Suicide et homosexualité en Afrique : le cas du Cameroun
Les recherches en Sciences Sociales sur le taux de suicide des homosexuels sont encore à leur stade embryonnaires, notamment en France. Aux USA, il a déjà été établi que le suicide est plus élevé chez les homosexuels que chez les hétérosexuels. En Afrique, le thème du suicide lié à lhomosexualité, ne fait tout simplement pas partie des centres dintérêts actuels des chercheurs. En outre le phénomène de lhomosexualité en Afrique, reste encore mal connu et largement marginalisé. Dans ces sociétés dans une large mesure, lhomosexualité est déniée. Comme argument, on fait appel au « Vide conceptuel » (JEAY :1991,68) et linguistique quon peut constater au niveau des langues locales, pour ce qui est de la qualification même de lhomosexualité, puisquon ne peut « se sentir quelque chose dont on à pas le mot » (JEAY,Idem,64).
Si daprès cette thèse lhomosexualité nexiste pas en Afrique, comment peut-on en plus parler de suicide chez une catégorie de la population, qui est déniée ? Cependant létude récente que nous avons menée au Cameroun, a mis en exergue lexistence de lhomosexualité en Afrique en général, et au Cameroun en particulier. Lhomosexualité au Cameroun ne relève pas du mythe, cest une réalité observable. Les homosexuels forment aujourdhui au Cameroun, une sorte de communauté plus ou moins cohérente, ils ont leur propre marché sexuel
(GUEBOGUO :2002). De ce fait, la problématique du suicide liée à lhomosexualité, peut bien se poser dans cet environnement social, et cest ce à quoi nous allons nous essayer, sans prétendre aucunement épuiser le sujet de long en large. Cet essai sera juste une modeste contribution, car lhomosexualité au Cameroun est un champ intéressant, un trésor encore plein pour le chercheur en Sciences Sociales. Dans cette contribution, nous allons nous limiter à un seul facteur, susceptible dexpliquer le taux élevé de suicide chez les homosexuels. Il sagira de la société, qui à travers son attitude, pousserait certains homosexuels au suicide. Cest loin dêtre le seul facteur, mais nous allons essayer détablir notre propos autour de ce dernier, pour limiter notre champ dinvestigation. Il sagira alors pour nous dessayer de voir si au Cameroun, le regard hostile de la société, face à lhomosexualité, amène les homosexuels à se suicider. Bien avant, essayons de donner un petit aperçu sur ladite situation sociale.
Ce nest un secret pour personne, les homosexuels sont plus sensibles au regard que leur porte leur société, leur environnement proche. La plupart du temps, leur désir est dêtre accepté dans leur différence et si possible avec indifférence. Cependant, en raison du fait que cette pratique sexuelle nest pas toujours en accord avec « limaginaire social et ses murs, ses règles et ses lois » (MENDES-LEITE :1991,152), la société nouvre pas spontanément ses bras aux individus ayant une telle orientation sexuelle. A ce niveau, la société est très souvent inquiète, et ce qui linquiète, cest la transgression de la loi, la multiplication des partenaires, mais aussi la sodomie (paedicatio) selon AGACINSKI (1998 :120-121) Bien avant elle, HENDIN résumait cette situation sociale des plus sévères par ces propos :
Par extension, on peut dire que cette souffrance, ces regards hostiles et critiques en la personne des homosexuels, est en grande partie responsable du suicide chez les homosexuels, puisquils se sentent rejetés. Ce taux de suicide serait alors étroitement lié à la perception que la société aurait de ces acteurs sociaux. Et, cette situation peut se vérifier dans les sociétés, où lhomosexualité, à travers les lois, est officialisée au même titre que lhétérosexualité.
Lhomosexuel qui sensible à ce regard désapprobateur disions nous, finit par développer la « culpabilité sociale », pour reprendre les termes dANATRELLA (1993 :211). Cette culpabilité sociale naît du reproche que certains homosexuels font à leur société de ne pas les accepter tels quils sont, tout simplement parce quils ne parviennent pas à désirer un partenaire différent. De cette culpabilité sociale, il nous semble quil ne suffit que dun pas pour arriver au suicide ? Quen est-il du cas précis du Cameroun ?
Si de manière générale il est établi que les homosexuels à travers le monde connaissent une certaine marginalisation, au Cameroun, ils le sont plus encore. Dune part parce que leur existence est dénié par le politique, dautre part lactivité homosexuelle est condamnée par le code pénal camerounais, dans larticle 347 bis. Il y est clairement stipulé quest puni dun emprisonnement de 6 mois à 5 ans et dune amende de 20000 à 200000 FCFA, toute personne qui a des rapports sexuels avec une personne de son sexe.
