions, en déterminant ce qui est attendu ou ce qui est exigé en fonction du genre de l'individu. C'est-à -dire que, en fixant des modèles pour des rôles de genre socialement admis, l'idéologie sexuelle machiste marque les acteurs sociaux et les encadre dans un modèle établi par elle, de sorte que l'univers ne devient compréhensible même en ses interprétations divergentes qu'à l'intérieur de son optique.
Il existe ainsi un système d'encadrement incorporé au niveau du genre qui, d'une manière éventuellement subliminale, pousse les individus à entrer dans le schéma socialement formulé. C'est-à-dire, dans le système de représentations et de comportements qui a pour modèle l'élaboration dichotomique (au niveau d'idéal-type) " masculin-supérieur " versus " féminin-inférieur ", et qui s'exprime dans l'asymétrie de toutes les perceptions sociales intégrables à l'intérieur du schéma d'opposition-complémentarité des genres. De cette manière, la perspective machiste adopte comme paradigme l'individu mâle, adulte et hétérosexuel. C'est sa sexualité envisagée comme moteur de la reproduction et admise dans cette perspective qui est considérée comme modèle idéal servant de paramètre à toutes les autres sexualités, ceux dernières considérées comme des " appendices " à confirmer et justifier son existence (par similitude ou par contraste) (Daniel, 1983 ; Molleda-Pernas, 1988).
Le machisme est dominant au Brésil et davantage encore dans le Nordeste, l'une des régions brésiliennes les plus démunies tant économiquement que socialement et politiquement. Drumont (op. cit.) affirme que, malgré son existence dans toutes les classes sociales, le machisme s'exprime là-bas sous différentes formes, en fonction de la place que les structures familiales occupent à l'intérieur du système économique.
Castelo Branco Bezerra de Menezes (1983) trace un rapide profil du " machisme de l'homme du Nordeste ", dans lequel cet auteur souligne quatre indicateurs fondamentaux : primo, la grande valeur encore attribuée au rôle de la femme au foyer (l'épouse doit s'occuper de la maison, des enfants et du mari) ; secundo, la fidélité conjugale est très valorisée et entraîne des conséquences relativement graves en terme de relation (le mariage donne à l'homme la possession et l'accès exclusif au corps de sa femme) ; tertio, la virginité de la femme est encore une valeur d'actualité, quoique perçue d'une façon contradictoire, surtout par les jeunes, qui sont encore conditionnés à établir un lien entre le comportement de leur futur épouse et le fait qu'elle ait ou non un hymen intact ; quarto, le machisme s'exprime aussi dans les rapports quotidiens de micro-pouvoir (Foucault, 1982) (dans de nombreux cas, l'argent de la femme est contrôlé par son mari, même si elle travaille, et c'est à lui aussi qu'incombe de prendre les décisions importantes).
L'une des contradictions du modèle machiste-hétérosexuel est la " double morale. " Malgré l'institution de la monogamie, qui est encore très valorisée dans la société brésilienne, les comportements vis-à-vis des deux sexes ne sont pas exactement les mêmes dans leur conception. Du point de vue " officiel " , autant les hommes que les femmes doivent s'abstenir de relations extra-conjugales. Mais, en réalité, il est socialement admis qu'un homme ait des liaisons sexuelles et même sentimentales en dehors du mariage. En revanche, ce comportement est en général interdit aux femmes. L'homme qui a des aventures extra-conjugales démontre socialement, selon le point de vue machiste, la puissance de sa virilité et, comme tel, il doit être considéré avec admiration, ou du moins avec complaisance (d'ailleurs, il se peut que l'épouse soit plutôt fière de cette expression sociale de la " puissance " virile de son époux). De son côté, la femme qui agit ainsi est considérée socialement comme une débauchée, qui entache les institutions du foyer, du mariage et de la maternité. Même si son époux a des aventures, elle doit faire semblant de les ignorer ou, dans le pire des cas, demander la séparation légale. Mais pour les Brésiliens " moyens ", le statut de la femme divorcée est assez ambigu, voire même négatif.
Les parents et amis de la femme qui découvre l'adultère de son mari lui conseillent souvent de " fermer les yeux " devant ces attitudes masculines considérées sans importance quant au " vrai " bon fonctionnement de la vie conjugale, procédé connu sous le nom de " pacte du silence ". La conduite jugée adultère par la " morale populaire " n'existe que pour la femme, considérée comme la gardienne de la descendance et de l'honneur de son mari.
Au niveau de l'orientation sexuelle, l'idéologie machiste dominante dans la société brésilienne présente également des ambiguïtés, encore que le comportement " homosexuel " chez les hommes soit fortement dévalorisé socialement, et bien souvent même interdit, il n'est considéré de la sorte que lorsqu'il est associé à un comportement " passif ", caractérisé principalement par l'attitude " réceptive " dans le coït6et aussi, mais pas obligatoirement, par un langage corporel socialement perçu comme efféminé. Ainsi, un " macho " qui a des rapports sexuels avec une bicha7n'est pas perçu comme un viado8 s'il dit être toujours l'actif. Selon cette logique, un mâle peut (et même doit) exercer sexuellement sa puissance virile avec n'importe quel partenaire appartenant au genre féminin. Les rapports importants sont en fait ceux qui se passent entre les genres, plutôt que ceux entre les sexes. cependant, la copulation, dans ce contexte, ne doit être constituée que par une fellation ou par un coït anal, au sens strict du terme, sans aucune espèce de caresse, tendresse, baisers ou actes du même type, et sans aucune interférence sentimentale (le plaisir doit résider dans les rapports de pouvoir, de domination, et non dans les rapports sexuels eux-mêmes). Par ailleurs, ce genre de contacts ne doit être pratiqué que sporadiquement car sa fréquence peut être interprétée comme le signe d'une attirance prépondérante de l'individu pour ce type d'attirance sexuelle. Ceci susciterait une méfiance quant à sa " véritable " sexualité (orientation et identité sexuelles). Il est intéressant de remarquer qu'en règle générale ces " personnages " n'ont une identité homosexuelle, ni bisexuelle, notions qui ne me semblent pas vraiment valables pour saisir la mouvance de ces " performances circonstancielles " (Mendès-Leite, 1987, 1988).
