Population, 52(6) : 1485-1538, 1997

Parcours homosexuels :

une sexualité non traditionnelle dans des réseaux d'échanges sexuels à forte prévalence du VIH 

Marie-Ange Schiltz


Introduction

Dans cet article, nous analysons le parcours de jeunes homo/bisexuels masculins à partir d’une enquête réalisée dans la presse gaie en 1995. Ces jeunes sont confrontés à une double contrainte : comme les autres de leur génération, ils sortent de l’adolescence pour passer à l’âge adulte mais ils doivent aussi, dans cette période de transition, composer avec une orientation sexuelle spécifique. Celle-ci intervient dans leurs choix de vie tout en leur imposant de faire face au risque VIH dès le début de leur carrière sexuelle, dans un contexte épidémiologique où la prévalence du virus est très forte.

Dans son article, “ La jeunesse n’est qu’un mot ”, P. Bourdieu (1980) nous invite à prendre de la distance vis-à-vis de l’idée selon laquelle le simple critère biologique permettrait de définir un état de jeunesse. A âge biologique égal, l’étudiant et le jeune ouvrier auront des statuts extrêmement différents. Plutôt que de décider d’un âge arbitraire au-delà duquel on ne serait plus jeune, nous avons délibérément opté pour une définition large de notre groupe de “ jeunes ”. Nous suivons les répondants de notre enquête jusqu’à 30 ans, ce qui nous permet de rendre compte des moments de leur autonomisation progressive. Divers travaux ont en effet montré qu’entrer dans la vie adulte, c’est franchir des étapes dont les principales sont l’entrée dans la vie sexuelle, le départ du foyer familial, l’entrée dans la vie conjugale et l’entrée dans la vie professionnelle. Une importante littérature sociologique (Béjin, 1983 ; Chamboredon, 1985 ; Giami et al., 1987 ; Galland, 1991, 1995 ; Bozon, Villeneuve-Gokalp, 1994 ; Battagliola et al. 1997) s’est attachée à décrire les modifications qui sont intervenues ces dernières décennies et qui ont conduit à une dissociation des autonomies économique, affective et sexuelle. On a ainsi pu qualifier l'allongement de la durée du processus séquentiel d’acquisition de l’indépendance d’ “ interminable adolescence ” (Alléon et al., 1985 ; Le Bras, 1983).

En nous appuyant sur des études menées en population générale[1], nous tenterons de déterminer si les processus d’autonomisation des jeunes homosexuels sont similaires à ceux des autres jeunes, ou si leur sexualité marginale influe sur leur trajectoire. On sait en effet que, pour trouver des interlocuteurs plus tolérants, ces hommes ont tendance à constituer des cercles de relations indépendants de ceux de leur famille d’origine. C'est donc l’environnement social conditionnant les possibilités de l'épanouissement affectif et sexuel des jeunes répondants homo/bisexuels qui sera abordé dans un premier temps. Au cours de cette période de la vie, les jeunes homosexuels sont invités à endosser les rôles sociaux traditionnels de l’homme adulte qui ne correspondent pas forcément ni à leur conception des rôles de sexe ni à leur mode de vie et, de ce fait, ils peuvent être amenés à se redéfinir en fonction de leurs désirs atypiques. Comme le soulignait M. Pollak (1988), le jeune adulte doit désormais composer avec un nouveau rôle, celui de l’homosexuel, alors même qu’il avait éventuellement été amené à le mépriser. Afin de prendre en compte ces dimensions identitaires, nous étudierons la façon dont les jeunes gais évoluent dans leur identité déclarée et à ce propos nous aborderons la question de la bisexualité réelle ou fictive. Enfin, l’homosexualité impliquant des modes de vie particuliers, les parcours des impétrants doivent être situés et interprétés en référence aux valeurs des mondes hétérosexuel mais aussi homosexuel.

Les homosexuels ne sont cependant pas uniquement confrontés au problème de la mise en place d’un mode de vie permettant l’épanouissement de leur orientation sexuelle : à partir du moment où ils exercent leur sexualité dans un groupe où la prévalence du VIH est très importante, ils sont amenés à gérer ce risque. Après avoir donné des indications sur l’ampleur de l’épidémie dans ce groupe, nous analyserons la façon dont ces jeunes se sont adaptés au risque de contamination par le VIH.

Avant d’aborder ces différents points, il convient de décrire le dispositif d’observation et sa méthodologie et plus particulièrement les spécificités des échantillons de jeunes répondants sur lesquels se fonde notre analyse.




Le dispositif d’observation : une décennie d’enquêtes auprès des homosexuels masculins par voie de presse

Dans la lignée des travaux sociologiques entrepris à l’étranger au début des années 70 qui abordent l’homosexualité comme un mode de vie (Gagnon, 1973 ; Dannecker, Reiche, 1974 ; Bell, Weinberg, 1978) et non plus comme une maladie ou un délit, les premiers travaux de M. Pollak sur le sujet s’intéressent à la façon dont les homosexuels “ rationalisent leur sexualité ” (Béjin, Pollak, 1977 ; Pollak, 1982). Il conçoit alors le projet d’étudier les modes de vie des gais dans leur diversité. Contrairement à la tradition des sciences sociales qui, dans le cas de phénomènes minoritaires et de sujets aussi intimes que la sexualité et la maladie, privilégiaient la démarche éprouvée de l’approche qualitative par entretiens approfondis ou observations ethnologiques, M. Pollak (1981) se prononce en faveur d’une investigation quantitative qui permet de s’en tenir à la“ banalité des faits ”, sans recourir à des théories sur l’homosexualité qui relèvent souvent d'une généralisation abusive à partir d'un petit nombre de cas ou de préjugés divers.

La réalisation d’une telle investigation doit résoudre les problèmes d’accès à une population minoritaire qui échappe à la statistique administrative. Plusieurs enquêtes françaises et étrangères évaluent aux alentours de 4% la proportion d’hommes qui ont eu des rapports sexuels avec des partenaires de même sexe au cours de leur vie et de 1% ceux qui ont eu de telles pratiques dans l’année de l’enquête (Fay et al., 1989, Messiah, Mouret-Fourme, 1993)[2]. Dans la dernière grande enquête menée en France sur les comportements sexuels (Spira, Bajos et le groupe ACSF, 1993) et réalisée auprès de 20 055 personnes représentatives de la population francophone de 18 à 69 ans, le protocole de l’enquête prévoit une interrogation plus approfondie auprès d’un sous-échantillon aléatoire de l’ensemble des répondants sélectionnés en fonction de leur date de naissance (être né le 4, le 17 ou le 20 d’un mois) et de tous les individus qui sont dans l’une des situations suivantes (avoir eu des rapports sexuels avec au moins deux personnes différentes dans les douze derniers mois, avoir eu des rapports sexuels avec au moins une personne de même sexe au cours des cinq dernières années ou avoir utilisé un drogue douce ou dure dans l’année) ; cette double procédure de sélection ayant pour but de recruter en nombre suffisant, pour le traitement statistique, des minorités définies par leur comportement sexuel ou leur consommation de drogue. La population des homo/bisexuels qui, dans cet article, nous servira de référence, a été définie a posteriori sur la base du comportement sexuel en mettant en correspondance le sexe des partenaires et celui du répondant sans que jamais celui-ci n’ait à dire son homosexualité. Au total, dans l’enquête ACSF, 210 hommes ont déclaré des relations sexuelles avec au moins un partenaire de même sexe soit, après pondération, 4.1% des hommes sexuellement actifs. A partir de cette définition comportementaliste du groupe, l’enquête ACSF, exemplaire du point de vue statistique mais difficilement renouvelable en raison de ses coûts, sert de référence à toute investigation sur cette population. Pour autant, étant donné la multiplicité des caractérisations possibles de qui est“  homosexuel ” - fantasmes, dispositions, attirance, pratiques sexuelles, affirmation de soi en tant qu’homosexuel, mode de vie ou identification à un groupe social -, la délimitation des contours de la population“ cible ” n’est pas résolue. Dans ces conditions, la construction à intervalles réguliers d’échantillons représentatifs conséquents de la population homosexuelle - non seulement minoritaire mais pour laquelle les critères d'appartenance ne sont ni clairs ni visibles - se heurte à des obstacles quasi-insurmontables.


L'enquête et sa méthodologie

Par la force des choses, notre choix s’est porté sur une enquête par questionnaire inséré dans la presse homosexuelle qui constitue un vecteur possible d’accès à cette population. Cette procédure présente le double avantage de recruter rapidement et à peu de frais un grand nombre de répondants et, de ce fait, de répéter l’observation à intervalles réguliers. En choisissant cette diffusion dans la presse spécialisée, nous avons estimé que l’on pouvait de prendre au sérieux, ces hommes qui, par leur participation volontaire, se réclament d’une certaine appartenance au mode de vie gai quelque soit par ailleurs leur auto-désignation et leurs pratiques effectives.

En l’absence de critères formels d’inclusion ou d’exclusion des individus qui constituent notre base d’observation, l’agglomérat des répondants est un ensemble flou et indéterminé. Pour qu’il puisse devenir un objet quelque peu construit qui nous permette en autres de savoir de qui nous parlons et ainsi d’évaluer la portée de nos conclusions, l’analyse des caractéristiques de ces échantillons de “ volontaires ”[3] n’est plus une étape routinière de la recherche, elle est le fondement même de la validité des interprétations.

Si cette absence de contrôle sur le recrutement ne nous autorise en aucune façon l’établissement de grandeurs et de moyennes qui seraient représentatives de la population“ cible ”, elle ne nous empêche pas de construire de nouvelles grilles d’analyse. Ainsi les questions sur les comportements sexuels, au coeur de notre interrogation, nous permettent-elles de décomposer cet agrégat d’individus en sous-groupes définis à partir des préoccupations de l’action préventive. Malgré les limites de ce dispositif de recueil de données, il reste possible de procéder à des comparaisons entre sous-groupes relativement homogènes. De plus, la relative stabilité des caractéristiques socio-démographiques de chaque vague d’observation nous permet de repérer ce qui reste inchangé ou au contraire de suivre les tendances dans les modifications d’attitude.

La robustesse de nos conclusions est assurée chaque année par le nombre important d’hommes qui répondent. Cette “ force du nombre ” est confortée par la répétition des observations et la possibilité que nous avons ainsi de vérifier d’une année sur l’autre la stabilité des phénomènes repérés. A condition de circonscrire les conclusions aux groupes d’homosexuels présents dans nos enquêtes et sous réserve que l’interprétation de ces enquêtes répétées sur une décennie tienne compte du glissement de génération[4], cet outil nous a permis d'aborder de façon très pragmatique l’homosexualité masculine et de rompre avec l'habituelle littérature psychanalytique, philosophique ou politique sur ce sujet longtemps tributaire d’un recrutement essentiellement issu de la clinique des maladies mentales et du délit d’homosexualité. Jusque dans les année soixante-dix, les discours scientifiques sur l’homosexualité ont principalement été élaboré à partir de populations“ captives ” (sujets en cours de thérapie, incarcérés pour criminalité sexuelle) d’où, l’importance dans ces écrits, des thèmes consacrés à la déviance, aux pathologies et aux troubles psychiques.

En 1985, la première de cette série d’enquêtes sur les modes de vie des homosexuels masculins intervient dans un contexte alors fortement perturbé par la prise de conscience de l’ampleur de l’épidémie de sida dans ce groupe[5]. Une problématique de santé publique s’impose ; les enquêtes ultérieures s’attacheront de plus en plus à suivre la diffusion d’une sexualité à moindre risque dans ce groupe. Un questionnaire auto-administré de quatre pages a ainsi été diffusé annuellement depuis 1985 d’abord par Gai Pied, un mensuel bénéficiant d’une large audience nationale auprès des homosexuels[6]. Puis après la disparition de ce titre, nous avons multiplié les supports de diffusion afin de reconstituer la diversité des publics. En 1993, six revues homosexuelles et dix en 1995[7] ont accepté d’insérer gratuitement le questionnaire ; respectivement 3271 et 2616 hommes y ont répondu.

Notre présentation s’appuie sur les résultats la dernière enquête auprès des lecteurs de la presse homosexuelle ; nous mentionnerons les enquêtes antérieures[8] lorsque celles-ci éclairent la situation actuelle.

Les hommes qui ont répondu en 1995 sont plus jeunes qu’en 1993, la moyenne d’âge est de 31.5 contre 33.4 en 1993 : les trois-quarts des répondants ont moins de 35 ans. Cependant, malgré notre effort pour inclure dans notre base de diffusion des titres qui ciblent un public jeune, la part des moins de 21 ans dans l’échantillon reste faible (4%). L’enquête par voie de la presse spécialisée n'est pas un outil adapté pour rendre compte des débuts de carrières sexuelles[9]. En effet, pour acheter une revue“ gaie ” et décider de s’inclure dans un questionnement sur les modes de vie homosexuels, il faut avoir dépasser la période d’indécision, de timidité ou d’inquiétude face à la conscience d’une attirance pour les hommes quand, - et ce n’est pas toujours le cas (Pollak, Schiltz, 1991) - celle-ci précède la première expérience homosexuelle. Si l’on considère les moins de 30 ans, la base statistique se compose alors de 1.369 personnes en 1995 (soit 53% de l’échantillon). Cet effectif est suffisamment important pour nous permettre de rendre compte de façon robuste des étapes de la carrière sexuelle et sentimentale des jeunes homosexuels qui ont déjà accompli un premier pas vers une affirmation de soi en tant qu’homosexuel.


Le questionnaire

Le questionnaire est structuré par l’objet de notre recherche ; en effet, l’étude des modes de vie et de la sexualité est très orientée par le risque induit par le sida. A côté des questions habituelles sur les caractéristiques socio-démographiques des individus (âge, statut matrimonial, lieu de résidence, profession, niveau d'études, etc.), d'autres appréhendent leur participation à une sociabilité plutôt homosexuelle ou plutôt hétérosexuelle. L'activité sexuelle est au centre de l'interrogation puisqu’il s’agit de repérer les changements induits par l'épidémie de sida dans ce domaine et d'établir une typologie des diverses stratégies face au risque. Les prises de risque y sont également appréhendées afin de mettre en relation les modes de vie, la position sociale des individus, la nature des relations avec les partenaires, les pratiques sexuelles et leur degré de protection.

Etant donné la finalité de cette enquête, certains énoncés supposent une familiarité avec l’activité et le vocabulaire sexuels ; ce vocabulaire extrêmement précis peut gêner les plus jeunes répondants. L’analyse des taux de non-réponse est généralement un bon indicateur de l’acceptation et de la compréhension des questions. Or, dans notre enquête, les taux de non-réponse des plus jeunes ne diffèrent pas de ceux des répondants plus âgés : ils sont dans l’ensemble inférieurs à 3%. Si la formulation des questions posées n’a donc pas entraîné de problèmes spécifiques repérables, il manque cependant dans ce questionnaire des questions pertinentes adaptées à la situation des plus jeunes qui auraient permis de mieux cerner leur position dans le système scolaire et leur origine sociale. Aussi lorsque nous essaierons de situer socialement ces jeunes répondants, nous le ferons avec prudence.

L’interprétation des résultats doit tenir compte des biais induits par l’enquête par voie de presse et la participation volontaire des répondants.


