Actuel, n°25, nov.1972

(France)


Page 8 et 9



La parole au fléau social groupe n°5 du FHAR



« Un pédé, ça se soigne », glisse ma concierge dans l'oreille distraite du médecin de l'immeuble. Ça se soigne. Ça n'est pas conforme. Qu'en faire ? On peut mettre à l'ombre ce citoyen bancal, ou bien lui injecter quelques hormones fallacieuses. On peut encore le castrer, comme cela se pratique aux U.S.A. sur des volontaires (!): « résultat satisfaisant », affirme doctement un psychiatre de San Quentin qui vous tranche la quéquette comme on arrache une molaire récalcitrante. L'hypnose n'offre pas de résultats spectaculaires, la lobotomie préfontale exige une main experte (le patient s'en tire rarement intact) et l'électrochoc ne sert à rien. Quant à la sacro-sainte psychanalyse, elle ne profite guère qu'au consultant qui monnaye le fantasme avec délice, et pour des prunes..
De criminels les voilà devenus malades mentaux, les hermaphrodites honteux se retrouvent opprimés. Quand le pédé se contentait d'être faible et malheureux, tristounet sous le maquillage, folingue et primesautier, ah le cachait en souriant à la vue des enfants, mais le voilà qui gueule, qui s'explique, qui exige et revendique le droit de disposer de lui-même. Nous avons rencontré le Groupe 5 du Fhar, des types pas sectaires du tout qui ont les idées nettes.


Actuel: En 1971, après la manifestation du 1er mai et le n.' 12 de Tout consacré aux pédés, le Fhar a vu ses effectifs multipliés par dix. D'une trentaine de membres, au début, vous vous êtes retrouvés trois cents

Groupe 5: Nous étions en train de découvrir quelque chose de fantastique: la sortie de la clandestinité. Il y avait des tas de mecs honteux qui osaient tout d'un coup s'avouer homosexuels. Déjà, on s'engueulait un peu, mais sans y attacher d'importance; cinq minutes après on se sautait au cou. Puis les vacances nous ont séparés, et l'euphorie était complètement retombée à la rentrée... Nous avions éclaté, mais pas nos problèmes. On a mis trois ou quatre mois avant de relancer une action, des comités, etc. Et puis, avec le printemps, c'est devenu complètement bordélique. Les attaques personnelles ont commencé contre le petit groupe qui prenait les décisions, les tendances se sont dessinées plus fortement et les folles sont devenues complètement délirantes. Travesties, provocatrices, révolutionnaires et irrécupérables, elles parodiaient agressivement le pédé de vaudeville...

Actuel: Les gens qui viennent au Fhar avaient-ils, avant, des tas de problèmes, familiaux, sociaux...

Groupe 5: Au début, oui. Et ils sont partis quand ils se sont aperçus que, ces problèmes là on doit trouver la force de s'en débarrasser soi-même. Ce n'est pas un mouvement extérieur qui peut t'aider: il ne peut guère que te fournir une plate-forme sur laquelle te reposer. Et personne n'a les mêmes problèmes... On a commencé avec des copains une sorte de SOS-Amitié destiné aux « sympathisants du Fhar „. ceux qui n'ont pas trouvé ce qu'ils cherchaient dans les assemblées générales de notre mouvement. D'accord, ça fait un peu courrier du cœur, mais ça empêche parfois les mecs de se flinguer. Souvent ils attendent un contact personnel, pour pouvoir parler, se Iibérer...

Actuel: Et les assemblées générales les effraient ?

Groupe 5: Ils ont peur de se faire voir, et n'osent pas venir. On est tombé, par exemple, sur l'annonce d'un type qui voulait fonder une communauté. Il avait seize ans et s'était fait la malle de chez lui. Son père a trouvé dans ses papiers une lettre de moi et m'a écrit pour me demander si je l'avais vu. Je lui ai téléphoné et il m'a dit: « Je suis allé chez les flics, je leur ai donné le bulletin». Les flics ont insisté: « Voulez-vous porter plainte contre le journal qui a passé l'annonce ? „ Le type m'a dit: « Quand j'ai senti qu'ils attendaient ça et que Ça allait leur faire plaisir, j'ai dit non, je ne porte pas plainte, je vais essayer de retrouver mon fils par mes propres moyens ». Ce qui a d'ailleurs été fait. Mais les flics étaient ravis, ils attendaient la plainte qui leur permettrait de couler le journal...
Actuel: Penses-tu que le Fhar puisse parvenir à une modification des lois régissant l'homosexualité, abaissement de l'âge légal, par exemple? Groupe 5: Le jour où on aura réussi à faire abolir les lois concernant l'homosexualité, il n'y aura plus personne au Fhar, parce que les trois quarts des mecs ne sont pas du tout révolutionnaires. Dans son propre intérêt le capitalisme a besoin de se libéraliser. Regarde la Norvège, où on vient de faire passer la limite d'âge à seize ans, les gens ne bougent plus... C'est la récupération totale et ça ne vaut pas la peine de se battre là-dessus. Notre analyse, les gauchistes, pour la plupart, refusent encore de la faire. Ils n'ont pas compris qu'il fallait se battre, déjà, sur le terrain qui sera celui de l'adversaire demain, et non pas se référer sans cesse au passé.