Il n'est pas rare qu'après le coït, le " vrai macho " maltraite moralement la " bicha " et en vienne même parfois à la brutaliser, parce qu'il la considère comme un individu abject, malade et représentant une insulte à sa virilité9. C'est principalement (mais pas exclusivement) le cas lorsque le " macho " (ou bofe, dans " l'argot du milieu "10) est un michê11. Il est intéressant de remarquer qu'il existe des bichas qui préfèrent avoir des relations (homo)sexuelles avec des hommes à identité hétérosexuelle, les " authentiques machos " selon la logique interne de ce schéma.
Une autre ambiguïté que l'on rencontre au sein de la culture des sexualités au Brésil, c'est l'habitude, dans certaines situations exceptionnelles (comme le carnaval ou le " rite de passage " pour la vie universitaire, une sorte de bizutage actuellement quasi abandonné), que ces mêmes hommes qui, normalement, méprisent les " efféminés " se travestissent publiquement en femmes, dans une caricature des rôles sociaux les plus divers, depuis les fiancées vierges et ingénues jusqu'aux prostituées (cf. da Matta, 1981). En général, ils portent des vêtements et des colifichets féminins, mais conservent les " attributs " extérieurs de la virilité, comme les poils, la barbe, les moustaches et arborent même des reproductions phalliques démesurées. Ceci produit un résultat ambigu qui est, encore une fois, l'expression d'un profond mépris (inconscient ou non) envers les " vraies " femmes.
Il me semble que ces formes d'homosocialité (Aerts et al., 1988) et bien d'autres encore qui appartiennent à la culture brésilienne des sexualités, revêtent d'une certaine manière une certaine ambiguïté sexuelle (" ambigusexualité " , Mendès-Leite, 1988) qui met en valeur le jeu des apparences. Je pense également que les hommes qui pratiquent ce genre d'action le font en ayant à l'esprit surtout les autres hommes, auxquels ils vont pouvoir conter leurs prouesses sexuelles et, bien entendu, toute une variété de bravades. Réellement, d'une façon inconsciente ou non, " l'authentique macho " cherche à l'être et à le démontrer plutôt pour soi-même et pour le regard des autres hommes, dans un jeu compétitif à l'intérieur duquel la femme n'exerce qu'une simple fonction secondaire.
Encore que très répandus, les modèles machistes traditionnels ont subi des changements, surtout à la suite de ceux qui se sont produit aux Etats-Unis et en Europe Occidentale à partir de la Deuxième Guerre mondiale. À cette époque, les hommes enrôlés dans l'armée durent s'acquitter de certaines tâches perçues comme domestiques et que des millions de femmes occupèrent des emplois considérés auparavant comme exclusivement masculins. Au Brésil, ces modifications ont apparu surtout à partir des années 1970, dans le sillage des mouvements féministes qui ont émergé à peu près depuis 1975, avec l'institution par l'ONU de la décennie et de l'année internationale de la femme (Leon, s/d : 486).
D'une manière ambiguë, en ce qui concerne les innovations introduites, les modèles traditionnels semblent encore très présents dans la société brésilienne, qu'il s'agisse des attitudes quotidiennes comme la discrimination sur le marché du travail, de la " double morale " ou de l'agression permanente envers les femmes avec les innombrables cas de viol et même d'assassinats impunis.
En revanche, Castelo Branco Bezerra de Menezes (op. cit.) note que les attitudes masculines d'aujourd'hui montrent déjà certains changements, mises en évidence surtout par l'effort conscient des jeunes pour se libérer des traits machistes qu'ils ont intériorisés pendant le processus de socialisation. Il en existe certains qui essayent de trouver une nouvelle définition à leur rôle de mari, de père et de maître de maison à partir de pratiques bien concrètes : assumer pleinement la paternité, faire un effort pour participer d'une façon égalitaire à la division des tâches domestiques et à l'éducation des enfants, etc. Bien évidement, ces caractéristiques ne sont pas rigides et changent aussi avec l'âge des couples et des partenaires, parfois d'une façon contradictoire.
La " double morale " a aussi été contestée suite à la mise en cause des rôles masculins et féminins. Cela se traduira par une recherche d'une identité sociale nouvelle dans les relations intimes, qu'il s'agisse du mariage institutionnalisé ou pas.
Logiquement, on ne peut pas parler d'une disparition complète des modèles traditionnels et de leur remplacement par de nouvelles formules. Cela commence à se développer, mais d'une manière lente et progressive. En réalité notre typologie est plutôt un idéal-type.
De fait, dans le vécu, les représentations, les actions et les pratiques des acteurs sociaux oscillent entre plusieurs modèles, mélange qui peut aussi être une source de conflit potentiel. Malgré cela, nous pouvons parler d'au moins deux idéologies concurrentes de base : l'idéologie machiste dans laquelle la hiérarchisation des relations entre les genres et rôles sexuels avec la prédominance du masculin est le point-clé et l'idéologie égalitaire où on essaie de redéfinir les rôles et les identités sexuelles dans une perspective plus symétrique.
Je pense qu'actuellement, compte tenu de l'apparition de valeurs nées des modifications survenues dans les paradigmes de relation entre les genres et les sexes, sans qu'aucun de ces modèles ne soit devenu prépondérant, on se trouve face à une période " confusionnelle " (Maffesoli, 1985) et ambiguë. Le choix entre une variété de possibilités se manifeste et, comme presque toutes subissent aussi bien des incitations qu'une réprobation, selon le milieu social, la fonction idéologique de la " désignation " (Baechler, op. cit.) devient plus fluide.
Il faut également souligner qu'au Brésil, ces changements dans la perception des genres se reflètent également dans les rôles et identités sexuelles. On commence déjà à mettre en question le prétendu fait que le machisme constituerait un modèle privilégié pour les hommes. Tandis que le féminisme dans sa " seconde phase " attribue la) situation défavorable des femmes plutôt au système social dans son ensemble qu'aux hommes en tant qu'individus, des mouvements masculins commencent à naître et à se plaindre que ces derniers sont, eux aussi, des " victimes " du machisme. En fait, pour certains d'entre eux, plus qu'un privilège, le fait d'être un " authentique macho " est en réalité un poids plein de vicissitudes.