Les caractéristiques de l’échantillon

Acheter une revue homosexuelle et répondre à une enquête sur les modes de vie “ gais ” est un acte d'affirmation de son orientation sexuelle que tous les hommes qui ont des rapports sexuels avec d’autres hommes ne veulent pas ou ne sont pas en mesure de faire. Aussi n’est-il pas surprenant de constater que l’écrasante majorité (87%) des hommes qui s’incluent dans l’enquête Presse gaie s’auto-définissent comme homosexuels, 9% se disent bisexuels et 4% refusent de se définir par rapport à leur sexualité. Malgré cet acte massif d’affirmation, l’anonymat du questionnaire nous permet de recruter bien au-delà du secteur associatif où se retrouvent les jeunes qui se sont affirmés ou sont en train de s’affirmer en tant qu’homosexuel et les homo/bisexuels qui vivent ouvertement leur sexualité. Ainsi, 83% des répondants de moins de 25 ans n'ont aucun engagement communautaire et 13% d’entre-eux n’ont pas parlé de leur homosexualité à leur entourage hétérosexuel immédiat (famille et amis).

Par rapport aux hommes ayant eu un partenaire de même sexe de l’enquête Analyse des comportements sexuels en France (ACSF) réalisée à partir d’un échantillon représentatif de la population française (Spira, Bajos et le groupe ACSF, 1993), ceux des enquêtes Presse gaie, classés comme le proposent A. Messiah et E. Mouret-Fourme (1993) selon leur pôle d’activité sexuelle au cours des douze derniers mois, sont très majoritairement des homosexuels exclusifs (neuf hommes sur dix dans l’enquête Presse gaie contre la moitié dans l’enquête ACSF). L’échantillon de volontaires se caractérise par une très forte sous-représentation des hommes de plus de 45 ans.

Par ailleurs, comparés aux célibataires masculins du recensement national et aux hommes hétérosexuels de l’enquête ACSF, les bi- et surtout les homosexuels se caractérisent par un haut niveau d’études et les classes moyennes supérieures sont surreprésentées (Tableau 1).

Une analyse détaillée des résultats de l’enquête ACSF met elle aussi en évidence une forte disparité des distributions des catégories socio-professionnelles selon l’orientation sexuelle (Messiah, 1996) : parmi les homosexuels, on constate une surreprésentation des urbains appartenant aux classes moyennes supérieures et d’un niveau d’éducation élevé. Si le recrutement par voie de presse favorise incontestablement l’expression des répondants les plus diplômés, les résultats de l’enquête ACSF montrent qu’il existe au-delà des biais d’échantillonnage une inégalité entre les homo/bisexuels et les hétérosexuels, qui peut s’expliquer à la fois par une mobilité sociale ascendante des homosexuels induite par leur sexualité non traditionnelle mais aussi par une impossibilité pour les homosexuels les plus démunis de se dégager de la pression sociale, de dire et même de vivre leur inclinaison.

Par ailleurs, le mode de diffusion du questionnaire et la participation volontaire infléchit les caractéristiques des modes de vie socio-sexuels. Comparés aux homosexuels de l’enquête ACSF, ceux des enquêtes Presse gaie [10]se caractérisent par un plus fort engagement dans une relation de couple avec un homme tandis que sur ce point les bisexuels ne se distinguent guère des bisexuels de l’échantillon aléatoire. Le taux de cohabitation est bien plus faible parmi les “ volontaires ”. En revanche, dans cet échantillon, le nombre de partenaires est, quelque soit le pôle d’activité sexuelle, toujours plus important (Tableau 2). Dans la mesure ou la mise en couple avec un homme produit un effet de dévoilement, la très forte surreprésentation des homosexuels de l’échantillon Presse gaie dans cette situation confirme que la constitution d’un échantillon sur la base du volontariat recrute essentiellement des hommes qui, dans leur vie quotidienne, s’affirment comme“ homosexuels ” et participent activement à la drague homosexuelle.

 

On peut aussi évaluer l’existence d’autres biais de recrutement en comparant l’âge à la première expérience sexuelle des jeunes de nos enquêtes avec celui des jeunes hommes d’un échantillon représentatif de la population française. Selon M. Bozon (1993), des transformations sociales, culturelles et institutionnelles déterminent actuellement quatre “ générations sexuelles ”. Les deux premières, les plus âgées, marquées par une baisse de la fécondité et de la nuptialité et le développement du travail féminin, ne nous intéressent pas directement ; en revanche l'évolution du contexte d'exercice de la sexualité des générations des années soixante-dix a, de fait, instauré une distanciation entre mariage et sexualité. Cette évolution, qui s'est traduite par des changements juridiques en matière sexuelle et familiale, a été concomitante à l'expression publique de sexualités marginales. Toujours selon M. Bozon, les générations initiées à la vie sexuelle dans les années quatre-vingts sont, quant à elles, marquées par une indépendance économique plus tardive (scolarité plus longue, difficultés d'insertion professionnelle et entrée en couple plus tardive) ; elles le sont également par l'irruption du sida. Les jeunes homosexuels de nos enquêtes ont eux aussi grandi dans ce contexte mais ils ont en outre évolué dans un univers qui se caractérise par une prévalence du VIH beaucoup plus forte qu’en population générale. On peut dès lors se demander si cette caractéristique a une influence sur le moment de leur entrée dans la vie sexuelle. Quelques signes nous laissent supposer qu'il n'en est rien. En particulier, l'étonnante stabilité des médianes de l’âge au premier rapport sexuel entre les hommes de l'ACSF (INSEE et Service des droits de la femme, 1995) et les hommes de nos enquêtes s'inscrit contre cette hypothèse. En effet, là où notre recrutement est le moins dépendant de biais dus au mode de collecte des données - population sexuellement active avec une proportion faible d'hommes en marge de l'activité sexuelle (21- 45 ans) -, l'âge d'entrée dans la sexualité des hommes homosexuels[11] est quasi identique à celui d'un échantillon représentatif de la population adulte masculine française (Tableau 3).

Pour les plus jeunes, bien que l’âge médian soit similaire, la comparaison entre les deux échantillons est quelque peu hasardeuse puisqu’à l’âge de 18-19 ans, 28% des jeunes en population générale n’avaient pas eu de rapports au moment de l’enquête, alors que les homosexuels de notre enquête appartenant à la même tranche d’âge tous sont sexuellement actifs à une exception près. Cette différence peut s’expliquer par le caractère constitutif de l’activité sexuelle dans la reconnaissance de son homosexualité : comme on l’a vu, répondre à l’enquête Presse gaie est un acte d’affirmation de soi conditionné par cette expérience première. En revanche, la précocité des hommes les plus âgés de l’échantillon Presse gaie par rapport aux hommes du même âge de l ’ACSF peut être reliée au fait que les hommes les plus précoces sont également ceux pour qui la sexualité est importante dans la hiérarchie de leurs préoccupations (Bozon, 1993) et qui, de ce fait, peuvent se sentir concernés par un questionnaire portant sur ce sujet. Ainsi, ce mode de recrutement privilégie, dans toutes les générations, les hommes sexuellement les plus actifs. Cette sélection est d'autant plus marquée que l'on se situe au début ou en fin de carrière sexuelle, c'est-à-dire dans les tranches d'âge où la proportion d'hommes sexuellement inactifs dans l’année est la plus importante.

A partir des trois périodes explorées[13] dans l’enquête ACSF, A. Messiah et E. Mouret-Fourme (1993) ont reconstitué schématiquement les biographies sexuelles des hommes interrogés. Ce travail met en évidence la complexité des parcours des homo/bisexuels qui sont nombreux à s’engager dans une vie homosexuelle de façon sporadique. Ainsi, sur les 210 répondants déclarant des rapports sexuels avec un homme au cours de leur vie, une minorité (10%) a eu une vie exclusivement homosexuelle et un peu plus du quart (27%) a, actuellement, une activité bisexuelle ; par ailleurs, certains de ces hommes qui, par le passé, avaient eu des rapports sexuels avec les deux sexes semblent s’être fixés, tout au moins temporairement, dans un choix : les plus nombreux étant ceux (47%) qui n’ont plus que des rapports hétérosexuels depuis plus d’un an, l’itinéraire inverse étant plus rare (17%). Aussi, au moment de la présentation des résultats établis à partir de cet échantillon de “ volontaires ”, faut-il rappeler que nos observations sont très concentrées sur les hommes qui, actuellement, ont une activité principalement homosexuelle (soit à peine plus de la moitié des hommes qui dans l’enquête ACSF ont eu des rapports sexuels avec d’autres hommes).


Les recherches socio-historiques menées en population générale ont montré que le passage de l’adolescence à l’âge adulte n’est plus caractérisé par la quasi-simultanéité des autonomies économique, affective et sexuelle : avec l’allongement des études et le retard de la date du mariage, les jeunes adultes vivent leur sexualité avant même d’avoir une indépendance économique et sociale vis-à-vis de leur famille. Le passage à la vie adulte se déroule désormais selon un processus qui s’étale dans la durée. Nous allons d'abord nous intéresser aux effets d’une sexualité marginale (homosexualité ou bisexualité) sur ce processus de transition.

Aussi, afin de suivre en détail les temps des autonomies sociale, affective et sexuelle, jusquà 30 ans, le découpage en classes d’âge retenu tente de concilier des catégories d’analyse suffisamment fines et des effectifs relativement conséquents pour qu’ils soient statistiquement analysables ; par la suite des catégories d’analyse plus larges nous permettent de situer cette période d’initiation par rapport à la carrière homosexuelle dans son devenir (Tableau 4).



1. Une orientation sexuelle hors norme : entre secret et affirmation de soi


Acceptation de l'homosexualité par l’entourage familial. Entre le silence et l’opprobre

Au cours de la décennie d’observation, le sentiment d’acceptation des homosexuels par leur entourage s’améliore.

Comme l’illustre le Tableau 5, en 10 ans, le climat s’est considérablement détendu avec les pairs (plus 17 et 21 points avec les frères et soeurs et les amis hétérosexuels), l’évolution, bien qu’importante, est plus limitée avec les ascendants et les relations de travail (plus 10-15 points). Par ailleurs, de nombreux sondages et enquêtes en population générale attestent une amélioration de la tolérance à l’égard de l’homosexualité au cours des dernières années. Selon les résultats des dernières enquêtes KABP (Moatti et al., 1995), en 1992, 69% des répondants indiquaient que "les homosexuels sont des gens comme les autres", ce taux passant à 75% en 1994. Pour autant, cette réponse pourrait être en partie normative. En effet, même si, comme l'écrivent M. S. Weinberg et C. J. Williams (1975) les gais ont sans doute tendance à surestimer l’opprobre ou le rejet, la façon dont ils perçoivent leur acceptation sociale par leur divers interlocuteurs fait apparaître une situation très différente.

Au sein de la famille, l'acceptation sociale des homosexuels reste problématique, les jeunes y étant plus souvent en difficulté (Tableau 6) :


Seulement un cinquième des moins de 21 ans se disent acceptés par leur père (et un tiers acceptés par leur mère (contre respectivement plus du tiers et plus de la moitié des hommes autour de la trentaine).

Selon nos observations, une majorité des plus jeunes et une forte minorité parmi les hommes matures maintiennent leur entourage dans l’ignorance sur leur préférence sexuelle. Cette discrétion largement partagée est l’indication que, surtout parmi les plus jeunes, l'homosexualité reste un trait discréditable, au sens d'E. Goffman (1975), de ce fait, souvent maintenu secret : en effet, pour les 16-20 ans, dans 61% des cas le père n'est pas au courant de l'homosexualité du fils (contre 47% dans l'échantillon global) et dans 49% la mère ne l'est pas non plus (contre 35% dans l'échantillon global). Enfin, on observe qu'une minorité importante des moins de 21 ans vivent dans l’opprobre : leur homosexualité est connue et rejetée dans 12% des cas par leur père et 13% par leur mère. Ces pourcentages apparaissent importants si on les compare à ceux rendant compte de la situation des jeunes en population générale. Selon les résultats de l’enquête Passage à l’âge adulte réalisée en 1993 par l’INED (Bozon, Villeneure-Gokalp, 1994), les relations amoureuses sont, à dix-huit ans, parmi les thèmes les plus porteurs de crises latentes ou ouvertes au sein de la cellule familiale : pour les garçons, ce sujet occasionne 5% des conflits avec le père et 9% de ceux avec la mère. Or, selon cette étude, les tensions familiales précipitent le départ, attitude qui se retrouve, comme on va le voir, chez les jeunes homosexuels.

Au sein de la famille, les jeunes homosexuels sont donc très majoritairement repliés dans le silence à moins qu'ils ne fassent l'expérience d’un rejet explicite. Si l'acceptation de l'homosexualité du fils par le père est la plus problématique c’est probablement parce que cette relation est porteuse d’une attente normative plus forte. La situation est certes un peu moins tendue avec la mère et les frères et soeurs et mais globalement la plupart des jeunes répondants aux enquêtes Presse gaie ne trouvent pas de soutien véritable au sein de leur famille. Entre 16 et 20 ans, presque la moitié des gais sont dans une situation de "non-communication ou de rejet total" : à cet âge, seulement un répondant sur cinq environ se sent pleinement accepté par sa famille. Les plus jeunes hésitent également à mettre au courant leurs amis hétérosexuels de leur orientation sexuelle[14].

Ainsi, au moment où les jeunes gais prennent conscience de leur orientation sexuelle spécifique et doivent s'accepter en tant qu'homosexuels[15], nombre d’entre eux sont plongés dans un univers hostile ou perçu comme tel. Le sentiment d’acceptation sociale s’améliore quelque peu avec le temps : avant 23 ans le cinquième des jeunes se sent compris par son entourage familial. Par la suite, un peu plus du tiers des répondants se sent pleinement accepté[16]. Globalement, les situations de silence, de rejet ou d'acceptation évoluent avec l'âge mais aussi la génération[17] : jusqu’à 30 ans les rapports avec l'entourage ont tendance à s’améliorer, entre 31-35 ans, le sentiment d’acceptation atteint son apogée ; au-delà de 45 ans, un phénomène de génération apparaît : ces hommes - qui ont débuté leur vie sexuelle avant que n’émergent, dans les années soixante-dix, les premières revendications en faveur de la reconnaissance des sexualités marginales - assument moins bien leur homosexualité : plus souvent que les autres ils restent discrets sur le sujet ou expriment un sentiment de rejet.

Certes l'acceptation par les amis, quand ils sont mis dans la confidence, s’avère désormais acquise mais on peut observer un important décalage entre l'attitude de tolérance normative de la population générale[18] et, par ailleurs, l'attitude d'une famille. Contrairement aux autres jeunes de leur génération, les homo/bisexuels ne bénéficient donc pas des possibilités de vivre leur sexualité avec l'accord de la famille (Jaspard, 1994) et le plus souvent leurs premières expériences sexuelles sont liées au secret.

En analysant maintenant la façon dont ces jeunes nous présentent leur identité sexuelle lorsque l’anonymat est assuré, on pourra apprécier sous un autre angle le poids de l’opprobre sociale.


De la bisexualité à la stabilisation des préférences. La présentation de soi : effets d’âge et effets de génération

Tandis que l’homosexualité devient plus acceptable et plus visible, le taux de refus de se classer selon l’orientation sexuelle diminue fortement : en 1985 14% des répondants refusaient de se définir en fonction de leur orientation sexuelle, en 1989, ils ne sont plus de 8% dans ce cas et seulement 4% en 1995, soit moins 10 points en une décennie. Paradoxalement, cette plus grande ouverture d’esprit par rapport à l’homosexualité n’entraîne pas pour autant un plus grand nomadisme dans les choix sexuels : au fil des ans, une plus forte proportion de répondants se fixe dans un choix homosexuel (73% en 1985, 81% en 1991 et 87% en 1995). La proportion de personnes qui s’auto-désignent comme bisexuels restant relativement stable sur la période d’observation. Les enquêtes Presse gaie recrutent donc de plus en plus parmi les hommes qui se déclarent homosexuels au détriment de ceux qui refusent de se définir. Ces classements varient peu avec l'âge (Tableau 7)

 

Alors que presque la moitié des jeunes de moins de 21 ans n’avaient pas dit leur homosexualité à leurs parents, au même âge, plus des trois-quarts s’auto-désignent comme “ homosexuels ”. On voit donc parfaitement le décalage qui existe entre une présentation de soi en tant qu'homosexuel relativement aisée quand elle s'effectue dans le cadre anonyme de l'enquête et, par ailleurs, la difficulté d'expression de cette identité vis-à-vis de l’entourage immédiat, et notamment de la famille. Pour autant, on observe que les 16-20 ans et les plus de 45 ans sont surreprésentés parmi ceux qui se définissent comme “ bisexuels ” : ils sont respectivement 18% et 19% dans ce cas, contre 9% dans l'ensemble de l'échantillon.