Actuel: Tous ne vous rejettent pas...

Groupe 5: Unanimement, on ne nous aime pas. On nous tolère dans l'espoir que nous ferons un jour notre « Ave Marx, Ave Trotsky, Ave Mao ». Mais dans l'ensemble on les fait chier. Prends la lettre publiée dans Rouge: ils ont conservé tout ce qui les arrangeait, et l'ont publié. Tout ce qui les gênait, les comparaisons entre la Ligue et le P.C., ils l'ont sucré. Occuper la place vacante du P.C.F., on s'en fout. Ils se sont tout de même rendu compte qu'un homosexuel pouvait faire un militant, nous les intéressons donc. La Ligue a tenté de nous rattraper. On pourrait presque songer à une section « homosexuelle „ de la Ligue... A priori, rien n'empêche un mec du Fhar de rentrer au P.S.U. ? En réalité à partir du moment où on essaye de développer une « idéologie „ qui dépasse largement le gauchisme, je crois que la double appartenance à un mouvement gauchiste et au Fhar devient impossible. Tu comprends, les folles, les Gasolines, sont totalement irrécupérables... »

Actuel: ? ? ?

Groupe 5: ils dansent, ils chantent dans la rue, ils se maquillent. C'est le délire pour le délire, la rupture totale, ce qui n'est pas rien. Une étape, peut-être... Au meeting de Duclos c'est une folle qui a réussi alors qu'on s'était fait jeter dehors par les gros bras du P.C., à demander à Duclos ce qu'il pensait de l'homosexualité. Une folle encore qui a pris le drapeau du P.S.U., le 1er mai, un drapeau de deux ou trois mètres de haut, pour se torcher le cul avec devant les militants du P.S.U... Il faut bien voir qu'il y a une grande différence entre les folles qu'on voit au Fhar et celles des boites. Au Fhar, quand ils se maquillent, ce n'est pas pour ressembler à une femme, c'est pour provoquer, agresser...
Mais c'est s'attaquer à des gens puissants. Il existe une organisation, World Organisation for Mental Health, composée de psychiatres extrémistes qui pratiquent le lavage de cerveau à grande échelle. Ils ont l'intention de prendre en main le sort de la psychiatrie, et de la politiser, essaient de faire passer des lois autorisant le psychiatre à faire interner qui lui chante sur un simple avis. En Union Soviétique, le système fonctionne déjà, et ils tentent de le faire passer aux U.S.A. et en France, se camouflant derrière le jargon de la psychanalyse.

Actuel: Et le groupe 11, qu'est-ce que c'est ?

Groupe 5: Ils agissent dans le même sens que nous. Ils ont les mêmes problèmes que chez nous, les « sérieux » ont été rejoints par des gens qui sont pour laisser aller le délire. Seule différence tous les . sérieux » de chez nous sont en train de rejoindre le groupé Il, et je m'attends à ce que les plus délirants de chez eux débarquent chez nous... C'est aussi la grande dérision. Il existe des gasolines staliniennes, et des gasolines gauchisantes, les Camping Gaz...

Actuel: Et les femmes ? Comment se situent-elles par rapport au Fhar ?

Groupe 5: Elles ne se situent pas. Elles prétendent avoir des problèmes différents et personnels ! Chez beaucoup la haine du mâle persiste, et le débat n'en est pas facilité. Nous aimerions bien, au Groupe 5, qu'il y ait autant de filles que de mecs mais elles vont plutôt chez les gouines rouges... Maintenant, le MLF se limite un peu à la pilule et à I avortement libre et gratuit. Et ça, c'est totalement récupéré parce que le gouvernement, s'il n'est pas trop con, va bien finir par l'accorder. Les lesbiennes sont les plus radicales mais pour la plupart des braves mères de famille du MLF, les lesbiennes, c'est le diable.

Actuel: Et quels sont les rapports entre le Fhar et les mouvements étrangers, FUORI, MHAR, IHWO, IHR... ?