Sans doute, le modèle machiste au Brésil, comme ailleurs, est actuellement la cible de transformations sociales. En réalité, surtout en ce qui concerne les couches moyennes, les rapports entre les genres ne sont plus les mêmes. Et en même temps que les conditions d'insertion sociale des femmes sont en train de changer, on parle aussi du surgissement des " nouveaux hommes ". Mais, néanmoins, le fait que le machisme est mis en question présuppose qu'il a encore son importance dans l'imaginaire de la culture brésilienne des sexualités.
De toute manière, la mise en question du rôle masculin commence a entrer dans les m_urs. On en trouve un exemple dans la chanson intitulée Guerreiro Menino (" Le guerrier enfant "), de Luiz Gonzaga Junior :
" Un homme pleure, lui aussi,
petite brunette.
Il aime aussi qu'on le prenne dans ses bras
avec des mots doux.
Il a besoin de tendresse,
il a besoin de caresses,
il a besoin d'être embrassé
par sa propre candeur.
C'est triste de voir un homme, guerrier-enfant,
avec le poids du temps sur ses épaules.
Je vois qu'il pleure, je vois qu'il calme
la douleur qui est dans sa poitrine
et qu'il aime, il aime.
(De cette façon) on ne peut pas être heureux,
on ne peut pas être heureux... "
Il est vrai qu'on voit également apparaître des groupes d'hommes qui, à l'image de l'Associação dos Machões Brasileiros (" Association des Grands Machos Brésiliens ") de Belo Horizonte12, revendiquent une réaffirmation sociale de leurs " privilèges " et de leurs " prérogatives " contestés. D'un autre côté, un " symptôme " des transformations et de leur ambiguïté se retrouve dans l'énorme succès de certaines chansons pendant les années 1980, qui, par la voix de chanteurs célèbres et jouissant d'une grande influence auprès des classes moyennes, ont chanté le " droit " des hommes à récupérer leur " part féminine " (Super-Homem, de Gilberto Gil) car " être un homme féminin ne blesse pas mon côté masculin " et " si Dieu est garçon et fille, je suis à la fois masculin et féminin " (Um homem feminino, de Pepeu Gomes).
Cette situation confusionnelle peut parfaitement être résumée par les paroles d'une ancienne chanson très répandue au Nordeste13, qui a été reprise par le chanteur Ney Matogrosso :
" Je n'ai jamais vu de tête de cobra
ni la peau d'un loup-garou...
si tu cours après l'animal, il t'attrape ;
si tu ne bouges pas, il te prend.
Parce que je suis l'homme,
Petite, je suis un "authentique" homme :
voilà ce que je suis ! "
L'ambiguïté se situe au niveau de la mise en scène de l'artiste qui, en plus du fait qu'il chante avec une voix de fausset, lorsqu'il se produit en concert, est habillé et maquillé d'une manière androgyne, voire féminine, et aussi parce qu'il fait des gestes caricaturaux efféminés, ce qui, dans l'imaginaire populaire, serait un comportement typique d'une " bicha " stéréotypée.
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Question(s) de genre
" La sexualité, avant d'être une substance, une condition de la nature humaine, est surtout une construction sociale. "
Fry, 1982b : 112 |
Dans un autre article (Mendès-Leite, 1990), j'ai déjà affirmé l'importance que je pense devoir accorder à la distinction entre sexe biologique (sexe) et sexe social (genre) au sens de l'anthropologie sociale, pour une analyse socio-anthropologique des cultures des sexualités. Il existe alors pour chacun des deux sexes et aussi, pour parler d'une façon plus large, pour chacun des deux genres un ensemble de procédés culturellement souhaitables, qui sont l'expression sociale des identités sexuelles, et qu'on nomme " rôles sexuels. " À ces derniers sont associés certains comportements sexuels qui leurs sont idéalement correspondants. Dans cette même ligne de raisonnement, je voudrais mettre en évidence que, dans la culture brésilienne des sexualités, il existe des représentations (qui, bien évidemment, se concrétisent en certaines pratiques) selon lesquelles le rôle adopté pendant la pénétration (vaginale ou anale) est une question de grande importance en ce qui concerne la construction sociale des rôles et identités sexuelles. Bien évidement, les identifications entre pénétrant (actif) et pénétré (passif) , d'une façon tranchée, ne correspondent pas toujours à la réalité, les pratiques étant beaucoup plus mouvantes et nuancées. Mais elles servent de paramètre social, surtout en association aux rôles de genre, auxquels elles sont tellement identifiées au point d'être perçues comme un " ensemble naturel ". Le tableau suivant peut nous donner un aperçu de la corrélation de ces éléments dans le cadre de l'imaginaire sexuel dominant au Brésil, en faisant référence aux notions socio-anthropologiques que j'utilise pour mes analyses :
Hommes et femmes
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1. Sexe biologique | Mâle | Femelle |
2. Genre (sexe social) | Masculin | Féminin |
3. Comportement sexuel | " Actif " (pénétrant) |
" Passive " (pénétrée) |
Dans la logique populaire de l'imaginaire des sexualités au Brésil, il est convenu d'associer à l'identité homosexuelle une inversion des rôles de genre. Selon cette optique, tandis que les hommes " à tendance homosexuelle " seraient féminins, les femmes, de leur côté, seraient masculinisées. Toujours selon ce raisonnement, tandis que les premiers seraient toujours " passifs " dans la relation sexuelle, les secondes seraient toujours " actives ". De plus, dans les représentations populaires les plus répandues de l'homosexualité masculine au Brésil, une telle conception est encore renforcée par la croyance que " l'homosexuel " n'est que celui qui est pénétré au cours d'une relation sexuelle, personnage qu'on nomme communément et péjorativement bicha.
Ceci nous renvoi à une rapide analyse de la taxonomie du discours aussi bien populaire que scientifique, les deux nécessitant un affinement des limites des concepts et notions utilisées.