Pour mieux appréhender la nature de cette définition de soi en tant que "bisexuel", il faut prendre en compte l'activité sexuelle des individus au cours des douze derniers mois.[19]

 

Le Tableau 8 montre que les répondants les plus jeunes ainsi que les plus âgés ont plus fréquemment des rapports hétérosexuels. Avant 21 ans, 19% des répondants ont une pratique exclusivement bisexuelle (contre 9% dans l'échantillon global). Au même âge, 18% déclarent avoir eu au moins une partenaire féminine au cours de l'année, ce taux passant à 10% chez les 21-22 ans pour se stabiliser, à partir de 25 ans, aux alentours de 7%. Pour les plus de 45 ans, on retrouve à travers leur bisexualité plus fréquente la marque d’un effet de génération. Parmi ces hommes qui ont vécu leurs premières expériences sexuelles dans contexte social moins tolérant à l’égard des sexualités marginales, ceux qui se définissent comme bisexuels se caractérisent par un engagement très important dans un mode de vie hétérosexuel : 92% sont ou ont été mariés, 89% ont des enfants (contre respectivement 25% et 22% des hommes qui s’auto-désignent comme homosexuels) et les deux-tiers d’entre eux continuent à habiter avec leur épouse.

Par ailleurs, on observe que la banalisation de la catégorie“ homosexuel ” est concomitante à une plus forte congruence entre la définition de soi et le choix de vie, les situations complexes et ambiguës se raréfiant au cours de la période. Alors qu’à âge égal, les taux d’hommes qui se perçoivent comme homosexuels et qui sont ou se sont mariés et ont eu des enfants restent stables, le maintien d’un mode de vie hétérosexuel qui ne correspond pas aux préférences sexuelles s’est effondré au cours de la décennie. Mais cette évolution est inégalement répartie selon les générations et le phénomène est plus lisible pour les répondants les plus âgés.

Ainsi, comme l’illustre le Tableau 9, en 1985, 14% des plus de 45 ans qui se définissaient comme homosexuels continuaient à vivre avec leur femme, ce taux chute à 8% en 1991 ; en 1995, cette configuration de vie a presque complètement disparue, elle ne représente plus que 2% des cas. Cette évolution est confirmée par l’augmentation, entre ces deux dates, du taux de divorce dans ce même groupe et dans ces mêmes catégories d’âge. En terme de génération, l’évolution suit le même cours : alors qu’en 1985, 14% des hommes de plus de 45 ans qui se définissaient comme homosexuel continuaient à vivre avec leur femme, dix ans plus tard, parmi cette même génération actuellement âgée de plus de 55 ans, ils ne sont plus que 4% à vivre de cette façon.

Pour les plus jeunes, l’ambiguïté réside surtout dans une définition de soi en décalage avec leurs pratiques sexuelles effectives. Lorsque l’on croise cette auto-définition avec l'activité sexuelle des individus au cours des douze derniers mois (Tableau 10), il apparaît que les individus qui se définissent comme “ homosexuels ” et qui ont effectivement des pratiques exclusivement homosexuelles sont très majoritaires et que leur proportion augmente avec l'âge : avant 21 ans, ils sont 71%, ce taux se stabilisant légèrement en-dessous de 90% à partir de 25 ans jusqu’à ce qu’un effet de génération vienne à nouveau infléchir le cours des choses au-delà de 45 ans.

Par ailleurs, trois formes de bisexualité (qu'elles soient liées aux pratiques sexuelles ou à la présentation de soi), plus marquées chez les très jeunes, peuvent être distinguées. La première est cohérente, la définition de soi correspond à la vie sexuelle au cours de l’année ; les deux suivantes, impliquent une contradiction[20].

- Le premier groupe (6%) est composé d’individus qui se définissent comme“ bisexuels ” et qui sont effectivement engagés dans une activité sexuelle avec des partenaires des deux sexes : 12% des 16-20 ans sont dans cette situation. Très vite, ce taux se stabilise autour de 4% et remonte pour les plus âgés, effectivement plus engagés dans un mode de vie hétérosexuel.

- Certains se définissent comme“ homosexuels ” tout en ayant eu dans l'année des relations sexuelles avec des femmes. Ils sont 10% dans cette situation entre 16 et 20 ans. Ce taux décroît cependant rapidement avec l’âge puisqu'il passe à 6% pour les 21-22 ans, pour se stabiliser ensuite autour de 2-3%.

- Enfin, le dernier groupe (4%) est composé d'individus qui se définissent comme“ bisexuels ” sans avoir de partenaires féminines. Cette minorité, plus importante parmi les plus jeunes et les plus âgés, refuse donc, malgré ses désirs homosexuels concrétisés, de se reconnaître dans la catégorie homosexuel.

Ainsi, des décalages apparaissent entre la définition de soi et les pratiques sexuelles : - certains répondants ont à la fois des rapports avec des hommes et avec des femmes et pourtant se définissent comme“ homosexuels ”, cette attitude, plus fréquente parmi les plus jeunes, diminue rapidement avec l’âge ; - d'autres se disent“ bisexuels ” alors qu'ils ont de rapports sexuels uniquement avec d'autres hommes. On aurait pu croire que cette définition de soi relativement déconnectée des pratiques effectives était spécifique des plus jeunes ; il n'en est rien puisqu'elle concerne également les plus âgés : cette façon de se définir (la bisexualité comme déni de pratiques homosexuelles) est caractéristique d'individus qui traitent leurs pratiques sexuelles avec des hommes par le silence. Ils ont dès lors une moindre propension à se reconnaître comme faisant partie du groupe des homosexuels.

Somme toute, si les jeunes répondants aux enquêtes Presse gaie traversent une période d'indécision, celle-ci se caractérise plus par des pratiques bisexuelles que, comme on aurait pu le penser, par le refus de reconnaître et d’affirmer leur homosexualité. Très rapidement, un choix s’opère : dès l’âge de 20 ans, neuf répondants sur dix se définissent comme“ homosexuels ” et cette définition, qui concorde avec des pratiques exclusivement homosexuelles, ne les distingue alors en rien de leurs aînés.

Diverses études (Jaspard, 1994 ; Faure-Limouza, 1994) ont montré que désormais la vie sexuelle et sentimentale des jeunes commence bien avant leur autonomie par rapport au milieu familial et leur indépendance économique. Ce phénomène se retrouve également chez les jeunes homosexuels ; pour autant, les deux groupes rencontrent des difficultés inégales dans leur tentative de concilier leur sexualité avec les normes familiales.


2. L’influence de l’homosexualité sur le calendrier des autonomies sociales


Un départ du foyer précipité

A l’âge de 21-22 ans, un tiers des répondants habitent avec leur famille et plus de la moitié sont économiquement dépendants. Mis en perspective avec les enquêtes menées en population générale, il apparaît que le départ du foyer familial et l’accès à l’indépendance économique sont précipités parmi les jeunes homosexuels.

En effet, selon l’enquête Famille menée en population générale à l’occasion du recensement de 1990 (Desplanques, 1994), le départ du foyer parental reste exceptionnel jusqu’à 18 ans (moins de 4%) ; or au même âge un peu plus du tiers des répondants est déjà parti. L’écart se maintient par la suite : alors que dans le recensement national la proportion des jeunes vivant dans le foyer parental est de 66% à 22 ans, de 38% à 25 ans et de 15% à 29 ans, parmi les jeunes gais ces taux sont respectivement de 34% à 22 ans, de 17% à 25 ans et de 7% à 29 ans. Quel que soit le sens donné au fait de vivre avec ses parents à cette période de la vie où les départs de la maison familiale ne sont pas toujours définitifs et les déménagements nombreux, les écarts entre les deux groupes sont si importants que l’on peut sans hésiter relier ce départ précipité des jeunes répondants de l'enquête Presse gaie à leur orientation sexuelle, qui, comme nous l’avons vu, est objet de tensions au sein de la famille. Cette mise à distance permet de maintenir plus facilement le secret : dans 61% des cas le père ignore l’homosexualité de son fils lorsque celui-ci a quitté le foyer parental avant 25 ans contre 52% lorsqu’il y demeure encore. Cette différence souligne l’accueil très réservé d’une sexualité non traditionnelle au sein des familles : contrairement à la situation devenue commune pour les jeunes hétérosexuels, l’homosexualité ne peut se vivre de façon“ domestique ”.


Une bonne insertion scolaire et professionnelle

On peut s’interroger sur les effets qu’ont ces départs sur l’insertion scolaire et professionnelle. La comparaison (Tableau 11) avec une population représentative de l’ensemble des Français de leur classe d’âge (Balan, Minni, 1995) montre que, quel que soit l’âge, les jeunes de l’échantillon Presse gaie se maintiennent plus nombreux dans le système scolaire : au-delà de 21 ans, ils sont deux fois plus nombreux à être étudiants que les jeunes de la population générale (à 22-23 ans : 44% contre 21% et à 24-25 ans : 25% contre 10%).

Le départ précipité du foyer familial des jeunes gais n’entraîne donc pas de conséquences négatives sur l’insertion scolaire et professionnelle des répondants.

Comme on l’a vu, les hommes qui répondent aux enquêtes Presse gaie se caractérisent par un haut niveau d’étude et des positions professionnelles élevées. Le recrutement par voie de presse qui favorise l’expression des répondants les plus diplômés et les plus actifs professionnellement ne peut expliquer qu’en partie cette meilleure insertion sociale. Les résultats de l’enquête ACSF qui reposent sur un échantillon probabiliste ont également mis en évidence une forte disparité des distributions des catégories socioprofessionnelles selon l’orientation sexuelle[21] (Messiah, 1996). Même si les auteurs insistent sur la difficulté si ce n’est l’impossibilité pour les homosexuels les plus démunis de se dégager de la pression sociale, de dire et même de vivre leur inclinaison[22], la surreprésentation, dans cet échantillon aléatoire, des homosexuels occupant des positions sociales élevées accrédite l’hypothèse d’une mobilité sociale ascendante spécifique des homosexuels[23]. En 1995, deux questions, l’une sur la profession du répondant et l’autre sur celle de son père nous permettent d’intervenir dans le débat.

La distribution des catégories socioprofessionnelles de l’enquête Presse gaie comparée à celle de l’enquête sur la Formation et la qualification professionnelle (FQP) réalisée par l’INSEE (Tableau 12), enquête de référence sur la mobilité sociale en France (INSEE et Service des Droits des Femmes, 1993), est également très spécifique : les métiers manuels y sont sous-représentés (agriculteur, artisan-commerçant et ouvrier : respectivement 0% contre 4%, 4% contre 9% et 4% contre 35%) et les classes moyennes surreprésentées (40% de cadres contre 17% et professions intermédiaires 37% contre 24%). Mais si l’on considère les distributions comparées des professions des pères dans les deux enquêtes, on s’aperçoit que cette position sociale élevée correspond à une origine sociale également privilégiée : tout comme celle de leur fils, la distribution des professions du père de l’enquête Presse gaie se caractérise par une surreprésentation des classes moyennes supérieures (29% d’entre eux sont cadres, professions libérales ou intellectuelles contre 9% dans l’enquête FQP) et une sous-représentation des agriculteurs et des ouvriers (22% d’entre eux sont ouvriers contre 37% dans l’enquête FQP).

Tableau 12 : Comparaison des distributions des catégories socioprofessionnelles des hommes français actifs occupés en 1993 et de leur père de l’enquête sur la Formation et qualification professionnelle avec celles des répondants actifs occupés et de leur père de l’enquête Presse gaie 1995 :


Profession et catég. sociales
répondant FQP
répondant EPG
écart

FQP - EPG

père

FQP

père

EPG

écart

FQP - EPG

agriculteur
4%
0%
- 4
13%
6%
- 7
art,comm,ch.entr.
9%
4%
- 5
12%
16%
+ 4
cadre
17%
40%
+ 23
9%
29%
+ 20
prof.interméd.
24%
37%
+ 13
13%
17%
+ 4
employé
11%
16%
+ 5
12%
10%
- 2
ouvrier
35%
4%
- 31
37%
22%
- 15

Champ : hommes actifs occupés âgés de 25 à 59 ans.

Source : enquête sur la Formation et qualification professionnelle, 1993 ; enquête Presse gaie, 1995.

Malgré les biais de recrutement induits par le mode d’interrogation, l’inégalité des origines sociales plaide en faveur d’une expression plus facile des conduites sexuelles non traditionnelles dans les milieux favorisés ; pour autant, cette disparité ne discrédite pas l’hypothèse d’une mobilité professionnelle spécifique des homosexuels. L’analyse comparée (Tableau 13) de la destinée sociale des fils en fonction de la profession de leur père nous permet d’apprécier l’originalité des trajectoires des homosexuels. Comme dans l’enquête en population générale, le statut social reste fortement dépendant de celui des parents. Mais, on constate des variations sensibles entre les deux populations et ces variations sont parfois si importantes que quelque soit l’imperfection de la saisie des positions professionnelles des fils et des pères dans l’enquête Presse gaie, elles sont interprétables.

Tableau 13 : Table de mobilité comparée entre les répondants à l’enquête sur la Formation et la qualification professionnelle et ceux à l’enquête Presse gaie :



Agriculteur
art., comm.

chef entr.

cadre
prof. intermédiaire
employé
ouvrier
agriculteur

FQP

EPG


28%

4%


2%

1%


0%

0%


0%

0%


0%

0%


1%

0%

art., comm., chef entr.

FQP

EPG


7%

4%


26%

8%


7%

4%


5%

2%


1%

2%


7%

3%

cadre

FQP

EPG


9%

29%


19%

34%


48%

61%


28%

38%


17%

35%


8%

21%

prof. intermédiaire

FQP

EPG


14%

37%


23%

41%


27%

27%


35%

45%


29%

40%


22%

36%

employé

FQP

EPG


7%

16%


9%

14%


10%

6%


12%

14%


16%

17%


11%

30%

ouvrier

FQP

EPG


35%

11%


22%

3%


8%

1%


19%

3%


30%

5%


51%

9%

Champ : les hommes actifs occupés de 25 à 59 ans.

Source : enquête Formation et qualification professionnelle, 1993 ; enquête Presse gaie, 1995.


Les homosexuels se caractérisent par une forte concentration dans les métiers non manuels. Comparé à la transmission familiale des métiers en population générale, les répondants de l’enquête Presse gaie abandonnent en masse l’agriculture et les profession manuelles indépendantes et salariées. Par ailleurs, les homosexuels d’origine sociale moyenne ou élevée sont plus nombreux à maintenir le niveau social de leur père (sur cent fils de cadres, 61% le reste contre 48% en population générale et sur cent fils dont le père occupait une position professionnelle intermédiaire, 45% ont conservé le même statut contre 35% en population générale) et, dans ce cas, les déclassements sont plus rares. La comparaison des destinées sociales des hommes des deux enquêtes établit une mobilité sociale ascendante des homosexuels : en effet, quelque soit la position professionnelle du père, les cadres sont toujours surreprésentés dans l’enquête Presse gaie. Dans le cas d’une origine ouvrière, ces deux mobilités sont observables : ainsi les fils d’ouvriers sont en surnombre à délaisser le métier manuel de leur père au profit d’un glissement vers un statut d’employé ; mais, ils sont aussi plus nombreux que les hommes en population générale a avoir une mobilité sociale ascendante : 36% et 21% d’entre eux sont désormais dans une position professionnelle intermédiaire ou supérieure, bien supérieure à celle de leur père, contre respectivement 22% et 8% des hommes en population générale.