Groupe 5: Le MHAR en Belgique et le FUORI en Italie se sont constitués à partir des trucs du Fhar. Nous gardons avec eux des relations constantes, et sommes politiquement du même avis. En foutant la merde au congrès sur les répressions des déviations sexuelles, à San Rémo, les mecs du FUORI ont fait parler d'eux, mais nous les connaissions avant: ils avaient déjà sorti un journal. De là est née l'lnternationale Homosexuelle Révolutionnaire à Bruxelles, plus ou moins clandestine. Et l'ensemble des mouvements révolutionnaires homosexuels européens a organisé une rencontre avec les mouvements de libération de la femme le 15 octobre à Milan.

Actuel: Quelle direction va maintenant prendre le groupe 5 ?

Groupe 5: Ce que nous voudrions, c'est que les prétendus hétérosexuels viennent travailler avec nous, dans le même sens, qu'on ne reste pas confinés dans un ghetto. On voudrait essayer de développer une « idéologie » qui sorte du problème purement homosexuel, dont on n'a rien à foutre... L'homosexualité doit déboucher sur une prise de conscience politique beaucoup plus large. Ouand une idée est dans l'air, elle s'étale partout, même si rien ne se passe de précis. Il ne s'agit pas bien sûr d'une « idéologie » au sens traditionnel du mot. C'est plutôt un ensemble d'idées et d'actions. Il n'est pas question d'amener une théorie aux mecs... On avait l'intention, avant, de faire passer l'idée de la libération sexuelle dans les groupes gauchistes. Nous avons dû y renoncer.

Actuel: Dans l'éditorial du Fléau social, votre journal, vous vous proposez de redéfinir entièrement le concept de lutte des classes...

Groupe 5: 11 est évident que la lutte telle qu'elle est actuellement menée dans les usines, revendications salariales et autres, arrange considérablement le pouvoir. Tout est programmé d'avance. Et quand tu dis ça à un gauchiste, tu te fais tuer ! On a entendu: « c'est la négation de deux siècles de lutte de classes ! » Et c'est vrai ! 11 ne s'agit plus de cavaler sans arrêt derrière les luttes. Les filles de Thionville, elles ont arrêté le boulot parce qu'elles en avaient marre. Et les mecs sont arrivés en leur disant: « vous pourriez demander ça et ça. » Elles n'y avaient même pas pensé ! La lutte des homos c'est la lutte des filles de Thionville comme celle des poinçonneurs de métro. Le problème est de rendre ce lien évident. La misère sexuelle est la même partout, et pour tous, homos, femmes, noirs, indiens, immigrés, prolos, Iycéens, jeunes, fous...

(Propos recueillis par Yves Frémion et Daniel Riche)



 

L'horrible engeance. Couple banal. Mal mariés: qu'est-ce qu'ils ont à faire ensemble, pédés et gouines, puisqu'ils ne veulent pas se faire l'amour ?

Ca n'avait donc rien d'évident, cette association. Les pédés passent pour misogynes, c'est connu. Ils ont le culte de la bite et de la virilité. Ah, les femmes, les affreuses, les rancunières, celles qui nous volent nos hommes...

Est-ce que les pédés ne demandent pas à être traitées en femmes, alors que les femmes, justement, en ont marre ?

Et pourtant: aux U.S.A., dès le début du Gay Liberation Front (front de libération homosexuelle) en juin 69, après la mort d'un jeune pédé au cours d'une descente de flics dans une a boîte », le Women's Lib soutient. En France c'est encore plus net: l'initiative vient des femmes. Du M L.F. d'abord : dès son apparition il crée les conditions d'une nouvelle compréhension de ce qu'on appelle les luttes. Le champ politique se sexualise, ou, plutôt, l'union pour la lutte des gens concernés par la même situation « privée » devient possible. On est femme avant d'être Trotskyste ou maoïste, pourquoi pas pédé ? C'était la vie privée, donc privée de sens politique, ça devient un combat.. Les signes s'inversent: dans le privé les pédés haïssent les femmes. Dans la lutte, ils se retrouvent côte à ente. D'ailleurs les femmes prennent aussi l'initiative sur la question homosexuelle. Il existait un club homosexuel en France, feutré et discret : Arcadie. Les femmes qui y étaient se regroupent en liaison avec le M.L.F.: elles imitent les pédés, et en mars 71 1e groupe en question se manifeste successivement à la Mutualité, en attaquant un meeting contre l'avortement, en sabotant une émission de Ménie Grégoire sur l'homosexualité. Le mot « hétéroflic » apparaît. Puis c'est le numéro 12 de Tout qui paraît au moment du débat de l'Observateur sur l'avortement auquel pédés et femmes participent activement. Ce sont les gouines qui ont commencé la majorité du M.L.F. est d'ailleurs réticente, voire franchement critique à l'égard de cet avorton dernier venu, le Fhar, qui copie le fonctionnement du M.L.F. ( assemblée générale hebdomadaire aux Beaux-Arts), en mime le style (chansons, week-end ensemble, amour entre nous, guerre aux phallocrates). Même le numéro 12 de Tout contient un manifeste de 348 salopes qui se sont fait enculer par les Arabes...