Je me suis déjà référé (Mendès-Leite, 1990) aux difficultés auxquelles fait face la science dans sa tentative de délimiter ce qui définirait exactement ce que nous appelons " l'homosexualité "14. Les discours populaires de la culture des sexualités au Brésil, par exemple, sont bien imprécis, réflexe évident d'une réalité qui est loin d'être " ordonnée " et perçue d'une façon cartésienne. Entremêlés de notions issues des littératures de vulgarisation psychanalytique et médicale, ces discours " syncrétistes " sont souvent assez mouvants et connotés de jugements de valeur et de préjugés. La problématique devient encore plus complexe lorsqu'on analyse les discours des individus à " identité homosexuelle " (Mendès-Leite, 1986). Au Brésil, l'usage de termes péjoratifs d'argot comme bicha, veado et sapatão ou saboeira15, est mélangé à ce que j'appelle " l'argot du milieu ", véritable " dialecte spécialisé " comportant aussi des termes courants, mais détournés de leur sens habituel. Le labyrinthe sémantique devient encore plus complexe compte tenu du fait qu'il n'existe pas une " identité homosexuelle ", mais plutôt une diversité d'identités homosexuelles, et que les divers acteurs utilisent parfois les mêmes vocables dans des interprétations ayant des significations différentes, voire antinomiques.
Un autre fait à prendre aussi en considération est le " travail " réalisé par certains mouvements associatifs homosexuels qui ont cherché à modifier le sens péjoratif de certains termes à travers leur usage quotidien (MacRae, 1982, 1983), attitude semblable à celle des mouvements " homosexuels " français face au terme " pédé ".
En tout cas, dans les discours populaires, " l'homosexualité " est définie plutôt par rapport au sexe. Et, en " cohérence " avec les discours sur les genres, cette lecture utilise aussi comme paradigme le modèle hiérarchique qui valorise la masculinité par rapport à la féminité. De même en ce qui concerne les comportements traditionnellement " attachés " à chacun des genres. Ainsi, le système majoritaire de ces représentations divise les individus qui ont des pratiques sexuelles avec des individus du même sexe en deux grandes catégories : les " actifs ", populairement nommés bofes16 , et les " passifs ", connus dans le discours populaire comme bichas. Évidemment, cette catégorisation s'effectue en fonction de " l'identification " (par le biais des apparences, jugées ou masculines ou féminines) de celui qui exerce (la bicha passive) dans une relation sexuelle.
Dans ce contexte, il est clair que les jeux des apparences sont fondamentaux pour les discours de catégorisation par rapport aux genres, comportements et orientations sexuelles. De même que, toujours d'après cet univers symbolique, les relations sexuelles admises comme " déviantes " sont celles qui sont censées se dérouler entre individus jouant le même rôle de genre. D'après Fry (op. cit. : 90) , " ces relations sont considérées comme déviantes parce qu'elles brisent la règle fondamentale du système qui exige que les relations sexuelles affectives correctes aient lieu entre différents rôles du genre, ordonnés hiérarchiquement ".
Le tableau suivant17nous donne un aperçu des codifications sociales de ce système de représentations, que Fry (op. cit.) appelé " hiérarchique " et qu'il a élaboré à partir de l'univers " homosexuel " de la ville de Belém18 :
Homosexuels masculins au Brésil
I- Système " Hiérarchique "
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1. Sexe biologique | Mâle | Mâle |
2. Genre | Masculin | Féminin |
3. Comportement sexuel | " Actif " (Pénétrant) |
" Passif " (Pénétré) |
4. Orientation sexuelle | Hétérosexuelle | Homosexuelle |
Ce système de classification, selon Fry (op. cit. : 91 - 92), semble coexister dans toutes les régions géographiques brésiliennes, avec une prépondérance dans le Nordeste et parmi les populations à faibles revenus des grandes villes, aussi bien à l'arrière pays qu'en général. Ceci coïncide avec l'affirmation de Drumont (1970 : 95) se référant à l'univers " hétérosexuel " et précisant que le machisme déjà majoritaire au Brésil l'est encore plus dans le nord-est du pays.
La logique des personnages du " système hiérarchique " est compréhensible au sein de ce schéma socialement formulé et, lorsque les actions de ces individus ne lui " obéissent " pas, ils prennent bien garde que cette " déviance " reste cachée (19). C'est une piste supplémentaire par rapport au fait que, comme je l'ai déjà souligné, " les définitions de la réalité ont un pouvoir auto-réalisateur " (Berger et Luckmann, op. cit.). La " déviance " dans ce système (constituée par les relations sexuelles entre personnes du même genre) est, d'ailleurs, l'objet de plaisanteries qui démontrent l'ironie vis-à-vis de ce qui est considéré comme ridicule, plutôt que comme quelque chose de scandaleux. C'est pourquoi on dit que homem com homem dá lobisomem (" un homme avec un autre homme, ça fait un loup-garou ") , mulher com mulher da jacaré (" une femme avec une autre, ça fait un alligator ") et bicha com bicha dá lagartixa (" une bicha avec une autre bicha, ça fait un lézard ")20 . Le choix des animaux qui " résulterait " des rapports " déviants " doit y être pour quelque chose : les deux masculins-actifs donnent la naissance à une bête dangereuse, mais fabuleuse, mythique ; des deux féminins il résultera aussi quelque chose de dangereux, mais de plutôt banal ; à l'inverse, le couple des faux-hommes (féminins, les bichas) ne peut engendrer qu'un animal anodin, inoffensif, mais néanmoins reptile.
Sans doute, l'existence de ces plaisanteries est la preuve elle-même que les " déviances " existent ou, pour dire les choses autrement, que les pratiques sont beaucoup plus mouvantes et nuancées que les codifications sociales. Mais dans ce système idéologique, en fait, pour citer Gide (Les Caves du Vatican) le plus important " c'est de ne pas avoir l'air de ce que l'on est ". Bref, l'essentiel est de jouer avec les apparences et de se montrer " convenable ", ou du moins " raisonnable ".