Au terme de cette comparaison, on peut conclure aux effets conjoints de l’origine sociale et d’une mobilité spécifique sur les trajectoires professionnelles des homosexuels : si la surreprésentation des homosexuels d’origine élevée dans l’enquête Presse gaie soutient l’hypothèse d’une expression plus aisée des préférences sexuelles en fonction de ressources culturelles et sociales plus grandes, les variations sensibles des destinées selon l’origine des répondants comparés à celles des hommes de l’enquête représentative, quant à elles, mettent en évidence des mobilités spécifiques des homosexuels.


Le déplacement géographique et la recherche de milieux plus tolérants

La surreprésentation des positions sociales élevées s’accompagne d’une surreprésentation des jeunes homosexuels résidant dans les grands centres urbains, en particulier à Paris. Avant l’âge de 21 ans, un répondant sur dix réside dans la capitale, ils sont deux sur cinq à l’âge de 21-22 ans et plus de trois sur dix vers la trentaine[24]. Contraintes professionnelles et effets de génération peuvent expliquer par la suite le fléchissement de la proportion des Parisiens parmi les répondants les plus âgés. La proportion de répondants vivant dans la capitale est inégalement répartie selon la position sociale des individus. Les ouvriers et employés dotés d’un faible capital scolaire sont beaucoup plus provinciaux que les hommes occupant des positions sociales hautes. Ainsi, la présence à Paris, des cadres est maximale aux alentours de la trentaine (46%), alors que pour les employés et les ouvriers ce taux se situe autour de 20% et ne varie pratiquement pas en fonction de l’âge sauf pour la génération âgée très majoritairement provinciale (à plus de 90%).

Selon les auteurs qui se sont intéressés à cette question (Dannecker, Reiche, 1974 ; Pollak, Schiltz, 1987 ; Messiah, 1996), la surréprésentation répétée des urbains dans les échantillons d’homosexuels est pour partie induite par leur orientation sexuelle : les grands centres urbains restant attractifs car l'homosexualité peut y être plus facilement vécue.

Par ailleurs, on observe chez les jeunes homosexuels une modification spécifique de l’entourage amical (Tableau 14). En effet, non seulement ils recherchent un entourage tolérant à leur égard mais, avec l’expérience, la plupart d’entre eux s’affranchissent d’une sociabilité complètement hétérosexuelle et intègrent dans leur cercle amical des hommes qui ont la même orientation sexuelle qu’eux ; même si, avec l'âge, la proportion des individus ayant une sociabilité homosexuelle augmente[25], il nous faut remarquer que le repli sur un réseau exclusivement homosexuel reste un comportement minoritaire (20%).

 

Cette évolution est relativement lente puisque jusqu’à 21-22 ans, le cercle amical est pour le tiers des répondants principalement constitué d’hétérosexuels. C’est seulement vers 23-24 ans que sa composition est modifiée et stabilisée : désormais huit hommes sur dix comptent parmi leurs amis, d’autres homosexuels. Ainsi, cet affranchissement par rapport à une socialisation hétérosexuelle permet aux jeunes homosexuels de rencontrer des partenaires et de bénéficier dès lors d'un soutien social. Comme l'a montré H. S. Becker (1985) par rapport à des groupes déviants, cette rencontre avec des pairs joue un rôle important de socialisation.

En comparaison avec les jeunes gens de leur âge, les trajectoires biographiques des jeunes homosexuels prennent des allures spécifiques : l’autonomie vis à vis de la famille est plus précoce, les investissements scolaires et professionnels acquièrent de l’importance, ces investissements favorisent sans doute les mobilités vers des milieux plus tolérants où les possibilités de rencontres avec des pairs sont plus nombreuses.



3 . L’homosexualité : une vie sexuelle et sentimentale plus complexe

Dans la mesure où l’homosexualité implique des modes de vie particuliers, avant d’aborder les grandes étapes constitutives de la carrière sexuelle et sentimentale des jeunes homo/bisexuels masculins de l'enquête Presse gaie, il nous faut en décrire les principales particularités.

Par rapport à la population générale, le nombre de partenaires sexuels est beaucoup plus élevé. Selon les données de l’enquête ACSF, les hommes hétérosexuels déclarent en moyenne 1,15 partenaires au cours des douze derniers mois alors que les répondants de l’enquête Presse gaie, dans la même tranche d’âge, en déclarent 14.1. Comparés aux et homo/bisexuels de l’enquête ACSF qui déclarent en moyenne 2.8 partenaires de même sexe et 1.3 partenaires féminines dans l’année, les “ volontaires ” se caractérisent par une participation beaucoup plus importante à la drague homosexuelle (13.9) avec très peu, pour l’ensemble, de partenaires féminines (0.2). Même si l’on tient compte des caractéristiques du recrutement des enquêtes Presse gaie qui, comme on l’a vu, sélectionne parmi les homosexuels affirmés ceux qui sont sexuellement les plus actifs, les écarts sont si considérables que l’on peut affirmer que les trois populations sont très différentes sur ce point (Messiah, 1996).

Le premiers travaux (Humphreys, 1970 ; Béjin, Pollak, 1977 ; Pollak, 1982), sur cette particularité de la drague homosexuelle, ont lié la multiplication des partenaires à l’interdit persistant de l’homosexualité masculine qui a renforcé et accéléré la séparation de la sexualité et de l’affectivité et conduit à l’organisation rationnelle d’un “ marché des échanges sexuels ” qui offre aux participants la possibilité de rencontrer de nombreux partenaires sexuels anonymes en minimisant les conséquences affectives et sociales de leur activité homosexuelle. Or, depuis le regard sur les sexualités marginales est moins critique et cette hypothèse d’organisation rationnelle de la rencontre sexuelle liée à la répression de l’homosexualité devient problématique. Tandis qu’au cours de la décennie l’homosexualité s’est progressivement banalisée, les modifications de la participation à la drague homosexuelle observées à travers nos enquêtes sont conjoncturelles. C’est au moment de la prise de conscience de l’ampleur de l’épidémie de VIH parmi les homosexuels, c’est-à-dire entre 1985 et 1987, qu’on observe une forte réaction de retrait par rapport à la drague : la proportion de répondants qui déclare un nombre important de partenaires décline alors fortement[26]. Mais, ce repli n’est que temporaire ; depuis le début des années quatre-vingt dix, on constate une augmentation significative du multipartenariat[27] et pourtant dans le même temps, la visibilité de l’homosexualité continue a progresser. Ces observations indiquent que l’on ne peut réduire la multiplication des partenaires au seul désir de consommation sexuelle dans un contexte de répression mais que pour beaucoup d’homosexuels cette participation aux réseaux d’échanges sexuels est un élément essentiel de leur socialisation par rapport à la vie homosexuelle ; pour certains, la drague est une activité sporadique alors que, pour d’autres, elle est centrale dans l’organisation de leur vie (Laporte, 1996).

Sans pour autant réduire l’homosexualité au groupe des hommes qui ont un nombre très important de partenaires sexuels, il est probable que le jeune homosexuel en quête de partenaires se trouve confronté à des modes de vie différents de ceux qui lui ont été donnés pour modèles, et à des codes avec lesquels il devra se familiariser.


Une autonomie sexuelle acquise avant l'indépendance économique et familiale

Comme nous l’avons vu, sauf pour les plus jeunes et les plus âgés, en début et en fin de carrière sexuelle - c’est-à-dire dans les catégories d’âge où les biais de recrutement des enquêtes par voie de presse sont les plus forts -, l’âge médian au premier rapport sexuel des homosexuels ne diffère pas de celui des hommes de l'ACSF[28]. Pour autant, le cours de leur vie sexuelle va prendre très rapidement des formes spécifiques.

La capacité de s’inclure dans une enquête sur les modes de vie homosexuels dépend par construction de la capacité de se reconnaître en tant qu’homosexuel. Or, pour se dire et se penser comme tel, l’expérience de la sexualité avec quelqu’un du même sexe est certainement pour beaucoup un élément déterminant. Aussi n’est-il pas étonnant de constater que contrairement à l’importante proportion de jeunes des enquêtes en population générale[29]qui au même âge n’ont pas eu d’expérience sexuelle, les jeunes homosexuels des enquêtes Presse gaie sont passés à l'acte. Par ailleurs, la proportion des hommes qui n’ont pas de rapports sexuels dans l’année est très faible (moins de 1%) et ne varie pratiquement pas avec l'âge. Avec l’expérience, la vie sexuelle devient plus régulière : la sexualité des “ benjamins ”[30] se caractérise par son intermittence ; par la suite elle s’intensifie pour atteindre son maximum juste avant la trentaine : un jeune sur deux avant 21 ans et trois hommes sur quatre avant 30 ans ont une sexualité “ fréquente et régulière ” [31].

Par ailleurs, très rapidement, une forte proportion de jeunes homosexuels multiplie les rencontres. Ainsi, selon nos observations, l'activité sexuelle mesurée en nombre de partenaires est d’emblée très importante : un répondant sur quatre âgé de moins de 21 ans déclare plus de 10 partenaires dans l’année (Tableau 15).

 

Comme pour les hommes de l’enquête ACSF qui ont des rapports homosexuels, la fréquentation de l’univers de la drague homosexuelle croît avec l’âge[32] et, encore plus régulièrement, avec son corollaire la durée de la vie sexuelle : au moment de l’entrée dans la sexualité (2 ans au plus), un répondant sur dix déclare plus de dix partenaires sexuels dans l’année, après 4 ans de vie sexuelle, c’est le quart qui est alors concerné, après 8 ans de vie sexuelle, une participation importante à la drague homosexuelle séduit plus du tiers des répondants.

Pour les jeunes homosexuels, cette participation à la drague est facilitée par la distanciation croissante vis à vis de leur socialisation hétérosexuelle et la migration vers les grandes villes. Ce double mouvement élargit les possibilités de rencontres sexuelles à travers l’offre d’un“ marché sexuel ” important qui peut prendre des formes plus ou moins institutionnalisées.

En effet, l’univers de la drague homosexuelle propose un large éventail de possibilités qui facilite la multiplicité des partenaires. Cet univers a fortement évolué au cours des années quatre-vingts principalement en raison de l’importance grandissante du secteur commercial - concentré essentiellement dans les centres urbains et surtout à Paris - et du développement des messageries gaies (minitel, réseaux téléphoniques, etc.). Le jeune homosexuel, à l’instar de tout un chacun, peut faire des rencontres au hasard dans la rue ou dans des réseaux de sociabilité comme les soirées chez des amis, les bars et les discothèques. Mais il a aussi la possibilité de fréquenter des lieux très spécifiques où les participants peuvent avoir sur place une activité sexuelle, comme certains endroits publics (parcs, gares, cinémas, bords d’autoroute...) ou lieux commerciaux (backrooms[33] et saunas...). Une analyse détaillée de l’univers de la drague homosexuelle (Schiltz, Adam, 1995) montre que selon les lieux de rencontre, les habitués ont des profils sociaux spécifiques liés à leur sociabilité, à leur aptitude à dévoiler leur homosexualité et à leurs possibilités financières. Dans la mesure où tous ces lieux sont inégalement distribués sur le territoire, leur fréquentation est également déterminée par les disponibilités locales. Quel que soit le degré de liberté des individus, le “ choix ” d’un lieu de drague sera souvent une composante de ces différentes contraintes. Aussi, à cette époque de la vie où les conditions d’existence des individus connaissent d’importants bouleversements, est-il pour ainsi dire banal de constater que les habitudes de fréquentation des lieux évoluent fortement selon la position dans la “ carrière sexuelle ” et l'âge. Bien que ces deux indicateurs soient interdépendants, ils ne rendent pas tout à fait compte de la même réalité. Alors que la durée de la vie sexuelle renvoie à l’acquisition d’une familiarité avec les codes de la drague homosexuelle, le critère d’âge se réfère plus à des phénomènes de modes de vie et de générations différentes. Ainsi, les débuts de carrière sexuelle  (au plus deux ans) sont marqués par un usage important des petites annonces (22% des novices y ont recours, contre 10% après 10 ans de vie sexuelle) et de leur version plus contemporaine, l’annonce sur réseau téléphonique (32% contre 21% après 10 ans de vie sexuelle) ; ces modes de rencontre témoignent de l'isolement dans lequel sont plongés nombre d'adolescents lors de leurs premières expériences sexuelles : plus souvent que les autres, ils ne connaissent pas d'homosexuels dans leur entourage et vivent leur sexualité dans le secret. De plus, ces modes de rencontres à distance offrent la possibilité d’éviter le face à face lors de la prise de contact limitant ainsi les risques d'être découverts. Plus tard, ces jeunes hommes se familiarisent avec des lieux de rencontre très spécifiques à la drague homosexuelle. Progressivement, ils se rapprochent alors des hommes expérimentés qui fréquentent plus assidûment les sites commerciaux à forte consommation sexuelle que sont les saunas et les backrooms : alors que seulement 12% des néophytes fréquentent ces endroits, ils sont 41% après 15 années de vie sexuelle. Il nous faut cependant souligner que ce fort investissement dans un mode de vie centré sur la drague est lié non seulement à la maturité induite par l'âge mais aussi au fait que ces hommes plus âgés appartiennent à une génération qui a commencé sa vie sexuelle avant l’irruption de l’épidémie du VIH, à une époque où les mouvements homosexuels valorisent la“ liberté sexuelle ” perçue comme la condition première de l'épanouissement des individus.

Lorsqu'on prend ensuite l'âge comme variable (Tableau 16), on observe que, très rapidement, les jeunes délaissent les moyens de rencontres à distance au profit des endroits où ils peuvent cultiver une sociabilité.

Ce changement s’effectue au moment où une majorité de jeunes homosexuels s’émancipe par rapport à leur famille et réside désormais dans des grands centres urbains. Entre 21 et 25 ans, les bars et les discothèques sont très populaires, six jeunes sur dix déclarent y rencontrer des partenaires sexuels (le succès de ces lieux décline fortement plus tard). A ce moment de leur vie, ils se constituent des réseaux amicaux liés à leur orientation sexuelle qui leur donnent l'occasion de rencontrer des partenaires sexuels[34] : entre 21 et 25 ans le réseau d’amitiés prend de l’importance : quatre jeunes sur dix citent alors ce mode de rencontre. Enfin, avec la réelle indépendance financière, l’accès aux minitels“ roses ” devient plus aisé (rappelons que ces services sont payants et peuvent être dispendieux).

Cette présentation des principales caractéristiques des modes de rencontres homosexuelles et de leur évolution avec l’expérience des individus ne doit pas pour autant masquer la vie affective des gais.


Des trajectoires affectives complexes

Bien que célibataire à 90%, la population des enquêtes Presse gaie n’est pas ancrée dans une“ vie de garçon ” ; ainsi, en 1995, 86% des répondants ont actuellement ou ont eu par le passé une relation privilégiée avec un homme.

