LE QUOTIDIEN

Homosexualité et adoption: un pas en avant

ParBLANDINE GROSJEAN

Lesamedi 26 et dimanche 27 février 2000






Qui peut adopter?

L'article 343-1 du code civil donne la possibilité à une personne seule, âgée d'au moins 28 ans, d'adopter un enfant. Mais l'article 346-1 interdit l'adoption plénière d'un enfant par plusieurs personnes, si ce n'est deux époux. En théorie, un seul partenaire du couple homosexuel (idem pour les concubins hétérosexuels) peut adopter l'enfant. L'adoption plénière, prononcée par le tribunal de grande instance, est une procédure judiciaire. Pour les pupilles de l'Etat et les enfants étrangers, les adoptants doivent recevoir l'agrément du président du conseil général. Le tribunal n'est pas obligé de suivre cet avis, mais en pratique il s'appuie sur l'enquête et les conclusions des services de l'aide sociale à l'enfance (sous l'autorité du président du conseil général). Ce pouvoir de l'administration est souvent critiqué: «La bureaucratie, la multiplication des enquêtes, du contentieux [...] conduisent à une déshumanisation du droit familial. D'autant plus si le président du conseil général est "une personne politiquement colorée"», estime ainsi le professeur Philippe Mallaurie, cité par Grégory Betta dans une étude sur les aspects juridiques personnels du couple.

B.G.

  Jeudi, le tribunal administratif de Besançon a estimé qu'une célibataire présentait toutes les garanties pour adopter un enfant, bien qu'elle vive une relation homosexuelle stable. Les juges bisontins ont annulé le refus d'agrément du président du conseil général du Jura, qui justifiait son opposition par «l'absence d'image ou de référent paternel susceptible de favoriser le développement harmonieux d'un enfant adopté» et, d'autre part, par «la place qu'occuperait son amie dans la vie de l'enfant». Le tribunal estime au contraire que cette institutrice de 39 ans présente «d'incontestables qualités humaines et éducatives» et donc «des garanties suffisantes sur le plan familial, éducatif et psychologique pour accueillir un enfant adopté».

Cette décision n'ouvre pas la voie à l'adoption pour les couples homosexuels, puisque l'adoption en couple n'est permise qu'aux personnes mariées, et, lors du débat sur le Pacs, Elisabeth Guigou s'est assez tuée à répéter: «Le gouvernement dont je fais partie ne proposera jamais l'adoption pour les concubins homosexuels.» Mais, pour la seconde fois (lire ci-contre), une juridiction désapprouve un refus d'agrément fondé sur l'homosexualité et s'inscrit contre la jurisprudence constante du Conseil d'Etat. «Nous avons gagné parce que notre dossier était bon. Ma cliente n'a jamais caché qu'elle vivait une relation homosexuelle stable. Mais nous n'avons surtout pas voulu en faire un combat militant», affirme Me Jean-Bernard Prouvez, du cabinet lyonnais Deygas.

Lors de l'audience - non publique -, le commissaire du gouvernement a réfuté les accusations de discrimination à l'égard des homosexuels. La différence, selon lui, entre une célibataire hétérosexuelle et une célibataire homosexuelle, c'est que dans le premier cas «il y a image du père absent» et, dans le second, «image du père nié». En s'appuyant tranquillement sur la jurisprudence, il a expliqué que «le modèle de l'altérité sexuelle et la référence à un couple différencié sont utiles au développement d'un enfant». Si le Conseil d'Etat a toujours débouté les candidats homosexuels, «c'est en quelque sorte une application de précaution», s'est laissé aller le commissaire. Sans s'attarder sur ce «freudisme administratif pratiqué de façon sauvage» - selon l'expression de Me Prouvez -, le tribunal a estimé que le président du conseil général avait fait une «inexacte appréciation» de plusieurs dispositions, notamment de l'article 9 du décret du 23 août 1985, relatif à l'agrément des personnes souhaitant adopter un pupille de l'Etat. Ce dernier stipule de ne prendre en compte que «les conditions d'accueil que le demandeur est susceptible d'offrir à des enfants sur les plans familial, éducatif et psychologique». Le conseil général dispose de quinze jours pour délivrer l'agrément à l'institutrice et il devra lui rembourser 4 000 F de frais et les dépens de justice. Il peut aussi faire appel.


Voir aussi La lente évolution de la jurisprudence

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