Il est évident aussi que le travesti qui come (" mange ", c'est-à-dire sodomise)21ou le michê qui dá (" donne ", se fait sodomiser) sont conscients du fait qu'ils sont en train de briser les " règles ". Ceci est perceptible par le soin qu'ils ont de jouer avec les apparences pour préserver sur la place publique leur " féminité " et " masculinité " respectives (cf. Fry, op. cit. ; Fry et MacRae, op. cit. ; MacRae, 1983, 1985 ; Mendès-Leite, 1988).
D'ailleurs, faut-il signaler que, pour contrevenir à une règle, il existe, tout d'abord, la nécessité de la reconnaître en tant que telle. Or sont exactement les exceptions qui le confirment.
À l'occasion de mes recherches sur le terrain, par exemple, j'ai discuté avec quelques travestis et la majorité d'entre eux affirmait que leurs partenaires voulaient surtout être passifs pendant le coït anal. Que ce soit vrai ou non (et les recherches sociologiques sur les travestis ont tendance à le confirmer), ce genre d'affirmations démontre combien au Brésil le comportement " actif " est considéré comme un signe de supériorité.
Un autre exemple est celui d'un michê et de son client que j'ai rencontré. Ce jeune prostitué, d'allure très virile, avait fait une passe avec un garçon qu'il croyait être un touriste. Ils sont allés dans un hôtel et le michê, à la demande de son client, lui a permis de le sodomiser. Être " passif " n'a pas été vraiment problématique pour le prostitué : il a tout simplement demandé plus d'argent pour le " service supplémentaire ". Deux ou trois mois plus tard, le même client l'a rencontré à nouveau. Ils sont repartis ensemble. Cette fois, le michê n'a pas voulu être passif, ni même pas avec la perspective d'être très bien payé. Il a expliqué à son client qu'il l'avait fait autrefois parce qu'il lui croyait étranger à Fortaleza. En constatant qu'au contraire, il habitait la ville même, il a craint que sa réputation ne soit entachée vis-à-vis d'autres clients éventuels ou d'autres garçons de passe. Cela aurait en l'effet de faire tomber sa valeur marchande parce que ce que veulent les clients, c'est un " authentique macho ", c'est-à-dire un " vrai " hétérosexuel.
Ceci montre que ces représentations et stéréotypes sont assez importants au niveau du système des échanges sexuels.
4
Un " étrange " objet de désir
" To be human means to live in a world. That is to live in a reality that is ordered and that gives sense to the business of living. It is this fundamental characteristic of human existence that the term `life-world' is intented to convey. This life-world is social both in its origins and its ongoing maintenance. " Berger B., Berger B. et Kellner H., 1973 : 63 |
Au cours des dernières années, plus précisément à partir de la fin des années 1960 (Fry, op. cit. ; Fry et MacRae, op. cit. ; MacRae, 1983, 1985, 1990), les modifications apparues au sein des classes moyennes urbaines brésiliennes, qui revendiquaient une plus grande remise en cause des rôles de genre et sexuels, ont contribué à la survenue, au sein de ce " univers homosexuel ", de la figure de l'entendido22 . Ce personnage est défini comme quelqu'un de plus ambivalent en ce qui concerne son rôle de genre ainsi que son comportement et ses pratiques sexuelles (Fry, op. cit. : 83). D'une façon générale, il ne se sent pas directement concerné par les représentations du " système hiérarchique ". Par conséquent, sa performance sociale correspond grosso modo au rôle de genre masculin, tout en ayant comme objet de désir une personne du même sexe que le sien (mâle, dans le contexte que je suis en train d'analyser23. Ainsi, le comportement sexuel de l'entendido (du moins au niveau de l'imaginaire social des sexualités) ne se traduit pas par l'obligation " d'opter " exclusivement pour " l'activité " ou pour la " passivité ", reléguant ces comportements à un niveau secondaire. À cause du refus de s'insérer dans le système hiérarchique (hégémonique), il est devenu, d'une certaine manière, " invisible " car c'est un individu qui, tout en ayant une " attirance homosexuelle ", ne présente pas forcément un comportement socialement perceptible comme tel. Il réalise en quelque sorte une ruse par rapport aux normes établies par l'idéologie sexuelle dominante, pour laquelle il a un comportement " déviant " : c'est un homme (biologiquement et socialement, car mâle et masculin) qui entretient des relations sexuelles avec un autre homme. Selon le point de vue du " système hiérarchique ", il existe là une " déviance " dans l'organisation des rapports entre les genres, puisque ce nouveau personnage nie que la complémentarité doit " forcément " passer par l'opposition entre masculinité et féminité. D'ailleurs, il échappe d'autant plus à la logique de cet univers symbolique parce qu'il revendique des comportements aussi bien masculins (" activité ") que féminins (" passivité "). Son ambivalence de genre et de comportements apporte, alors, un élément " confusionnel " (Maffesoli, op. cit.) à la logique du système traditionnel.
La perplexité et l'ironie populaires devant un individu qui, d'une certaine manière, est incompréhensible dans leur optique sont représentée aussi, et encore une fois, par un terme argotique qu'on utilise pour le nommer : gilette, comme la marque de rasoirs à deux lames, car c'est un homme qui effectivement come (" mange "), mais qui se laisse également comer (" manger ") ou, pour utiliser l'expression populaire consacrée, ele corta dos dois lados (" il tranche des deux côtés ").
Il est claire que l'entendido est un personnage qui appartient à un autre système de représentations des sexualités. Néanmoins, ce nouveau dispositif est toujours pensé par rapport au modèle " hiérarchique ", même s'il présente une autre logique d'organisation. Résultant surtout des modifications introduites au sein des classes moyennes par les mouvements de libération (des femmes, des noirs, etc.) et de " contre-culture " (hippie, écologique, etc.) , l'entendido conteste l'asymétrie des relations entre les genres et les sexes. De même, les définitions des orientations sexuelles ne sont plus fondées sur l'opposition entre masculinité et féminité (genres), mais désormais sur le binôme mâle versus femelle (sexes). Ainsi, dans le système d'échanges des rapports homosexuels masculins du modèle " égalitaire " les partenaires ne sont plus un " mâle-masculin-actif " (bofe) versus un " mâle-féminin-passif " (bicha), mais plutôt deux " mâles-masculins-ambivalents " (entendidos). En bref, la perception des orientations sexuelles concerne plutôt les oppositions fondées sur le sexe des partenaires (homens : mâles attirés par les femelles versus entendido : mâles attirés par d'autres mâles), que sur leurs genres. De cette manière, l'homem (homme) de ce nouveau système est bien différent du bofe, car il ne maintient des relations sexuelles qu'avec des femelles (sexe biologique) et non plus avec n'importe quel individu jouant un rôle du genre féminin (femmes ou bichas). Au contraire du bofe du système hiérarchique, si l'homem a des rapports sexuels avec un autre mâle (même si ce dernier est " féminin " et " passif ") il ne sera plus considéré en tant que tel (" hétéro ") puisqu'un tel acte le positionnera au " rang " de la catégorie des entendidos (" homos ")24.