Malgré cet état de fait, contrairement à la majorité hétérosexuelle, où la “ vie de célibataire ” est perçue comme la séquelle d’un “ non-mariage ” qui échappe à la règle générale (Knibiehler, 1992), parmi les homosexuels ce mode de vie est loin d’être situation résiduelle : au moment de l’enquête, 41% des répondants vivent seuls sans lien électif[35]. De plus, en raison de la fonction de référence de l’individu sexuellement“ libre de son désir” dans l’idéal homosexuel, l’union entre deux hommes ne pourra être comprise que si elle est restituée dans l’environnement de cette“ vie de célibataire ”. En effet, comme nous l’avons vu, les modes de vie homosexuels impliquent pour beaucoup de répondants un nombre important de partenaires ce qui n’est pas sans influencer les modalités de la vie du couple homosexuel. En 1995, six répondants sur dix déclarent une relation stable, à cette particularité près que cette relation stable homosexuelle n’empêche pas, dans la moitié des cas, d’autres partenaires sexuels.

Parmi les homosexuels, la notion de relation stable est relativement floue et cache d’importantes disparités de situations ; comparée à la population générale, la cohabitation est bien moins fréquente. Même si, selon H. Léridon et C. Villeneuve-Gokalp (1994), l’idée du couple a évolué dans la population hétérosexuelle et que désormais celui-ci n’est pas forcément synonyme de cohabitation, seule une infime minorité de couples hétérosexuels conserve deux résidences (7 à 8% des couples non mariés et 2 à 3% des couples mariés). Parmi les homosexuels, dans 51% des cas une relation stable ne conduit pas à une corésidence. A l’inverse, alors que selon cette même enquête en population générale le quart des hommes hétérosexuels qui vivent “ seul ” a déclaré être engagé dans "une relation amoureuse stable", la proportion est beaucoup plus importante parmi les homosexuels, puisque presque la moitié des homosexuels qui vivent “ seul ” déclare par ailleurs une relation stable. Nos observations montrent qu’il existe une grande diversité de situations. Exception faite de la “ vie de garçon ” qui, bien qu’en légère diminution, reste le mode de vie le plus courant (41%), aucune des modalités d’union entre deux hommes ne s’impose comme un modèle prééminent. En 1995 (Tableau 17), l’engagement affectif d’un homme pour un autre se décline de différentes façons : seul dans une relation stable, exclusive (11%) ou non (16%), ou dans un partage du quotidien dans la fidélité (16%) ou non (16%).

On voit que, de fait, cette population vit un mode d’union amoureuse très peu conforté par des engagements sociaux ou matériels. Cette absence de légitimité sociale pourrait pour partie expliquer l’instabilité constatée de la relation homosexuelle (Pollak, 1987). En effet, il apparaît que ces hommes se caractérisent en moyenne par une moindre propension à développer des liens durables avec un partenaire privilégié. Ainsi, comme l’ont montré H. Léridon et C. Villeneuve-Gokalp (1994), les hétérosexuels masculins ayant entre 21 et 44 ans déclarent 0,89 mise en couple au cours de leur vie, alors que pour la même tranche d’âge, ce taux est de 2,22 pour les répondants de l’enquête Presse gaie (unions hétérosexuelles et homosexuelles confondues)[36]. Cette différence considérable entre le nombre moyen d’unions montre que les homo/bisexuels masculins font plus souvent l’expérience de séparations que les hétérosexuels masculins. Aussi n’est-il pas étonnant de constater la brièveté des relations amoureuses homosexuelles : dans la moitié des cas, elles durent depuis moins de 26 mois et seulement le quart d’entre-elles ont plus de 5 ans.

Cet état des lieux sur le partenariat homosexuel par rapport à la“ vie de célibataire ” ne rend pas compte des évolutions dans la forme de ces unions au cours de la décennie.

Entre 1985 et 1993, la place de la relation de couple dans les modes de vie gaie est relativement stable. Ainsi, selon nos observations (Tableau 17), en 1985, la proportion des hommes engagés dans une relation stable est de 51% ; entre 1989 et 1993 ce taux oscille autour de 54% ; en 1995, il semble qu’un changement s’amorce, la proportion d’hommes engagés dans une relation stable augmente significativement, frôlant désormais les 60% (soit plus 5% sur les deux dernières années)[37]. L’hypothèse d’un attrait plus important pour la vie en couple est confortée par le caractère plus récent des unions en 1995 comparé aux années précédentes : 47% d’entre elles ont moins de 2 ans en 1995 contre respectivement 34% et 35% en 1990 et 1992.

Au moment de la prise de conscience de l’ampleur de l’épidémie parmi les homosexuels, nos observations attestent d’un fort mouvement de retrait par rapport à la drague. Cette expectative prudente n’a pas été sans répercussions sur les modalités de la vie en couple. Alors qu’en 1985, 69% des hommes vivant en couple acceptent des partenaires sexuels extérieurs, en 1987, ils ne sont plus que 48% dans ce cas (soit moins 21% sur une période de deux ans). Ce repli sur le couple n’est pas étranger à la contrainte du sida. Au début de l’épidémie, les hommes engagés dans une relation stable ont cherché à limiter les situations d’exposition au risque du VIH par un retrait des réseaux d’échanges sexuels et un contrôle accru des partenaires. Depuis la situation est relativement stable, chaque année la moitié environ des couples homosexuels vivent sur le mode de l’exclusivité l’autre moitié sur le mode de l’ouverture aux relations extérieures. En 1995, le renouveau de faveur des relations stables ne modifie pas cette répartition : comme les années précédentes, les répondants se distribuent à égalité entre ceux qui vivent en couple exclusif et ceux qui acceptent les relations extérieures (Tableau 17).

Par ailleurs, nos enquêtes montrent qu’apparaissent, sur la décennie, les signes d’une autre variation faible mais cette fois-ci linéaire. Au cours de la période, la proportion des hommes résidant avec leur compagnon est en constante augmentation : en 1985, 20% des répondants cohabitent avec leur partenaire, 10 ans plus tard 32% sont installés dans un quotidien partagé (Tableau 17).

Cette augmentation de la corésidence qui, d’une certaine façon rapproche le couple homosexuel du standard hétérosexuel, ne doit cependant pas occulter que les formes de la vie en couple homosexuel restent très influencées par la “ vie de célibataire ” : pour un homosexuel la reconnaissance d’un lien privilégié avec un autre homme ne se conjugue pas toujours avec la fidélité ou la corésidence. Ces quelques comparaisons mettent en évidence les différences qui persistent entre unions homosexuelles et hétérosexuelles, et ce, en dépit des évolutions conjointes d’une idée moins instituée du couple dans la population hétérosexuelle[38] et, comme on l’a vu, d’un regard moins critique de la société à l’égard de l’homosexualité.

Il s’agit désormais de voir comment les jeunes homosexuels s’insèrent dans cette vie amoureuse plus labile.


L’établissement d’une relation élective : l’évolution de la forme des unions selon l’âge et la durée de la vie sexuelle

Comparés aux trajectoires de la majorité des hommes hétérosexuels de l’enquête INED/INSEE réalisée en 1994 sur les Situations familiales et l’emploi en 1994 (Toulemon, 1996), à nouveau le calendrier des répondants aux enquêtes Presse gaie est précipité. Il se confirme que les jeunes homosexuels, indépendants plus tôt, sont également plus nombreux à s’installer rapidement dans une relation stable (plus 26 points). Par la suite, la tendance se renverse ; par rapport aux hommes hétérosexuels du même âge, à partir de 25 ans, ils vivent plus souvent seul ; avec l’âge, cette tendance s’accentue, la vie de célibataire prend de l’importance alors qu’elle se stabilise, à partir de 35 ans, autour de 17% dans la population hétérosexuelle (Tableau 18).


Contrairement à la carrière sentimentale des hommes hétérosexuels, celles des homosexuels n’est pas linéaire ; les relations électives sont plus nombreuses au moment de la maturité : entre 25 ans et 45 ans deux hommes sur trois sont alors engagés dans une “ relation stable ” ; par la suite, cette proportion diminue fortement avec l’âge : aux âges extrêmes, c’est-à-dire avant 25 ans ou delà de 45 ans, la moitié des répondants déclare un partenaire stable. Notons que le couple reste, par ailleurs, l'idéal sentimental non réalisé d’une forte minorité de jeunes : plus de 37% des répondants de moins de 25 ans sont à la recherche d’une relation stable ; entre 25 et 45 ans ce taux oscille autour de 30% et après 45 ans ce taux se stabilise au dessous de 25%.

La corésidence varie également fortement avec l’âge. Elle est maximale au cours de la trentaine parmi ceux qui déclarent une relation stable, trois hommes sur quatre alors cohabitent avec leur partenaire. Mais la plus forte différence entre les hommes hétérosexuels et ceux des enquêtes Presse gaie se situe au niveau de l’union sans cohabitation. Alors que dans la population masculine hétérosexuelle, les couples non cohabitants sont rares, parmi les homosexuels cette forme de partenariat reste importante : quel que soit l’âge, le quart environ des répondants est dans cette situation. Avant 20 ans, la relation stable s’inscrit rarement dans la quotidienneté. Cette situation évolue rapidement avec l’âge : entre 20 et 24 ans, quatre hommes sur dix qui déclarent une relation stable cohabitent avec leur partenaire homosexuel ; entre 30 et 39 ans, plus de six sur dix vivent avec leur compagnon. Ce taux décroît régulièrement parmi les homosexuels vieillissants.

La nature des relations de couple évolue fortement avec l’âge[39] et surtout, à âge égal, en fonction de la durée de la vie sexuelle et de celle du couple. Pour les hommes qui vivent en couple, pendant les premières années de la vie sexuelle, dans 67% des cas la relation stable est exclusive. Ce taux décroît régulièrement par la suite, il est de 51% entre 6 et 10 ans, de 46% entre 11 et 15 ans et enfin de 35% après 15 ans de vie sexuelle ; et, si l’on considère la durée de la vie du couple, l’évolution est tout aussi importante : dans 54% des cas, les couples récents (2 ans au plus) sont exclusifs, au-delà de 10 ans, ce pourcentage chute à 24%.

Les jeunes homosexuels sont plus nombreux que les autres à s’investir dans un rapport de fidélité : 55% des moins de 25 ans engagés dans une relation de couple déclarent cette union“ exclusive ”. Par la suite ce taux décroît régulièrement. Avec l'âge, mais aussi avec la durée de l'union qui constitue son corollaire, la relation privilégiée s'accommode de plus en plus de relations sexuelles“ extra-conjugales ” : ainsi, on observe qu'après 35 ans le mode de vie en couple ouvert aux rencontres occasionnelles est nettement majoritaire (plus de 60%). On peut voir dans cet attrait pour le modèle du couple“ fermé ” des plus jeunes un effet lié à l'âge et aux modes de vie qui leurs ont été donnés pour modèles qu’altère l’acquisition d’une familiarité avec les codes homosexuels qui incitent plutôt à la multiplicité des rencontres sexuelles et qu’altère également un phénomène plus général lié à l’évolution de la sexualité conjugale (Bozon, 1997), en particulier, la non-exclusivité qui augmente avec la durée de la vie commune.

Comme on l’a vu, par rapport aux hommes hétérosexuels de l’enquête INED (Léridon, Villeneuve-Gokalp, 1994), les homosexuels se caractérisent par une instabilité très forte des unions qui, selon nos observations, se concentre au moment de leur initiation sexuelle.


Comme l’illustre le Tableau 19, les amours qui “ comptent ” sont précoces mais très instables : à 21-24 ans, les jeunes répondants déclarent déjà en moyenne 1.91 unions dont un nombre non négligeable avec des femmes (0.26) contre 0.37 parmi les hommes hétérosexuels au même âge[40].

Après cette phase initiale d’instabilité, la courbe du nombre moyen d’unions, bien que toujours plus importante que chez les hétérosexuels, prend la même allure que celle des hommes hétérosexuels ; et on peut souligner un phénomène assez inattendu : comparé à ce groupe majoritaire, les tentatives d’unions avec une femme restent relativement fréquentes parmi ces homosexuels affirmés.

Dans la mesure où, comme on l’a vu, l’homosexualité implique pour beaucoup d’hommes un mode de vie centré sur la drague et donc un multipartenariat, le couple homosexuel s’insère souvent dans le contexte de cette vie amoureuse plus mouvementée. Le jeune homosexuel en quête de partenaires (y compris d’un partenaire stable) se trouve confronté à des codes avec lesquels il doit se familiariser et à des modes de vie différents de ceux qui lui ont été donnés pour modèles. Et le moment où ces jeunes s’affranchissent des anciennes normes, correspond souvent à une période d’euphorie que M. Pollak à la suite de M. Weber qualifie “ d’enchantement de la liberté ” (Pollak, Schiltz, 1991). Effectivement, ce phénomène est perceptible lorsque l’on compare les chronologies des hommes hétérosexuels avec celles des répondants aux enquêtes Presse gaie : à âge égal, la vie sexuelle et sentimentale des homosexuels est toujours plus précoce. Très tôt une part importante d’entre eux multiplie volontiers les rencontres et s’engage dans des relations qui comptent mais qui seront souvent de courte durée. Avec l’âge, on peut voir dans l’accroissement important de la proportion d’hommes sans lien affectif privilégié le contre-effet du caractère précipité de ces trajectoires : au-delà de 45 ans, la proportion des hommes qui n’ont eu aucun partenaire dans l’année s’accroît ainsi que celle des hommes qui vivent seuls. Comme pour l’affranchissement par rapport à leur famille, la carrière sexuelle et sentimentale des homosexuels se distingue par son allure accélérée comparée à celle des hommes des enquêtes en population générale.



3. Trajectoires et conduites face au risque du VIH

Les jeunes homosexuels ne sont pas seulement confrontés à l’acceptation et l’affirmation de leurs préférences sexuelles et à la recherche de modes de vie qui leur offrent la possibilité de rencontrer des partenaires sexuels et des amis qui ont la même orientation sexuelle qu’eux. L'irruption du sida a introduit une contrainte supplémentaire : désormais ils ont à faire face à ce risque de santé dès le début de leur vie sexuelle et doivent tenter de concilier cet impératif avec leur quête de liberté sexuelle.

Bien que les observations épidémiologiques indiquent, en France, une diminution relative de la part d es homo/bisexuels masculins dans les nouveaux cas de sida déclarés, ce groupe de transmission reste cependant majoritaire depuis le début de l’épidémie. Les homosexuels français ont, très tôt, eu recours au test de dépistage du VIH : dès 1986, 32% des répondants avaient fait un test ; en 1995, 88% sont désormais testés. Le taux de résultats positifs a été maximum en 1986, avec 22%, pour décroître par la suite. En 1995, 16% des répondants testés sont séropositifs. Les homosexuels ont ainsi très vite su qu’ils avaient une activité sexuelle dans un réseau fortement touché par le VIH et, de ce fait, ont été très rapidement confrontés à la question de la prévention. L’adoption des gestes préventifs a somme toute été rapide. Alors qu'en 1985, seulement 44% des enquêtés déclaraient avoir modifié leurs comportements en prenant des précautions, ce souci est désormais partagé par presque tous les homo/bisexuels masculins. Cette adaptation commence par la réduction du nombre de partenaires sexuels, l’évitement de certains lieux de rencontres. Puis viennent par la suite la protection de l’acte sexuel lui-même ou l’abandon des pratiques sexuelles les plus à risque comme la pénétration anale. Au tournant des années 90, la communication en direction des homosexuels qui valorise exclusivement l’usage du préservatif infléchit le cours des choses. Entre 1991 et 1995, on constate une augmentation significative de l’activité sexuelle compensée par une augmentation significative de la proportion de répondants qui se protègent systématiquement avec leurs partenaires occasionnels[41]. Cette évolution est confirmée par d’autres indicateurs ; au cours de cette même période, on constate une forte diminution des stratégies d’évitement qui consistent à limiter le nombre de partenaires et certaines pratiques sexuelles avec les partenaires occasionnels.


