Lutte contre certains fléaux sociaux" Assemblée Nationale
2e séance du 18 juillet 1960 Journal Officiel (Assemblée Nationale 1960 p.1981) Discussion du projet de loi n° 60-733 autorisant le Gouvernement à prendre par application de l'article 38 de la Constitution les mesures nécessaires pour lutter contre certains fléaux sociaux.
M. le président. M. Mirguet a déposé, à l'amendement n. 8 de la commission des affaires culturelles, un sous-amendement n° 9 ainsi conçu:
« Après le quatrième alinéa du texte proposé par cet amendement, insérer le nouvel alinéa suivant:
« 4° Toutes mesures propres à lutter contre l'homosexualité. »
La parole est à M. Mirguet.
M. Paul Mirguet. Je pense qu'il est inutile d'insister longuement, car vous êtes tous conscients de la gravité de ce fléau qu'est l'homosexualité, fléau contre lequel nous avons le devoir de protéger nos enfants.
Au moment où notre civilisation dangereusement minoritaire dans un monde en pleine évolution devient si vulnérable, nous devons lutter contre tout ce qui peut diminuer son prestige. Dans ce domaine, comme dans les autres, la France doit montrer l'exemple. C'est pourquoi je vous demande d'adopter mon sous-amendement. Le Parlement marquera ainsi une prise de conscience et sa volonté d'empêcher l'extension de cc fléau par des moyens plus efficaces, à mon sens, que la promulgation de textes répressifs.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ? (Rires.)
Mme Marcelle Devaud, rapporteur. Je ne trouve pas que cela soit particulièrement drôle! 11 y a là une situation que vous connaissez et que je connais aussi. (Nouveaux rires.) Oh ! messieurs, il est trop facile de rire d'un problème moral qui devrait vous préoccuper. Sachez que l'opinion a les yeux fixés sur le Parlement: il serait plus digne pour lui de ne point plaisanter trop facilement. Nous ne sommes pas ici chez les chansonniers. (Applaudissements. )
Soyez assurés que je ne suis nullement gênée de parler de ces choses puisqu'elles existent. Il est naturel qu'on en parle pour les combattre.
M. Pierre Comte-Offenbach. Bravo, madame !
Mme Marcelle Devaud, rapporteur. Je préciserai simplement à M. Mirguet que le troisième alinéa de mon amendement qui a trait aux dispositions prévues par la convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui ne vise pas seulement les femmes, mais les êtres humains en général.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le ministre de la santé publique le de la population. Le texte du Gouvernement vise la question posée par M. Mirguet. Le Gouvernement s'en remet à la sagesse de l'Assemblée.
M. le président. La parole est à M. Mirguet.
M. Paul Mirguet. Je maintiens mon sous-amendement car les textes visant la prostitution ne concernent pas exactement l'homosexualité et le Gouvernement doit prendre position afin d'alerter l'opinion.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n°9 de M. Mirguet.
(Le sous-amendement mis aux voix, est adopté.)
Paris-Presse, 20 juillet 1960.
Lettre qu'envoya Arcadie au député Mirguet le 20 juillet 1960. (document dactylographié envoyé par Arcadie à ses abonnés)
Monsieur le Député,
Notre surprise, comme celle sans doute de la plupart des Français, a été vive lorsque nous avons lu que, grâce à votre intervention à l'Assemblée Nationale, l'homosexualité allait être désormais combattue par le Gouvernement par voie d'ordonnance, à l'égal de l'alcoolisme et de la prostitution.
Nous ne pouvons croire qu'une disposition si contraire aux caractères fondamentaux du droit pénal Français (car vous n'ignorez pas que notre code pénal ignore le délit d'homosexualité) soit le fruit d'une réflexion approfondie et, moins encore, d'une connaissance réelle du problème.
Sans doute, en demandant au Parlement que la "Lutte contre l'homosexualité" soit incluse dans les pouvoirs délégués au Gouvernement avez-vous eu en vue essentiellement la prostitution masculine, qui atteint aujourd'hui, il est vrai, dans certains quartiers de PARIS et dans certaines zones touristiques de notre pays, une agressivité scandaleuse.