La systématisation de ces représentations peut être démontrée de la manière suivante25:
Homosexuels masculins au Brésil
II- Système " égalitaire "
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1. Sexe biologique | Mâle | Mâle |
2. Genre | Masculin | Masculin |
3. Comportement sexuel | " Actif " | Ambivalent (actif et/ou passif) |
4. Orientation sexuelle | Hétérosexuel | Homosexuel (exclusif) |
Le principal facteur observable est que la flexibilité du comportement sexuel (alternant entre " actif " et " passif ") de l'entendido va à l'encontre du paticisme26du système traditionnel (" hiérarchique "). De la sorte, il nie le modèle dichotomique et machiste de ce dispositif, postulant ainsi la " possibilité et l'acceptation des relations sexuelles et affectives entre des individus semblables. Si le "système A" exalte la ségrégation des rôles du genre et la hiérarchie, la rhétorique du "système B" est d'égalité et de symétrie " (Fry, op. cit. : 94).
5
Monogamie, fidélité... et variations
" In general, the gay world has two distinctions : it is almost universally stigmatized, and no one is socialized within or toward it as a child. "
Warren, 1974 : 04 |
La recherche d'un nouveau paradigme social dans les rapports sexuels et affectifs est aussi l'une des démarches des individus à identité " homosexuelle ".
Bien que, dans certaines circonstances, leurs couples soient une sorte de reproduction ou de variation autour du modèle " hétérosexuel " machiste, dans d'autres cas, en revanche, il semble y avoir une tentative pour rompre avec la hiérarchisation des partenaires, originellement fondée sur les rôles du genre.
En réalité, mes recherches sur le terrain ne me permettent pas d'esquisser un " tableau typique " pour caractériser les modèles existants dans les relations vécues par nos interlocuteurs à identité " homosexuelle " (des entendidos) , dont les attitudes semblent être assez mouvantes et variées.
Cette diversité est due, je crois, non seulement aux changements qui affectent les représentations orientant les relations entre les sexes, mais aussi au manque de modèles établis spécifiquement pour les relations conjugales " homosexuelles ", ce qui n'est pas le cas pour les couples " hétérosexuels ".
À cela s'ajoutent des problèmes vécus par les homosexuels et qui leurs sont propres, tout comme la pression sociale, les questions liées à la construction des identités, aussi bien que les difficultés quotidiennes inhérentes aux relations amoureuses entre des individus dont la socialisation a été faite pour qu'ils deviennent tous les deux dominateurs, voire " machos ".
Ce dernier point, c'est-à-dire, la socialisation semblable des partenaires, élevés pour exercer la même fonction dans un couple qui est censé se composer de deux rôles différents, opposés mais complémentaires (modèle " hétérosexuel " traditionnel), me semble très important. Là se pose une question fondamentale qui, d'après ce que j'ai pu observer, présente dans la pratique les solutions les plus variées. Dans certains cas, l'un des deux partenaires conserve le rôle dit " masculin " tandis que l'autre assume le rôle culturellement défini comme " féminin ", adaptation plus commune dans le " système hiérarchique " et qui tend à reproduire la relation homme-femme. Pour d'autres, il existe la tentative de construire une relation fondée sur la parité des genres, ce qui peut conduire à une relation plus égalitaire, mais qui n'est pas sans éliminer pour autant d'autres enjeux de pouvoir.
La question de la fidélité se rattache aussi, à mon avis, au type de socialisation subie par chacun des conjoints mâles qui forment le couple homosexuel, même si certains adoptent le traditionnel modèle " hétérosexuel " monogame, ceci soit en exigeant l'exclusivité sexuelle totale, soit en s'alignant sur la " double morale ". Par ailleurs, il existe aussi ceux qui préfèrent adopter des formules alternatives et admettent les relations sexuelles en dehors du couple, perçues souvent comme un besoin inévitable, propre à la condition masculine. Dans ce dernier exemple, la principale demande est celle de la " fidélité sentimentale ", préservée par le refus d'une liaison sentimentale avec un troisième individu. Une autre variante est celle de la formation des ménages à plusieurs, surtout à trois partenaires.
En tout cas, d'une manière générale, la plupart des réponses aux entretiens que j'ai effectués abondent dans le sens de l'établissement et du maintien d'une relation stable comme idéal de bonheur. Même les informateurs qui ont répondu ne pas avoir réussi à maintenir longtemps une même relation ou ceux qui ont déclaré ne pas en avoir l'intention, attribuent implicitement une valeur positive aux relations sexuelles-affectives durables.
Je pense que le manque, au moins en apparence, de modèles consacrés de relation " maritale " homosexuelle face à la diversité des procédés existants montre la concurrence de valeurs idéologiques différentes et leur conflit latent, mais aussi l'apparition de nouvelles configurations dans l'imaginaire des sexualités, qui instaurent un " moment confusionnel " dans lequel les antagonistes existants sont parfois aussi harmoniques.
Je n'irais pas jusqu'à affirmer qu'il existe des évidences d'une possible émergence d'un paradigme de relation conjugale " homosexuelle ", dans le contexte que nous avons étudié. Cela n'est peut-être pas impossible, et il existe peut-être même déjà, mais je ne me sens pas autorisé à émettre une telle hypothèse, ne serait-ce qu'en raison de la taille réduite de mon échantillon. J'aimerais plutôt proposer qui c'est justement dans cette absence de normes rigides consacrées socialement et, donc, stéréotypées, qui réside l'une des facettes les plus intéressantes du moment confusionnel où coexiste cette variété de relations.