Comme l’illustre le Tableau 20, la limitation et la sélection des pratiques, des lieux et des partenaires ont atteint un maximum en 1991. Depuis, les homosexuels font de plus en plus confiance à la protection des pratiques et abandonnant toute autre forme de circonspection. Ces indicateurs globaux donnent une mesure de l’impact des messages de prévention qui ont à partir des années 90 privilégié“ le tout préservatif ”. Mais, ces résumés masquent la complexité des stratégies d’évitement du risque mises en oeuvre par les homosexuels.

L’utilisation du préservatif varie fortement selon les pratiques sexuelles et le type de partenaire. Ainsi pour la fellation, pratique courante parmi les homosexuels, l’usage du préservatif ne s’est pas imposé tandis que la pénétration est désormais une pratique très protégée. Pour la fellation, les homosexuels ont adopté une autre forme de précaution. Avec le partenaire stable, l’évitement du sperme dans la bouche est adopté par la moitié des répondants. Avec les partenaires de rencontre, cette précaution s’est récemment banalisée puisqu’elle passe de 52% en 1991 à 75% en 1995. La protection de la pénétration a également fortement augmenté dans le cadre des rencontres occasionnelles (53% en 1991 contre 73% en 1995) alors qu’elle est relativement stable avec le partenaire stable (de 38% en 91 à 44% en 95). Cette moindre protection entre partenaires stables s’appuie sur la pratique fréquente et répétée du test de dépistage du VIH et la connaissance des statuts sérologiques. Or, la vie en couple incite à faire le point et selon la concordance ou la discordance des statuts, on constate de fortes variations dans la pratique du safer sex. Dans leur intimité, les couples séronégatifs, assurés de leur statut sérologique, ont majoritairement abandonné toute forme de protection : plus des deux-tiers ne se sont pas protégés lors de la dernière pénétration anale. Malgré une communication qui insiste sur les dangers d’une surcontamination, le quart des couples séropositifs ne prend pas de précaution. En revanche l’obligation au safer sex est intégrée dans la vie de presque tous les couples discordants surtout lorsque le partenaire non contaminé est assuré de sa séronégativité. Ces quelques données montrent que les répondants font une différence de plus en plus importante selon le lien qui les uni à leurs partenaires sexuels ; et dans le cas d’une relation privilégiée, leur conduite face au risque dépend fortement de leurs statuts sérologiques réciproques.

Ces différences de protection selon les pratiques et le type de partenaire indiquent également que l'utilisation du préservatif n'est qu'un élément de la gestion du risque. Certains répondants tentent de limiter les situations d’exposition en modifiant leur mode de vie ; ces deux types de conduite face au risque peuvent être exclusifs ou combinés. En 1995, une analyse détaillée (Tableau 21) montre que l’adaptation est complexe. Le groupe majoritaire (79%) est composé d’hommes qui ont opté pour le safer sex ou “ sexualité à moindre risque ” qui, en France, correspond plus à la protection qu’à l’abandon des pratiques sexuelles à risque ; pour autant ce groupe n’est pas homogène : 37% d’entre eux ont opté pour le seul safer sex ; les autres, (42% ), combinent l’usage du préservatif à une modification de leur mode de vie : certains limitent le nombre de leur partenaires, d’autres abandonnent la pratique de la pénétration avec des partenaires de rencontre. Nos observations montrent par ailleurs que, sur la base soit d’un engagement de fidélité ou de protection systématique lors de relations “ extra-conjugales ”, 12% des répondants ont une sexualité non protégée avec leur partenaire stable. Enfin, en 1995, une minorité d’hommes continue à avoir une gestion du risque plus incertaine ; ainsi 7% tentent de limiter les situations d’exposition[43], sans autre forme de protection ; une minorité maintient des comportements à risque (5%) ou ne déclare aucune stratégie d’évitement du risque (3%).

Cet éventail de stratégies de protection ne peut être compris qu’en rapport avec la diversité des modes de vie et des statuts sérologiques des homosexuels[44]. Or, on a vu que les modes de vie des plus jeunes évoluent et l’on verra qu’avec l’âge la prévalence du VIH augmente. On peut donc formuler l'hypothèse que l’adaptation au risque du VIH prend des contenus assez différents suivant l’âge.


Une protection rapidement intégrée après quelques hésitations chez les plus jeunes

Les jeunes de 16-22 ans sont légèrement surreprésentés parmi les gais qui n’ont pas de stratégie, déclarent maintenir des risques ou sélectionner leurs partenaires ou les lieux de drague qu'ils fréquentent sans avoir recours à d’autres formes de protection (21% pour les 16-20 ans et 17% pour les 21-22 ans, contre 15% dans l'échantillon global) Tableau 21.


Le total des individus qui en définitive n’ont pas de stratégie ou des stratégies de sélection - de partenaires sur leur apparence ou de lieux de drague selon leur réputation - qui ne les protègent pas réellement est quelque peu plus élevé parmi les plus jeunes répondants. Mais, cette difficulté est très rapidement surmontée. Ainsi, à partir de 23 ans, la proportion des homosexuels qui déclarent avoir opté pour le safer sex fluctue autour de 79%. Très rapidement les jeunes intègrent le préservatif : selon un décompte qui retient l’emploi régulier et occasionnel du préservatif[45], son usage est largement répandu, plus de quatre répondants sur cinq l’utilisent. Les benjamins déclarent un usage global légèrement inférieur aux jeunes adultes plus expérimentés, mais contrairement aux années précédentes, ces déficits ne sont plus réellement discriminants. C’est entre 21 et 29 ans que le préservatif est le plus utilisé et le mieux accepté. Ce constat est confirmé par un autre indicateur plus ponctuel : lors de la dernière pénétration anale avec un partenaire de rencontre, 12% des 16-20 et 9% des 21-25 ans  ne se sont pas protégés, contre 7% pour les 26-35 ans et 11% pour les 36-45. En revanche, les plus âgés ont plus de difficultés à intégrer cet objet dans leurs habitudes sexuelles, 15% ne se sont pas protégés à cette occasion ; ils sont également plus nombreux à maintenir de comportements qui ne les mettent pas à l’abri du risque. On peut voir dans cette plus grande difficulté face à l’adoption de gestes préventifs spécifique de cette génération, la marque d’une époque où la sexualité sans contrainte était revendiquée.

Si l’usage du préservatif impose la régularité, il nécessite également l'acquisition d'un certain “ savoir-faire ” que tous les répondants ne semblent pas maîtriser. Parmi les utilisateurs, avant 30 ans, le nombre d’incidents (ruptures et glissements)[46] dans l’année se situe autour de 37-38% ; par la suite, ce taux diminue et se stabilise autour de 30%. C’est donc, chaque année, plus d’un jeune utilisateur de préservatif sur trois qui peut, ainsi, avoir été exposé accidentellement au risque.

Comme leurs aînés, les jeunes ont à faire face à une demande très fréquente de rapports sexuels non protégés (42% en ont fait l'expérience) et dans l’ensemble ils savent, sans distinction d’âge, imposer leur exigence d’une sexualité à moindre risque. Même si ces réponses comportent une forte dimension normative, une écrasante majorité de jeunes confrontée à cette situation déclare avoir maintenu une attitude de safer sex soit en imposant l’usage du préservatif, soit en renonçant au rapport sexuel. Seule une minorité, stable dans le temps (qui oscille autour de 10%), n’arrive pas à négocier les modalités du rapport sexuel et à imposer son souhait d’une sexualité à moindre risque. Ces hommes ont un profil particulier : ils cumulent les fragilités sociales, qui les rendent plus vulnérables et moins aptes à s’imposer dans une interaction.

Outre les défaillances matérielles ou la difficulté à négocier une relation sexuelle protégée, bien d’autres facteurs peuvent intervenir dans ces manquements. Chaque année, un répondant sur cinq déclare au moins une pénétration anale non protégée au cours des douze derniers mois avec un partenaire de statut sérologique différent ou inconnu. Ces prises de risque majeures ne se cantonnent pas uniquement dans le groupe minoritaire des hommes qui ne se sont jamais adaptés de façon efficace à l’épidémie ni au cas des hommes qui auraient abandonné tout geste de protection après avoir été safe ; en effet, en 1995, seulement 2% des répondants affirment : “ pendant un temps j’ai été safe mais depuis j’ai abandonné ”. La présence du risque est plus diffuse et des prises de risque interviennent également chez les hommes bien informés qui ont adopté le safer sex. Ces déclarations de risque sont indépendantes de l’âge et de la durée de la vie sexuelle mais augmentent fortement lorsque le nombre de partenaires sexuels est important[47]: ainsi 34% des hommes qui ont plus de 20 partenaires déclarent au moins une pénétration anale non protégée avec un partenaire de statut sérologique inconnu ou différent du leur, contre 24% pour ceux qui ont entre 10 et 20 partenaires et 17% pour ceux qui ont entre 6 et 10 partenaires. Ce taux est de 11% parmi ceux qui déclarent moins de 5 partenaires dans l’année. Or, on a vu qu’avec l’âge la proportion d’hommes qui ont plus de vingt partenaires dans l’année augmente[48] et ainsi l’exposition au risque peut-être plus importante.

Avec un temps de retard, à partir de 1987, les jeunes s’adaptent progressivement au risque et leur niveau de protection ne diffère alors plus de celui de leurs aînés à l’exception des benjamins qui vivent leurs premières expériences sexuelles. Tant que les jeunes ont une sexualité occasionnelle et qu'ils évoluent dans des réseaux où la prévalence du VIH est faible, les incidents ou les absences ponctuelles de protection ont une probabilité plus faible d’avoir des conséquences graves. En revanche, les défaillances prennent une tout autre ampleur au moment où les jeunes adultes intensifient leur participation à la drague homosexuelle et peuvent avoir des conséquences d’autant plus dramatiques qu’elles ont lieu dans des réseaux où la prévalence du VIH est forte. Alors qu’au début de sa vie sexuelle un répondant sur vingt déclare un amant séropositif, après dix ans de vie sexuelle plus du tiers des répondants ont ou ont eu un partenaire sexuel ou un compagnon séropositif ou mort du sida. Ces données font clairement apparaître l'importance de la présence du VIH dans ces réseaux d’échanges sexuels. Ainsi, même si le niveau de protection des homosexuels s'est stabilisé à un niveau élevé, il est, comme nous allons le voir, insuffisant pour stopper la progression de l'épidémie parmi les homo/bisexuels masculins.


La prévalence différentielle du VIH selon les âges et la durée de vie sexuelle

Comparée à la pratique du dépistage volontaire des anticorps au VIH parmi les homosexuels et bisexuels de l’enquête ACSF, cette auto-surveillance est largement généralisée parmi les hommes des enquêtes Presse gaie : ainsi 89% parmi ceux qui ont des pratiques exclusivement homosexuelles au cours de l’année sont testés; ce taux est de 80% pour ceux qui ont des pratiques bisexuelles. Parmi les hommes de l’enquête ACSF définis également selon leur comportement sexuel dans l’année, le recours au test est toujours moindre, il concerne 66% des homosexuels et 35% des bisexuels (Messiah et al., 1995). Cette pratique intervient très tôt parmi les répondants aux enquêtes Presse gaie. Dès l’âge de vingt ans, les trois quarts des répondants ont eu recours à cet examen ; à 21-22 ans, ce taux dépasse les 80% et, par la suite, la proportion de répondants testés se stabilise autour de 90%. Cette auto-surveillance se caractérise également par une répétition des contrôles[49] (Tableau 22).

Ce recours au test apparaît comme très spécifique si on le compare à celui des jeunes hommes de la population générale. Dans l'enquête ACSF, 12% des jeunes gens en population générale sont testés à 18-19 ans, 33% dans la classe d’âge 20-29 ans ; aux mêmes âges, respectivement 61% et 87% des répondants de l'enquête Presse gaie sont testés. Le recours au test est toujours beaucoup plus important chez les homosexuels des enquêtes Presse gaie que chez les jeunes de la population générale.

Ce recours précoce et massif au test permet de suivre les effets de l'âge et de la durée de vie sexuelle sur les taux de contamination par le VIH .


D'emblée, nous constatons (Tableau 23) une importante contamination des plus jeunes (plus de un sur vingt) ; par la suite la proportion d'individus contaminés croît avec l’âge, mais de façon irrégulière avec, à certaines époques de la vie, d’importants paliers. Avant 24 ans, la proportion de répondants séropositifs est relativement stable (autour de 6%) mais par la suite, ce taux croit régulièrement. Vers la trentaine, la prévalence fait un saut (+ 9 points) : la proportion de répondants contaminés est maximale entre 31 et 45 ans, un répondant sur cinq est alors séropositif. L’examen de l’évolution des taux de prévalence selon la durée de la vie sexuelle nous permettra d’interpréter la forte prévalence au sein de cette classe d’âge qui en moyenne a commencé sa vie sexuelle au début des années quatre-vingts ou avant. L’interprétation de la baisse de la prévalence parmi les plus âgés de l’échantillon doit faire la part des choses entre un mode de vie désormais moins exposé[50] et la mort de nombreux séropositifs de cette génération souvent contaminés au début des années quatre vingts[51].

Si l'on prend en compte non plus l'âge mais un indicateur plus précis, à savoir la date de la première expérience sexuelle (Tableau 24), l’entrée dans la sexualité est marquée par une exposition relativement importante au risque du VIH. Par la suite, le nombre de contamination marque temporairement le pas pour prendre un rythme soutenu et régulier après 8-9 ans de vie sexuelle. La proportion d’hommes contaminés croit désormais, comme pour les maladies sexuellement transmissibles, régulièrement en fonction de la durée de la vie sexuelle.

Notons que la proportion de répondants qui ont effectué un test de dépistage du VIH alors négatif et sont à la date de l’enquête incertains de leur statut sérologique est importante (15%). Malgré des contrôles très souvent répétés (70% des tests ont moins d’un an), une forte minorité d’homosexuels vit dans l’inquiétude. Cette appréhension est le signe de leur conscience de l’importance de la forte présence du VIH dans le groupe comme le prouve la rationalité sous-jacente qui mène au doute : les hommes qui se protègent de façon inconsistante ainsi que ceux qui multiplient les rencontres sont proportionnellement bien plus nombreux que les autres à ne plus être sûr de leur statut sérologique actuel.


L'effet conjoint de la diffusion historique des gestes préventifs et du mode de vie sur les taux de prévalence du VIH

Pour expliquer les variations des taux de contamination, il faut prendre en compte l’influence des modifications de modes de vie des jeunes homosexuels et les effets de génération liés aux grandes dates de la prévention et de la diffusion de l'information sur le sida.

A partir de 24-25 ans, à un âge où la majorité des répondants accèdent aux autonomies affective et financière, la proportion de séropositifs croît désormais fortement et régulièrement. Or on sait que ces affranchissements induisent des changements importants dans la sexualité. Avec l’âge, la proportion d’hommes qui ont plus de vingt partenaires dans l’année augmente et, on a vu que la proportion d’hommes qui déclare avoir encouru un risque majeur dans l’année est plus importante parmi ceux qui ont un mode de vie très centré sur la drague. A cela s’ajoute la migration des jeunes vers les grands centres urbains et la capitale qui les confronte à des réseaux d’échanges sexuels où la prévalence du VIH est plus forte. A peine sont-ils parvenus à prendre leur distance avec un entourage familial souvent peu tolérant et à mettre en place les conditions permettant de vivre leur homosexualité, que les jeunes adultes s'insèrent dans des réseaux socio-sexuels qui font surgir d'autres dangers : pour certains jeunes, en nombre réduit mais non négligeable, l'expérience brutale de la séropositivité suit de peu l'acquisition des libertés. L'engagement dans le monde gai exerce donc une double influence : les individus qui profitent pleinement des possibilités de drague que leur offre la vie homosexuelle sont à la fois ceux qui utilisent le plus fréquemment le préservatif et ceux qui, par ailleurs, rencontrent les problèmes les plus importants pour maintenir un système de protection parfaitement efficace ; l’importante adaptation au risque est alors contrebalancée par un mode de vie plus centré sur la drague dans des réseaux d’échanges sexuels à forte prévalence du VIH.