Les homosexuels au Cameroun sont donc minorés et face à la rigidité sociale, nous avons constaté quils ne se suicident pas. Ou faudrait-il plutôt dire que ce nest pas un facteur de suicide chez les homosexuels camerounais. Si suicide il y a, ce qui est quasiment nul, cela nest en rien lié avec cette hostilité que lon peut constater vis-à-vis des homosexuels au Cameroun. Comment cela peut-il sexpliquer ?
Face à lobstacle social qui empêche tout épanouissement des homosexuels au Cameroun, ceux-ci ont développé une stratégie de camouflage de leurs activités sexuelles réelles. Cest ainsi que, bien que sidentifiant et sacceptant comme homosexuels, certains dentre eux, pour faire bonne figure sociale, ont également choisi dentretenir des rapports factices avec des partenaires de lautre sexe. Dautres sont même allé jusquà établir des unions officielles avec ces partenaires de circonstance, tout en ayant une activité sexuelle intense avec leur partenaire habituel ou autres. Cest ainsi quau cours de notre première recherche dans les villes de Yaoundé et de Douala, notre échantillon était de 81 enquêtés, et parmi eux, 47 soit 58 % se sont reconnus comme homosexuels exclusifs. Mais, fait remarquant, parmi ces 47 homosexuels exclusifs, 20 ont en même temps affirmé avoir des partenaires de lautre sexe, soit 42,6 % de leffectif des 47 homosexuels exclusifs. 34 des 81 enquêtés ont dit être bisexuels, soit 43,2 %. Nous avons alors pu constater que ce qui semble être un paradoxe, nest en réalité quun moyen, une astuce pour tromper la vigilance de lentourage proche, et ça marche toujours. A Yaoundé, les homosexuels désignent ce type de partenaire de façade sous le terme de « nfinga ». Cest la désignation dans lune des langues locales, de la couverture, et cette expression révèle bien quil sagit dune mascarade pour se couvrir et assurer ses arrières, pour ne pas sortir du « nkuta » comme ils disent. En France on parlerait de sortir du placard. Ce camouflage sert à palier à toute idée de suicide, puisquà travers le « nfinga » lindividu est accepté et réintégré dans son milieu dappartenance. Il va sans dire que le « nfinga » nest pas supposé être au courant de tout ce qui se trame.
Il existe aussi un autre fait, cest que le suicide dans la société camerounaise est mal perçu. Les individus qui se suicident jettent lopprobre sur eux et sur leur famille, car le suicide est synonyme dans limaginaire social, à la malédiction. Les homosexuels camerounais pour la plupart sont ancrés dans ces croyances, étant donné quils ont été socialisés dans cet univers social. Cest pourquoi si les homosexuels au Cameroun ont choisi de dévier, lhomosexualité au Cameroun est aussi étroitement lié à la sorcellerie, sils parviennent à refuser cet état de chose, ils ne leur est pas souvent tout aussi facile de franchir le rubicond, pour ce qui est du suicide. Ils préfèrent soit souffrir leur rejet dans les coulisses, soit alors adopter cette stratégie de camouflage ou du « nfinga », soit enfin se confier tout de go à un proche. Cest certes rare, mais nous avons eu à rencontrer quelque rare cas.
De tout ce qui précède, il ressort que lattitude sociale réprobatrice vis-à-vis de lhomosexualité, peut être un facteur majeur, mais pas principal, de suicide chez les homosexuels. Cependant, le Cameroun a ceci de particulier que face à cette hostilité, les homosexuels ne pensent pas au suicide. A la place ils préfèrent jouer au jeu que la société aime observer, en se dotant dun partenaire de lautre sexe pour se faire accepter, tout en maintenant leur activité homosexuelle de manière cachée. Cest que nous avons désigné comme une stratégie de camouflage et le partenaire de lautre sexe dont se sert est désigné par les gais au Cameroun sous le terme de « nfinga ».
AGACINSKI, S. 1998 : Politique des sexes, Paris, Seuil, 205p
ANATRELLA, T. 1993 : Non à la société dépressive, Paris, Flammarion, 313p
GUEBOGUO, C. 2002 : « Manifestations et facteurs explicatifs de lhomosexualité à Yaoundé et à Douala », Mémoire de maîtrise, Université de Yaoundé, 149p
HENDIN, H. 1975 : The age of sensation, a psychoanalytic exploration, New-york, 354p
JEAY, A.M. 1991: « Homosexualité et SIDA au MALI
» in Homosexualités et SIDA, Cahiers Gai-KITSCH- Camp
MENDES-LEITE, R. 1991: « La culture des sexualités à lépoque du SIDA
» in Homosexualités et SIDA
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