Une nouvelle logique politique apparaît: des rapports entre pédés et femmes avaient été jusque-là marqués par les culpabilisations qu'entraîne une conception du désir fondée sur le manque et la castration. Les uns et les autres découvrent qu'au fond la castration on s'en fout, qu'on peut jouir sans obéir ni transgresser la loi du phallus. Et puis, qu'il y a des cibles communes: la famille hétérosexuelle reproductrice, etc.. On se retrouve pour dénoncer ce rôle. Côté M. L. F., on s'habitue à retrouver les pédés dans chaque manif. Ca paraît tout naturel. Au fond, on ne sait pas très bien pourquoi sinon qu'en principe « ce ne sont pas des hommes comme les autres » puisqu'on a le même ennemi: le phallocratisme, les rouleurs de mécanique qui cassent la gueule aux pédés et sifflent les nanas. En caricaturant, on peut dire que les femmes du M.L.F étaient les vrais Jules du Fhar, politiquement parlant. La plupart des initiatives venaient d'elles.

Face au petit monde gauchiste, les pédés continuaient à jouir de la position enviable - et enviée - d'être les seuls hommes à discuter avec les femmes du M.L.F Position qu'il importait de sauvegarder. A l'inverse, les femmes montraient avec des pédés leur capacité à parler à des hommes ou du moins à des gens déclarés physiologiquement tels. Cohabitant dans la préparation ration des actions, dans les discussions en petits groupes, certains pédés et certaines femmes finirent par se faire d'authentiques déclarations d'amour, toutes platoniques d'ailleurs. L'affreux rapport de pénétration étant exclu de part et d'autre, et comme on n'avait pas trouvé- on ne l'a toujours pas trouvé d'ailleurs - comment vivre nos relations, on en est venu à confondre la complicité à l'égard d'un même adversaire et un véritable rapport libidinal.

Le Fhar a toujours gardé un côté irresponsable; une incapacité à penser stratégie. Pas le M.L.F Les femmes, la moitié de l'humanité, une communauté réelle, ce n'est guère comparable au mouvement brownien de quelques centaines de pédés. Le M.L.F pèse lourd face au Fhar. Pour les femmes, les pédés parlent beaucoup de sexe et peu d'amour. Ce sont des obsédés sexuels, leurs fantasmes tournent autour du sordide ou de l'abject de la pissotière ou des bosquets des Tuileries.

Les femmes au contraire, tendaient haut la bannière du véritable amour, de la chaleur affective, des vastes et profonds sentiments dont elles constataient l'absence dans le monde des hommes. Les femmes se battaient au nom de l'amour, les pédés au nom du sexe. Mille fois le débat revint, et notamment lors du dernier week-end que quelques copains du Fhar et quelques copines du M.L.F. ont passé ensemble. a Vos histoires d'enculage, c'est du sado-masochisme, nous on veut l'amour. Remontez au-dessus de la braguette », disent-elles. A quoi les pédés répondent : a Mais c'est tout ce qu'on a voulu nous obliger à faire depuis toujours sublimer, réaliser l'assomption du sexe homosexuel pour le transformer en affectivité épurée : on n'en veut plus. » Problème: les filles ont expliqué qu'elles en avaient marre de se faire siffler par les mens dans la rue. A quoi les pédés ont répondu qu'ils ne demandaient pas ça, eux: qu'on les siffle, qu'on leur mette la main au cul. Que c'était pour ça qu'ils allaient au Maroc ou en Tunisie. Peut-être faudrait-il qu'on se promène deux à deux, un pédé + une femme, et qu'on détourne les hommages proposés à l'une vers l'autre... Mais surtout, nous est apparu de façon croissante le caractère bloquant de ces statuts, de ces rencontres institutionnelles de groupe à groupe, de ces rapports de puissance à puissance, les pédés, femmes, gouines: on n'est pas seulement ça.

Oui, les pédés et les nanas sont de plus ou moins bon gré collés ensemble: peut-être qu'il n'y a pas besoin de maintenir indéfiniment cette séparation des sexes, elle-même fille de la société hétérosexuelle familiale.

Pédés, gouines, femmes, femmes-pédés, pédés-gouines: moins on a de statuts et de rôles entre nous, mieux on se porte. A chacun ses sexes, et à tous tous les sexes. Et tous les branchements. Une fois éliminés les phallocrates , cela va de soi.

Guy Hocquenghem


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