Pour éclairer la forte hausse de la prévalence du VIH au moment de la trentaine, il est nécessaire d’introduire l’évolution de la prévalence selon la durée de la vie sexuelle. En 1991 comme en 1993, les données mettaient en évidence l'existence d'une génération entrée dans la vie sexuelle sans aucune information sur le sida et ses modes de transmission à un moment où l’épidémie était déjà fortement présente dans le groupe : alors qu’un répondant sur cinq ayant eu ses premières expériences sexuelles avant 1984 était touché par le VIH, ce taux chutait de moitié (un sur dix) pour ceux qui avaient eu leurs premières expériences sexuelles entre 1984 et 1987 (Tableau 25). Cette chute ne peut s'expliquer par une modification des modes de vie ou un recours plus important au test puisque, comme on l’a vu, après 10 ans de vie sexuelle les styles de vie et d’auto-surveillance sont stabilisés. Cette différence dans les taux de prévalence du VIH est à mettre en perspective avec l’histoire de l’épidémie et de la prévention : soutenu par les campagnes de prévention, le safer sex (protection ou abandon des pratiques les plus à risque en particulier de la pénétration anale) commence, en effet, à se développer à partir de 1984-85. Après cette date, apparaît une nouvelle génération d'homosexuels qui, encore sous le choc de la découverte de l’ampleur de l’épidémie parmi les homosexuels français, entrent dans la sexualité en adoptant des mesures de prévention[52]. Les répondants les plus âgés ont souffert du manque d’information caractéristique du début des années 1980 et nombreux sont ceux qui, alors, ont été touché par le VIH.

En 1995, les différences dans les taux de séropositivité selon l'âge subsistent entre les individus qui ont commencé leur vie sexuelle à un moment où l'information sur le VIH n’était pas encore disponible et les autres[53] mais, depuis 1991, ce palier a tendance à s’estomper (Tableau 25). La croissance de la proportion d’hommes atteints - que ce soit en fonction de la durée de la vie sexuelle ou de l’âge - prend dès lors une allure plus continue. Ce lissage de la courbe rend compte de l’oubli du choc que fut la révélation de l’ampleur de l’épidémie parmi les homosexuels et des grandes dates de la prévention mais aussi de la disparition des hommes qui avaient été contaminés au début des années quatre vingts. Par ailleurs, cette progression régulière de la proportion de séropositifs parmi les répondants selon la durée de la vie sexuelle atteste d’une certaine “ banalisation ” de l’épidémie au sens où, à l’instar de celle des autres MST, la proportion de personnes atteintes augmente avec la durée de l’exposition à l’agent transmissible. Ce constat doit être cependant tempéré et resitué dans le contexte d’un baisse régulière de la prévalence parmi les répondants aux enquêtes Presse gaie ; ce que confirment les observations épidémiologiques qui attestent également d’une baisse de la prévalence du VIH dans le groupe de transmission homo/bisexuel.


La variabilité du recours au test et des risques de contamination en fonction de la position des individus dans la hiérarchie sociale

Sur la décennie, la diffusion des pratiques préventives est corrélée dans un premier temps à la connaissance de personnes séropositives, un statut social et professionnel de niveau élevé ainsi qu'un haut degré d'intégration dans la communauté. Cette adaptation différentielle entraîne, au cours de la période, des modifications importantes des prévalences du VIH selon la hiérarchie sociale. Si en 1987, le groupe des cadres, possesseurs d’un diplôme de deuxième ou troisième cycle universitaire, paye le plus lourd tribu à l’épidémie, en 1995, la tendance s’est inversée, au détriment des plus défavorisés. Les hommes ayant une formation supérieure sont dans un premier temps les plus touchés mais ils réagissent très rapidement et dès 1989, la proportion de séropositifs dans ce groupe décline régulièrement. La réaction des hommes disposant d’un moindre capital scolaire est plus tardive. Cependant, à partir de 1990, les écarts s’amenuisent, exception faite pour les personnes en situation de précarité sociale qui ont une gestion du risque plus problématique. La proportion de séropositifs dans les enquêtes Presse gaie reflète désormais l’inégalité des groupes sociaux devant la maladie : les personnes défavorisées sont dorénavant les plus exposées au risque de contamination. Et, en cela, le sida se rapproche des autres risques de maladie (Adam, Herzlich, 1994).

Cette description montre l'hétérogénéité des facteurs qui interviennent dans la gestion des risques : la position sociale, le niveau d'éducation mais aussi le mode de vie socio-sexuel qui apparaît de plus en plus comme un facteur explicatif incontournable. L'engagement dans le monde homosexuel et le nombre des partenaires sexuels des individus exercent une double influence : les individus les plus engagés dans la drague sont à la fois ceux qui utilisent le plus fréquemment le préservatif et ceux qui, par ailleurs, ont le plus de problèmes à maintenir un système de protection parfaitement efficace. Avec le temps, les facteurs historiques qui introduisaient une forte disparité entre la génération entrée dans la sexualité avant que les principes de la prévention ne soient établis et ne se diffusent au sein de la communauté homosexuelle et celle qui avait bénéficié de l’information s’estompent.


Conclusion

La comparaison avec les homo/bisexuels de l’enquête ACSF montre clairement que l’enquête par voie de presse recrute préférentiellement les hommes qui ont des pratiques exclusivement homosexuelles et une activité sexuelle, mesurée en nombre de partenaires, plus importante que les homo/bisexuels contactés selon une procédure aléatoire. Malgré ce recrutement qui privilégie les homosexuels affirmés, une forte minorité de ces jeunes traversent une période d’indécision vis-à-vis de leur choix sexuel qui se caractérise plus par des pratiques bisexuelles que, comme on aurait pu le penser, par le refus de reconnaître et d’affirmer leur homosexualité. La peur du conflit ou du rejet que l’annonce de cette sexualité pourrait susciter chez leurs proches semble difficile à surmonter et, sur ce point, la majorité des benjamins reste dans le non-dit ; ces jeunes ont alors encore peu d’amis homosexuels et hésitent à faire part de leur orientation sexuelle à leurs amis hétérosexuels ; dans le milieu familial, là où l'attente de la conformité sexuelle est la plus forte, ils vivent une situation très difficile : une majorité s'enferme dans le silence et ceux qui le rompent sont relativement souvent rejetés. Aussi, tant qu’ils sont dans une situation de dépendance familiale, leur sexualité, souvent dissociée de leur sociabilité, est plus fréquemment marquée par l’anonymat caractéristique des relations sexuelles sans lendemain. Bien que les premiers rapports sexuels soient moins bien protégés, par rapport au risque de contamination par le VIH, les benjamins de l’étude sont, en probabilité, moins exposés du fait d’une sexualité moins fréquente dans un réseau d’échanges sexuels qui apparaît moins touché par le VIH.

Cette expérience d’une sexualité marginale difficilement dite et acceptée doit être associée au départ du foyer familial précoce de ces jeunes. Alors, ces jeunes adultes s'intègrent progressivement dans une sociabilité homosexuelle qui leur permet de mieux concilier les sphères sexuelle, affective et sociale : les bars et des discothèques étant les lieux privilégiés de cette socialisation. Même en contexte d'épidémie, il est alors difficile pour ces jeunes adultes au moment où ils s’affranchissent des anciennes normes de ne pas connaître une période d’euphorie ; ce phénomène est d’autant plus marqué qu'un nombre important d'entre-eux a vécu auparavant dans le milieu familial une situation caractérisée par une découverte et une pratique problématiques de leur sexualité. Cette activité sexuelle plus importante, qui s’exerce désormais dans des réseaux d’échanges sexuels à forte prévalence du VIH, apparaît alors comme un facteur associé à une plus grande probabilité d’exposition au risque. Dans la mesure où ils sont rapidement indépendants, les jeunes homosexuels font l’expérience précoce mais souvent précaire de la“ conjugalité ”. Lors de ces premières expériences de partenariat, le repli sur le couple exclusif est alors plus fréquent.

Effets d'âge mais aussi effets de génération permettent de distinguer les jeunes adultes des hommes ayant plus de trente ans. Ces derniers changent leurs habitudes de rencontres sexuelles, ils recourent désormais plus fréquemment que les autres aux lieux de consommation sexuelle immédiate (saunas, backrooms et lieux publics) dont la fréquentation exige une familiarité avec les codes de la drague homosexuelle. Bien que la “ vie de célibataire ” soit le style de vie le plus répandu, on a vu que, sur la décennie, la relation stable avec corésidence occupe une place grandissante dans la vie des homosexuels et que cette augmentation ne se limite pas aux nouvelles générations. Les formes de ces “ unions ” restent très influencées par l’organisation des modes de rencontres homosexuelles qui facilite la multiplication des partenaires ; aussi, n’est-il pas étonnant que dans ce contexte, l’attrait pour la relation élective ne se conjugue pas toujours avec la fidélité et qu’avec l'âge et la durée du couple, les unions homosexuelles s'ouvrent de plus en plus vers les partenaires extérieurs. La forte prévalence du VIH parmi ces hommes qui, pour la plupart, ont commencé leur sexualité avant 1984 est d’abord attribuable au manque d’information caractéristique du début des années 1980. Cette génération, souvent engagée dans l’affirmation de l’homosexualité associée à une valorisation de la multiplicité des conquêtes, a été frappée de plein fouet par l’épidémie.

Au-delà de 45 ans, l’activité sexuelle devient plus problématique. Les modes de vie affective évoluent, la proportion d'individus vivant seuls augmente ; ceux qui vivent en couple sont alors majoritairement dans des relations non exclusives. Par ailleurs, cette génération reste marquée par le climat moins tolérant qu’elle a connu par le passé : ces hommes vivent plus fréquemment leur homosexualité dans le secret, ils sont aussi plus nombreux à s’être engagés dans un mode de vie hétérosexuel et à vivre avec leur femme.

Nous nous sommes centré sur les étapes du processus d’émancipation des jeunes homosexuels en montrant les formes originales qu’il prenait par rapport à celui de l’ensemble des jeunes de leur génération. Or, la littérature sociologique sur la jeunesse s’est attachée à montrer que les modalités de transition vers l'âge adulte sont multiples et que les conditions de vie ne sont pas sans effet sur les itinéraires. Dans la mesure où, au sein d'une même classe d'âge, se cachent des “ univers sociaux qui n'ont pratiquement rien de commun ” (Bourdieu, 1980), la mobilité spécifique des homo/bisexuels masculins que nous avons globalement décrite est très inégalement répartie. Les processus d’émancipation prennent des allures différentes selon la position sociale des individus.

La surreprésentation des urbains des classes moyennes supérieures parmi les homosexuels et des bisexuels des enquêtes ACSF et Presse gaie par rapport aux hommes hétérosexuels de l’enquête ACSF se retrouve dans toutes les études françaises et étrangères sur cette population ; certains chercheurs ont expliqué cette meilleure insertion sociale par une mobilité sociale et géographique spécifique des homosexuels vers des métiers plus tolérants et un environnement plus anonyme qui leur offrent des possibilités de rencontres avec des pairs et la possibilité de vivre plus librement leur sexualité ; d’autres y voient plus l’effet d’une plus grande ouverture d’esprit à l’égard des conduites non traditionnelles dans les grandes agglomérations et les milieux plus favorisés qui, à son tour, facilite l’expression des préférences homosexuelles. Nos observations accréditent l’effet conjoint de ces deux hypothèses : comparés aux hommes en population générale, les“ volontaires ” ont, certes, une origine sociale plus élevée mais aussi des destinées particulières : par rapport à leur père, ils optent plus volontiers pour des métiers non manuels et occupent plus souvent une position professionnelle plus élevée.

Malgré ce biais de recrutement, chaque année, une proportion non négligeable d’hommes issus de milieux plus défavorisés répondent aux enquêtes Presse gaie ; leurs trajectoires socio-sexuelles ne se déploient pas comme celles des classes moyennes supérieures, elles prennent un cours accéléré : ces hommes entrent de façon plus précoce dans la sexualité, et s’installent plus souvent mais surtout plus rapidement dans une relation exclusive avec corésidence. Leur départ du foyer parental précipité est pour plus du tiers d’entre-eux assorti d’une insertion sociale problématique ; face au risque de contamination par le VIH, ces jeunes sont plus démunis. Dans ce groupe défavorisé composé d’ouvriers, de chômeurs et de divers inactifs parfois prostitués, les jeunes sont proportionnellement plus nombreux à rendre compte d’une sexualité non protégée avec un partenaire de statut sérologique inconnu ou différent du leur. En difficulté lorsqu'il s'agit d'imposer une attitude safe, ces jeunes se prononcent, plus souvent que les autres, pour un contrôle de l'épidémie par l'adoption de mesures autoritaires à l'encontre des personnes contaminées (Pollak et al., 1989). Probablement en raison d’une mobilité géographique très restreinte mais aussi de ressources sociales plus limitées, les réseaux de sociabilité de ces hommes défavorisés n’évoluent guère avec le temps. Ils restent confrontés à une plus grande solitude : avec l’âge, leur mode de rencontre de partenaires sexuels est de plus en plus dépendant de moyens anonymes (petites annonces, réseaux téléphoniques et lieux publics) et l’achat d’un journal homosexuel reste pour une forte minorité d’entre-eux un moyen de rompre avec un sentiment d’isolement. Bien que, comme les gais des classes moyennes et supérieures, ils se sentent généralement bien acceptés par leurs amis hétérosexuels, ils sont cependant proportionnellement plus nombreux à se plaindre d’injures liées à leur homosexualité. Il semble que ces sentiments d’isolement et de fragilité viennent autant de leur environnement hétérosexuel que de leurs difficultés à se rapprocher de lieux de vie gaie et à s’intégrer dans des cercles de sociabilité homosexuelle.

Les formes spécifiques des trajectoires collectives des homo/bisexuels que nous venons de décrire mettent en évidence la nécessité pour les jeunes d’une conquête d’un mode de vie qui rende possible la réalisation de leur inclinaison homosexuelle. Ce qui ne peut se faire que par étapes, où cours desquelles ils doivent sortir du silence et de l’exclusion par la recherche d’un environnement plus tolérant qui élargit le champs des opportunités de rencontre avec des pairs. Si la compétence à briser ce sentiment d’isolement social augmente avec l’expérience, cette aptitude est modulée par des effets de générations et les ressources sociales des individus ; ainsi la vieille génération qui a plus souvent vécu sa sexualité dans la clandestinité s’oppose à la plus jeune qui découvre une homosexualité plus banalisée - tout au moins hors du milieu familial - que ces jeunes peuvent plus aisément insérer dans leur vie sociale “ ordinaire ”. Par rapport aux citadins des classes moyennes et supérieures, les trajectoires des hommes des classes défavorisées sont organisées autour de contraintes plus fortes, en particulier elles sont marquées par une mobilité géographique réduite vers les grandes agglomérations plus favorables à la réalisation des désirs homosexuels. Ainsi, les chances de succès des homo/bisexuels masculins dans la construction d’un mode de vie qui favorise l’expression de leur homosexualité sont inégalement distribuées et les trajectoires prennent des allures très diverses : aux effets d’âge et de génération s’ajoutent les variations des positions sociales.