Sans doute, avez-vous aussi pensé aux honteux travestis qui déshonorent certains cabarets, et aux excès d'indécence qui s'étalent sur certains boulevards et dans certains parcs.
Et surtout, (la forme de votre intervention à l'Assemblée en fait foi, telle qu'elle est rapportée au compte rendu officiel du débat du 18 juillet), vous avez eu à coeur de protéger les enfants et les jeunes gens contre la corruption.
Sur tous ces points, la très grande majorité des homosexuels français, dont nous sommes les interprètes sans forfanterie mais sans honte, est d'accord avec nous. Notre Revue, consacrée depuis près de sept ans à l'étude des problèmes de l'homosexualité et à l'élaboration d'une morale homosexuelle, n'a cessé de lutter contre ces fléaux (le mot prends ici tout son sens) que sont la prostitution masculine, la débauche publique, la corruption des enfants, et qui choquent tout autant les homosexuels ordinaires, soyez-en sûr, que la prostitution féminine, le strip-tease et les "ballets roses" choquent la plupart des hétérosexuels.
Mais le mot homosexualité ne désigne pas, en soi, ces caricatures et ces vices. Il désigne une nature, une façon d'aimer une façon de vivre, une "vocation" au sens le plus impérieux du terme. Etre homosexuel, ce n'est pas se prostituer Place Pigalle, ni corrompre les lycéens. C'est porter dans sa chair et dans son âme l'amour de ses semblables; cela ne se choisit pas; Socrate, Platon, Michel-Ange, Shakespeare, Walt Whitman, Garcia Lorca, qui ont été homosexuels (j'en cite six pour ne pas en citer cent), n'avaient rien de corrupteurs de la jeunesse.
Or, le texte que vous avez fait approuver par l'Assemblée Nationale risque, si le Gouvernement prend là-dessus des ordonnances inconsidérées, de condamner à des tourments sans fin des centaines de milliers d'êtres qui mènent une vie digne, qui sont des citoyens respectueux des lois, et qui, déjà, souffrent de l'incompréhension à laquelle les condamne la confusion courante entre "l'homosexualité" et "vice".
En demandant au Gouvernement de "lutter" contre l'homosexualité" sans préciser autrement votre pensée, vous avez ouvert la voie à des répressions aveugles, avec tout le cortège de chantage, de névroses, de ruine de vies humaines. Nous sommes persuadés que vous n'avez pas voulu cela: Vous savez qu'en Angleterre, ou depuis 1886 l'homosexualité est un délit en soi, le fléau social est précisément devenu le chantage (sans , du reste, que le nombre d'homosexuels ait diminué, et pour cause, depuis puisqu'aucune loi ne peut réglementer les sécrétions hormonales des individus). Vous savez aussi qu'un John Wolfenden, a, après trois ans d'études, recommandé (à l'unanimité moins une voix de ses membres : médecins, juristes, psychologues, sociologues, ecclésiastiques ) l'abrogation de la loi existante et la reconnaissance que le fait d'être homosexuel n'est, en soi, ni un vice ni un délit. Une commission officielle allemande (Grosse Strafrechtskomission ) réunie à Ratisbonne l'an dernier à propos du même problème a abouti aux mêmes conclusions.
Nous nous permettons d'ailleurs de vous rappeler que le code pénal, tel qu'il existe, et sans qu'il soit besoin d'ordonnances gouvernementales nouvelles, suffit amplement à réprimer les "fléaux" auxquels vous vous attaquez.
1) En ce qui concerne la protection des mineurs : Art 331, modifié par l'ordonnance du 8 février 1945: emprisonnement de six mois à trois ans et amende de 1 000 à 250 000 francs pour "quiconque aura commis un acte impudique ou contre nature avec un individu de son sexe mineur de 21 ans" (et nous pouvons vous affirmer que cet article du code est très sévèrement appliqué par les tribunaux).
2) En ce qui concerne les outrages publics à la pudeur, Art 330 : emprisonnement de trois mois à deux ans, et amende de 1 000 à 12 000 francs. La jurisprudence a étendu la notion d'outrage public à la pudeur non seulement aux lieux proprement dits publics (rue, parcs, plages, etc...) mais au théâtres, cinémas, bains, bals, etc...