6
Le jeu " confusionnel " des apparences
" Les lois de la conscience que nous disons naître de la nature, sont nées de l'habitude. " Montaigne (Essais, I, 22) |
Je voudrais une fois de plus insister sur le fait que les deux systèmes, élaborés d'après Fry (op. cit.) et qui tentaient de systématiser certaines représentations concernant les genres et les orientations sexuelles, aussi bien que les comportements et les pratiques qu'elles encadrent coexistent, en réalité, comme paradigmes dans l'imaginaire des sexualités. Cette systématisation est bien évidement une simplification ou, dans d'autres termes, une " typification ", au sens de Schutz (1987) et dans celui des " types idéaux " weberiens. Dans la pratique, les représentations coexistent, menant à des situations de conflit potentiel. De cette manière, il existe des personnes qui se définissent comme entendidos, mais qui n'aiment pas avoir des relations sexuelles-affectives avec d'autres individus à identité équivalente, préférant des hétérosexuels routiers, haltérophiles ou d'autres personnages proches des stéréotypes de la virilité. D'une certaine manière, ceci les range plutôt du côté des figures du système " hiérarchique " car il existe, dans ce genre de démarche, la recherche d'une opposition entre les genres en ce qui concerne le choix des partenaires (bien évidement, il ne faut pas oublier que ce genre d'attitude peut aussi être comprise dans le cadre d'une quête narcissique).
On peut comprendre un tel contexte si l'on tient compte du fait qu'il s'agit de transformations relativement importantes dans la manière de considérer les relations " homosexuelles ". D'ailleurs, dans les sociétés industrialisées à forte différentiation sociale, comme au Brésil, il existe toute une diversité de catégories, de rôles et d'identités " homosexuels ", variant selon les régions, les couches sociales, les tranches d'âges, etc. Et il est aussi évident que cette diversité est aussi mouvante, se transformant au cours du temps et au gré des changements sociaux (Fry et MacRae, op. cit. ; Mendès-Leite, 1990).
La ressemblance entre les deux schémas systématisés par Fry et les modèles des relations que l'on trouve dans l'imaginaire " hétérosexuel " me paraît claire. Ceci n'est pas étonnant puisque l'ensemble s'inscrit grosso modo dans le cadre des mêmes processus socio-historiques, ce qui, une fois de plus, vient confirmer l'importance d'une perspective d'analyse des rapports " homosexuels " en les situant dans le contexte de l'univers socioculturel élargi. De plus, cette situation démontre qu'il existe davantage une idéologie paradigmatique qui transcende les orientations sexuelles, règle les rapports entre les sexes et les genres, et que la " lecture " socio-anthropologique de l'imaginaire des sexualités montre également l'existence du phénomène " confusionnel " et l'importance du jeu des apparences au sein des codifications qui coexistent dans la société brésilienne.
Bibliographie :
Une bibliographie générale pour les articles de Rommel Mendès-Leité disponibles sur le site est accessible séparemment.
Publication originale : Mendès-Leite, R. " Genres et orientations sexuelles: une question d'apparences ? ". GREH et. al. Homosexualités et Lesbianisme: mythes, mémoires, historiographies. Actes du colloque international (3 volumes). Lille, Cahiers GKC, 1989-1990. pp. 109 - 147.
Une version de ce texte a été publiée en forme d'article : Mendès-Leite, R. " Des vicissitudes d'être un "authentique macho" ". Les Cahiers de l'imaginaire (9). Les frontières de l'imaginaire. Paris, L'Harmattan. pp. 23 - 38.
" Le sexisme est défini par Aronson (1979), par Bardwick (1981) et par Bem & Bem (1973) comme l'action, des hommes et des femmes, sous le présupposé conscient ou pas du tout ce qui est masculin est intrinsèquement meilleur que ce qui est féminin " (Oliveira, 1983 : 19).
Pour un résumé des conceptions théoriques sur cette question, cf. Franchetto et al., 1981.
Cf. Drumont, 1982.
Attitude semblable à celle qui a existé dans l'ancienne société romaine ou à celle qui subsiste encore dans le monde méditerranéen.
Homme à tendance homosexuelle, au comportement sexuel passif et au langage corporel efféminé.
Viado (veado) tout comme baitola et bicha sont quelques-uns des synonymes populaires de la " culture des sexualités " (Mendès-Leite, 1990) brésilienne qui désigne un homme à tendance homosexuel et à comportement passif. Ce sont des termes d'argot, très péjoratifs, qui constituent une très grave offense quand on les impute à un homme considéré comme " normal " (c'est-à-dire, hétérosexuel), principalement si ce dernier se considère ou est considéré en société comme un " mâle authentique ". Néanmoins, entre homosexuels des telles désignations n'ont pas forcement le caractère d'une injure, au contraire de ce qui se passe si la personne qui désigne est un hétérosexuel. C'est à peu près semblable à ce qui se passe avec le mot " pédé " dans le contexte de la culture des sexualités en France.
Je pense qu'en réalité, ce qui se passe c'est une espèce " d'effet-miroir ", fort désagréable pour l'auto-image du " macho ". La violence envers les homosexuels est monnaie courante au Brésil : selon le Groupe Gay de Bahia, animé par l'anthropologue Luiz Mott, les principaux journaux brésiliens ont fait part de plusieurs homosexuels victimes de crimes sexuels. On arrive, pour la période 1981-1986, au nombre impressionnant de 180 personnes, c'est-à-dire une moyenne d'un meurtre tous les dix jours, soit trois par mois. À propos des violences envers les homosexuels au Brésil, cf. Machado, 1982.
L'expression " argot du milieu " est utilisée pour désigner les langages caractéristiques des diverses sous cultures homosexuelles.
Prostitué " homosexuel " non efféminé. Cf. Perlongher, 1987.