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[1]Pour établir cette comparaison, nous nous appuierons sur l’importante production des études socio-démographiques de ces dernières années : enquêtes FamilleFormation et qualification professionnelle et Passage à l’âge adulte menées respectivement par l’INSEE en 1990 et 1993 et l’INED en 1993, enquête sur les Situations familiales menée conjointement par l’INED et l’INSEE en 1985, et, par ailleurs, l’enquête Analyse des comportements sexuels en France réalisée en 1992.

[2] Sur ce point, on peut se reporter à l’historique proposé par B. Lhomond (1997) sur les divers enjeux scientifiques mais aussi politiques qui interviennent dans l’estimation numérique de ce groupe minoritaire.

[3] En plus des biais bien documentés induits par le choix du support et la forme auto-administrée du questionnaire, le biais le plus important tient probablement au mutisme que gardent beaucoup d’hommes qui ont des rapports sexuels avec d’autres hommes sur cette particularité de leur vie sexuelle ; ce qui les exclus, par définition, de toute investigation sociologique.

[4] Chaque année il y a des entrants, les plus jeunes et des sortants, les plus âgés ; entre la première observation et la dernière, dix ans se sont écoulés.

[5] En 1985, les homosexuels représentaient deux tiers des cas de sida enregistrés (BEH, 1991).

[6] De 1985 à 1992, le questionnaire a été diffusé gracieusement par la revue Gai Pied : 1000 questionnaires ont été enregistrés en 1985, 1200 en 1986 et 87, 1500 en 1988 et 89, 2000 en 1990 et 91 et, enfin, 900 retours seulement en 1992, le questionnaire ayant été diffusé trois mois avant la disparition du titre.

[7] Après la disparition de Gai Pied, en 1992, le questionnaire a été diffusé par six revues en 1993 (All Man, Honcho, Rebel, Lettres Gay, La Lettre Gai Pied, Illico) et dix en 1995 (All Man, Gay Vidéo, Honcho, Idol, Illico, Lettres Gay, Men, Querel, Têtu, 3Keller). Etant donné la labilité des titres de presse en ce domaine, la palette des supports choisis pour la diffusion du questionnaire est fluctuante. En sélectionnant des titres qui ciblent des publics différents, nous arrivons à maintenir une certaine stabilité des caractéristiques socio-démographiques des échantillons, à moins que nous ne voulions expressément, comme en 1995, rajeunir l’échantillon.

[8] Ces enquêtes ont fait l’objet de plusieurs rapports : Pollak, Schiltz 1987 ; Pollak, Schiltz, 1991 ; Schiltz 1993 ; Schiltz, Adam, 1995.

[9] A ce propos nous renvoyons à l’enquête Analyse des comportements sexuels des jeunes (ACSJ) (Lagrange, Lhomond, eds., 1997). En s’intéressant aux 15-18 ans, cette recherche nous apporte un éclairage sur la période de l’initiation sexuelle, plus particulièrement pour notre propos, le chapitre consacré aux jeunes attirés par des personnes de même sexe. Les parcours de ces jeunes, qui n’ont pas tous fait l’expérience de la sexualité génitale, anticipent, sur bien des points, les allures spécifiques des trajectoires d’une population plus expérimentée et plus âgée.

[10] Définis comme dans l’enquête ACSF, selon leur pôle d’activité sexuelle au cours de l’année.

[11] Comme dans les échantillons précédents, la moitié des répondants déclarent des partenaires féminines au cours de leur vie et, dans le quart des cas, le premier partenaire sexuel était une femme.

[12] L’enquête Presse gaie 1993 étant la plus proche dans le temps de l’enquête ACSF, elle nous sert ici de base de comparaison avec les générations définies par M. Bozon à partir d’un échantillon représentatif de 20.000 français interrogés en 1991-92. En 1995, les âges médians d’entrée dans la sexualité de ces mêmes générations, plus vieilles de deux ans, entérinent les résultats de 1993.

[13] Au cours de“ votre vie/des cinq dernières années/des 12 derniers mois ” avec combien de personnes de sexe“ féminin/masculin ” avez-vous eu des rapports sexuels ?

[14] En l’absence de confident/es, une importante partie des jeunes homosexuels se trouvent confrontés à la solitude ; selon nos observations, nombreux sont ceux qui ne parlent pas de leur homosexualité y compris avec leurs amis hétérosexuels (dont le tiers ignore leur attirance pour le même sexe). Même si l’on sait qu’on se confie plus volontiers quand on pense ne pas être rejeté, la très faible proportion d’amis et de frères et soeurs qui adoptent une attitude de rejet lorsqu’ils savent suggère qu’une majorité parmi les pairs semble prête à les accepter.

[15]Ce lent et difficile processus de s’accepter soi-même en tant qu’homosexuel et face aux autres, nommé coming out, a été analysé par de nombreux auteurs en particulier par M. Weinberg (1970), B. Dank (1971) et Herdt et Boxer (1993).

[16] Les taux de“ rejet ou de non-dit ” avec l’ensemble des membres de la famille restreinte sont importants parmi les plus jeunes : la moitié d’entre eux expriment un sentiment d’isolement total ; avec l’âge, cette proportion concerne un peu moins du tiers des hommes.

[17] Après 30 ans, on remarque quelques améliorations dans l'acceptation sociale. Une fois installés dans leur identité homosexuelle, certains homosexuels en profitent pour mettre au clair la situation vis-à-vis de leurs parents. On note ainsi une légère augmentation des taux de divulgation de l'homosexualité auprès du père et une légère amélioration de l'acceptation de l'homosexualité de sa part. On peut expliquer certaines de ces révélations familiales tardives par le fait que ces hommes se sont construit une autre vie et qu’ils disposent désormais d'un soutien social qui leur permet en cas d’affrontement de couper ou de mettre à distance les liens familiaux sans trop de dommage pour eux.

[18] Le caractère normatif de la tolérance de la population générale à l'égard de l'homosexualité apparaît également dans le travail qualitatif mené par G. Paicheler (1994a et 1994b).

[19] Il nous faut rappeler, ici, que dans l’enquête ACSF presque la moitié des homo/bisexuels sur la vie ont abandonné, pour l’instant tout au moins, leurs pratiques homosexuelles et que ce groupe échappe à notre investigation. Dans cette enquête, A. Messiah et E. Mouret-Fourme (1993) constatent également une plus forte proportion d’hommes qui ont une activité bisexuelle parmi les moins de 25 ans qui pour certains pourrait n’être que passagère. Il est fort probable qu’à cette époque de la vie, l’enquête Presse gaie saisisse quelques unes de ces trajectoires.

[20]La génération la plus âgée se caractérise, une fois de plus, par une surreprésentation des hommes qui s’auto-désignent comme“ bisexuels ” (20%).

[21] Dans cette enquête, comme dans l’enquête Presse gaie 1995 respectivement 35% et 33% des homosexuels exclusifs occupent des positions professionnelles élevées (chefs d’entreprise, profession libérales, cadres ou intellectuels) contre 17% pour les hétérosexuels masculins.

[22] Selon Laumann et al. (1994) le passage à l'acte homosexuel est d'autant plus fréquent que les individus vivent dans des milieux sociaux tolérants : les conduites sexuelles non traditionnelles sont mieux acceptées dans les grandes cités et parmi les gens les plus éduqués. Par ailleurs, cet environnement, en augmentant les possibilités de rencontres, peut aussi favoriser le passage à l'acte homosexuel.

[23] M. Dannecker et R. Reiche (1974) et M. Pollak (1982) ont expliqué la surreprésentation des classes moyennes supérieures et la sous-représentation des ouvriers et des agriculteurs constatées dans toutes les études sur cette population par un investissement éducatif des homosexuels masculins supérieur à la moyenne en vue de s’orienter vers des métiers réputés plus tolérants à l'égard de l'homosexualité et avec pour conséquence une mobilité sociale ascendante spécifique.

[24] Lecteurs de toutes les revues à l’exception des lecteurs d’Illico, revue distribuée gratuitement dans les lieux gais parisiens,: enquête Presse gaie, 1995. 

[25] Dans l’enquête ACSJ qui s’intéresse à l’entrée dans la sexualité des jeunes entre 15 et 18 ans B. Lhomond (Lagrange, Lhomond, 1997) constate qu’avec l’âge mais surtout au moment de l’expérience de la sexualité génitale, la proportion de jeunes attirés par des personnes de même sexe connaissant des amis eux-mêmes homosexuels augmente fortement.

[26] La chute est brutale : ainsi en 1985, 27% des répondants déclarait plus de 10 partenaires dans les six mois, ce taux chute à 18% en 1986 et 16% en 1987 soit moins 11 points en deux ans.

[27]Ainsi, en 1995, 34% des répondants déclarent plus de dix partenaires dans l’année, contre 31% en 1993 et 27% en 1991.

[28] Comme dans l’enquête ACSF (Bozon, 1993), nous constatons que l’entrée dans la vie sexuelle est plus précoce dans les classes populaires : dans les deux enquêtes, les ouvriers ont eu en moyenne leur premier rapport sexuel plus tôt que les cadres.

[29] Dans l'enquête ACSF, 28% des répondants entre 18 et 19 ans n’avaient pas eu de rapports sexuels au moment de l’enquête alors qu’au même âge, les jeunes de l’échantillon Presse gaie sont tous sexuellement actifs à une exception près.

[30] Le terme“benjamins” désigne les plus jeunes de nos échantillons.

[31] Si avec l'âge la sexualité devient plus régulière, en revanche le répertoire des pratiques sexuelles (masturbation, fellation et pénétration actives ou passives, pratiques sado-masochistes) des jeunes homosexuels ne diffère pas de celui de leurs aînés à l'exception des pratiques sado-masochistes, beaucoup plus rares.

[32] Dans l’enquête ACSF, le nombre de partenaire de même sexe est maximal entre 35 et 44 ans (en moyenne 4,8 dans l’année). Dans l’enquête Presse gaie, ce maximum est très vite atteint : dès l’âge de 25 ans, le nombre moyen de partenaires dans l’année est supérieur à 15. Dans les deux enquêtes, au-delà de 45 ans, la drague devient une activité moins fréquente qui, cependant, continue à caractériser les volontaires (12.8 partenaires de même sexe dans l’année contre 2,8 pour les bi/homosexuels de l’enquête ACSF).

[33] Nom d’une salle spéciale qui, dans certains bars homosexuels, est la disposition des clients qui souhaitent avoir une activité sexuelle sur place.

[34] Pour une analyse des liens entre sociabilité et activité sexuelle, le lecteur pourra se reporter à l'article de M. Leznoff et W. A. Westley (1956).

[35] A titre de comparaison, pour la tranche d’âge 18-69 ans, 32% des bissexuels et 71% des homosexuels de l’enquête ACSF vivent seuls au moment de l’enquête contre respectivement 37% et 37% des bisexuels et homosexuels de l’enquête Presse gaie dans la même tranche d’âge.

[36] Si l’on considère séparément le sexe des partenaires, le nombre moyen d’unions des répondants à l’enquête Presse gaie âgés entre 21 et 44 ans est de 1.89 avec des hommes et de 0.33 avec des femmes.

[37]Dans l’enquête ACSF, respectivement 68% des bisexuels et 29% des homosexuels vivent en couple contre 67% des bi/homosexuels de l’enquête Presse gaie dans la même tranche d’âge.

[38] H. Léridon et C. Villeneuve-Gokalp (1994) observent au cours des années soixante-dix une forte diminution de l’attrait de l’institution matrimoniale ; mais ce déclin du mariage cache une diversité des modes de cohabitations dont certaines se concluent rapidement par un mariage tandis que d’autres l’excluent de façon durable.

[39] Parmi les jeunes (20-24 ans) déclarant une relation stable, dans 60% des cas cette relation est exclusive alors dans la tranche d’âge 45-49 ans ce taux chute à 29%.

[40] Cette importance des ruptures des débuts de carrière sexuelle des jeunes homosexuels tient probablement à la forme moins instituée du couple et aux modes de vie très centrés sur la drague de ce groupe mais également à une certaine inexpérience de ces jeunes en matière amoureuse qui, comme l’on montré H. Lagrange et B. Lhomond (1997), se distinguent des adolescents hétérosexuels par l’absence de période d’initiation aux jeux amoureux (flirt, caresses). Ce début de vie amoureuse sans modèle et sans expérience pourrait conduire les jeunes homosexuels a comptabiliser des amours que les jeunes hétérosexuels ne décompteraient pas comme“ relation stable”. Dans le contexte de l’hétérosexualité ce mot s’entend probablement dans une acception plus stricte.

[41] Ainsi, en 1995, 34% des répondants déclarent plus de dix partenaires dans l’année contre 31% en 1993 et 27% en 1991 ; 83% pratiquent la pénétration avec leurs partenaires de rencontre contre 81% en 1993 et 71% en 1991, et enfin 73% se protègent systématiquement lors de pénétrations anales avec des partenaires de rencontre contre 64% en 1993 et 53% en 1991, soit 20 points de plus en quatre ans.

[42] Le safer sex ou“ sexualité à moindre risque ” préconise l’usage systématique du préservatif ou l’abandon des pratiques sexuelles à risque ; en l’occurrence, selon la hiérarchie des risques, la protection impérative de la pénétration anale ainsi que celle de la fellation ou, tout au moins dans ce cas, l’évitement du sperme dans la bouche.

[43] Par exemple, ces hommes sélectionnent leur partenaire sur leur seule apparence, ou essaient de connaître l’histoire de leur partenaire avant d’avoir un rapport sexuel, certains évitent des lieux de drague mais cette prudence n’est assortie d’aucune autre forme de précaution au moment du rapport sexuel (protection ou abandon des pratiques les plus à risque).

[44]Ainsi, 31% des hommes séronégatifs ont utilisé le préservatif lors de la dernière pénétration anale lorsque leur partenaire stable était également séronégatif ; ce taux est de 92% lorsque les statuts sérologiques entre partenaires stables sont discordants. Avec des partenaires de rencontre, le taux de protection est de 91% parmi les individus qui se déclarent concernés par la question.

[45] Au cours des douze derniers mois, le répondant a coché au moins une fois qu’il utilise“parfois” ou“toujours” le préservatif au cours des huit questions qui lui sont posées sur la protection de la pénétration et de la fellation avec son partenaire stable et avec ses partenaires de rencontre.

[46] Les taux d’incidents sont calculés sur la base des utilisateurs de préservatifs.

[47] A nombre de partenaires constant ces déclarations de risque ne varient pas selon l’âge.

[48] Ainsi 12% des moins de 25 ans déclarent plus de 20 partenaires dans l’année, ce taux étant de 20% pour la tranche d’âge 26-35 ans.

[49] Dès l’âge de 23-24 ans, plus les deux tiers des répondants testés ont voulu à nouveau faire le point sur leur statut sérologique.

[50] Depuis, 1987, la prévalence du VIH dans cette classe d’âge a toujours été plus faible.

[51]En 1995, 60% des séropositifs âgés de plus de 45 ans ont pris connaissance de leur séropositivité avant 1987.

[52] Dans le même temps, la proportion de répondants qui déclarent avoir eu des rapports avec un partenaire séropositif chute de moitié : 30% parmi ceux qui ont commencé leur vie sexuelle avant 1984 connaissent un partenaire sexuel séropositif, ce taux chute à 15% pour ceux qui ont commencé leur vie sexuelle après cette date.

[53] La prévalence est maximale parmi les hommes âgés de 31-45 avec 23% de personnes atteintes. Si, pour la plus part de ces hommes, la date de contamination probable est ancienne, il faut noter que les contamination dans ce groupe ne sont pas enrayées puisqu’un homme sur cinq séropositif âgé de plus de 35 ans et un sur quatre entre 31 et 35 ans pense s’être contaminé au cours des années 90.

 


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