Capitale de l'état de Minas Gerais, dans la région sud-est du Brésil, célèbre pour être l'une des plus traditionnelles et des plus machistes du pays, et pour " bénéficier " du nombre d'épouses adultères assassinées par leurs maris. D'ailleurs, la majeure partie de ces derniers ont été immédiatement libérés par la justice sous l'allégation qu'ils avaient agi soi-disant " pour défendre leur honneur " (dans leur logique, une femme n'a pas d'honneur : elle est la gardienne de l'honneur de son mari). À l'époque, les mouvements féministes brésiliens ont mené une énergique campagne sous le " slogan " " quem ama não mata " (" qui aime ne tue point "). A ce propos, voir, par exemple, Correa, 1984.
Homem com H (" Un vrai homme ").
S'agit-il de la simple attirance physique pour des individus du même sexe ? Les contacts et pratiques (simplement physiques ?) entre eux ? Ou uniquement la " concrétisation " à travers les relations sexuelles (permanentes ou transitoires ?) ? Ou encore seulement après " l'acceptation " matérialisée par la construction d'une " identité homosexuelle " ?
Comme celles-ci, un certain nombre de questions perdure. On remarque que, de nos jours, la littérature spécialisée essaye d'utiliser des notions d'une extension plus large pour saisir les sexualités humaines, dont l'objet du désir peut varier au gré des occurrences. En ce qui me concerne, pour privilégier l'ambivalence de l'objet du désir, du sujet qui désire, ainsi que des comportements, pratiques et identifications qu'y en dérivent, je propose (Mendès-Leite, 1987, 1988) la notion " d'ambigusexualité ", par laquelle je tente d'attirer l'attention sur ces aspects ambigus et mouvants des sexualités.
Sapatão et saboeira sont des termes vulgaires et péjoratifs qui désignent les lesbiennes et surtout celles à comportement et langage corporel masculins. Le premier terme, qui signifie exactement " grande chaussure " fait référence à cette " lourdeur " virile ; le second (" celle qui fabrique du savon ") fait référence aux sécrétions vaginales.
J'utilise le terme bofe à la place d'homem, comme le fait Fry (op. cit.), parce que le premier fait partie du vocabulaire consacré par " l'argot du milieu " de Fortaleza. Un tel rôle insiste sur le comportement " actif " de l'individu pendant l'acte sexuel. Ce qui, en plus de son rôle du genre masculin, va définir son orientation sexuelle, qui est considérée comme " hétérosexuelle " par les discours de ce système idéologique. Néanmoins, il est tolérable que ce personnage ait des rapports sexuels avec des personnes de son sexe. Selon l'imaginaire en question, ce qui va définir son orientation sexuelle sont les rapports entre genres, plutôt que le sexe physiologique de la personne qui est l'objet circonstanciel de son désir sexuel.
Adapté d'après Fry, op. cit. : 91.
Capitale de l'État du Pará, en Amazonie brésilienne (région Nord).
Il est intéressant de noter que, lors des interviews préliminaires que j'ai réalisées à Fortaleza, j'ai pu vérifier que les discours des michês (Prostitué, professionnel ou non, d'apparence masculine) étaient marqués par le zèle avec lequel ils affirmaient leurs conditions " d'actifs " et, donc, " d'authentiques machos " (c'est-à-dire, non-homosexuels). De plus, ils affirmaient le plus souvent ne pas être liés à la prostitution (ils disaient recevoir à peine " quelque chose " en guise de " remerciement " ou " d'aide "), tout en justifiant le fait de concéder leurs faveurs sexuelles aux bichas ou entendidos (voir tableau) par nécessité financière et non par " inclination naturelle ". Même ceux qui admettaient le fait de " coucher " par sympathie, affirmaient ne le faire qu'en jouant le rôle " d'actif ". En général, ils n'embrassaient pas, les rapports se limitant à la fellation ou à la sodomie. Une autre chose a également attiré mon attention : le grand nombre de marins (de l'École Navale de Fortaleza) qui adoptaient une telle pratique et justifient ce fait en le considérant comme un complément de leurs revenus, très faibles selon eux.
À ce propos, cf. Miccolis et Daniel, 1983.
Dans l'argot de la culture brésilienne des sexualités, les termes péjoratifs dar (donner) et comer (manger) correspondent à la " passivité " et à " l'activité ". Comme l'ont noté Fry et MacRae (1983 : 48), " la supériorité sociale de "l'actif " sur le "passif" est profondément exprimée dans les termes de l'argot que nous utilisons pour parler des relations sexuelles, comme comer et dar, ficar por cima ("rester au-dessus") et abrir as coxas ("ouvrir les cuisses"). Celui que come (mange) est le vainqueur, comme un joueur d'échecs qui prend les pièces de son adversaire de l'échiquier en les comendo (mangeant). Celui qui come est au-dessus, et celui qui est au-dessus contrôle. Celui qui dá (donne), ou que abre as pernas ("ouvre les jambes") est celui qui se rend totalement ".
Guasch-Andreu (1987) fait référence à la même dénomination pour un personnage semblable en Espagne.
Le terme entendido est également employé pour et par les femmes à identité " homosexuelle " qui jouent un rôle de genre féminin.
J'utilise la notion d'homem dans ce second système par opposition à l'entendido, tous les deux termes issus de " l'argot du milieu " dans ce dispositif. En d'autres termes, dans la pratique discursive du " système égalitaire " l'entendido serait l'individu qui a déjà eu ou qui a des relations homosexuelles, indépendamment de son comportement " actif " ou " passif ". À l'inverse " l'homem " est celui qui est exclusivement hétérosexuel (le " point zéro " de l'échelle de Kinsey). Il faut accentuer qu'en plus du fait que l'entendido n'intègre pas dans sa performance sociale les stéréotypes liés à la catégorie de la bicha, en fait, dans ce schéma, ces notions sont des simplifications (idéaux-types) des représentations. Dans la réalité, les définitions de bofe, d'homem, de bicha et d'entendido dans les argots des milieux sont mouvantes et ambiguës.
Adapté de Fry, op. cit. : 94.
Le paticisme est " la liaison homosexuelle qui comprend un changement de rôle de la part du partenaire passif (patico) qui est le plus souvent travesti, ou qui, d'une certaine manière, ne joue pas le rôle masculin sexuellement ou socialement " (Gregersen, 1983 : 297).