3) En ce qui concerne la prostitution masculine : La loi du 13 avril 1946 concerne " les personnes se livrant à la prostitution", sans préciser le sexe, et s'applique donc aux prostitués masculins tout comme aux prostituées féminines. Cette remarque vaut pour le proxénétisme. De même pour l'amendement de Mme Devaud, adopté par l'Assemblée Nationale le 18 juillet.
C'est donc aujourd'hui en France, beaucoup plus qu'une matière de législation, une matière de réglementation policière et d'application de la loi existante.
Malheureusement, votre sous-amendement à la future loi sur les fléaux sociaux, du fait qu'il vise, de façon globale et indiscriminée, l'"homosexualité", comporte le risque très grave d'atteindre, beaucoup plus que les prostitués, les proxénètes et les corrupteurs de jeunes garçons, des centaines de milliers d'homosexuels honnêtes et dignes qui, en aucune façon, ne peuvent être considérés comme un fléau social. Nous disons bien des centaines de milliers , car vous n'ignorez pas que toutes les autorités scientifiques sans exception (du rapport Kinsey en Amérique au rapport de la Commission Wolfenden en Angleterre) estiment au minimum à un adulte sur cinquante la proportion des homosexuels (avoués ou secrets) dans notre Occident. Ce qui, pour la France, représentent environ 700 000, chiffres certainement très au dessous de la réalité. Parmi eux, il y a vos collègues de l'Assemblée, des Sénateurs, des Médecins, des Ingénieurs, des Paysans, des Ouvriers, des Industriels, des Commerçants. Pour tous ceux-là, votre sous-amendement ouvre des perspectives d'angoisse, .., de terreur, de ruine. Vous n'avez certainement pas voulu cela, Monsieur le Député, nous en sommes d'autant plus persuadés, encore une fois, que nous éprouvons la même répulsion que vous contre le vice et contre son étalage.
Nous vous demandons donc , maintenant, avec confiance, non pas évidemment de retirer votre proposition, puisque l'acte de vote de l'Assemblée Nationale est acquis, mais d'agir auprès de vos collègues du Sénat pour que , dans le texte qui sera définitivement adopté, les mots "lutter contre l'homosexualité" ) ces mots dangereux et lourds de menaces imprécises - soient remplacés par les mots "lutter contre la prostitution masculine et la corruption des mineurs".
Nous espérons que ces explication ; pour brèves qu'elles soient, vous paraîtront de nature à éclairer un problème qui touche au plus vif tant de français, et nous vous prions d'agréer, Monsieur, le Député, l'assurance de notre haute considération.
Lettre de M. Paul Mirguet, en-tête Assemblée Nationale, du 30 juillet 1960 à Arcadie. (document dactylographié envoyé par Arcadie à ses abonnés)
Monsieur,
J'ai lu avec intérêt votre lettre ainsi que la documentation qui y était joint, mais je tiens à vous dire que vous vous méprenez totalement sur le sens de mon intervention.
En déposant un amendement concernant un problème que vous connaissez bien, j'ai demandé au Gouvernement d'agir avec des moyens humains et médicaux, et non par la promulgation de textes répressifs. Aussi, je veillerai à ce que l'esprit de mon amendement soit respecté.
Je vous suis reconnaissant d'avoir exposé votre point de vue sans arrière pensée et avec une totale franchise, et votre lettre prouve qu'il existe bien un problème de l'homosexualité, qui je le répète encore, ne peut être résolu par des textes . Je suis néanmoins d'accord avec vous pour demander qu'il soit engagé une action contre ceux qui exploitent un vice, et en font en quelque sorte l'apologie.
C'est parce que j'ai des enfants et que je devine quel peut être le désespoir d'un père apprenant que son fils a été amené à commettre des actes contre nature par suite de déplorables exemples d'adultes sans scrupules, que j'ai demandé au gouvernement de se pencher sur ce problème.
Si votre lettre m'a apporté d'intéressants éléments d'information, toutes celles que j'ai reçue à la suite de mon intervention ne sont pas rédigées dans le même style que la votre, et je crois intéressant de vous communiquer copie d'un "torchon" anonyme que, j'espère, vous apprécierez à sa juste valeur.
Veuillez agréer, Monsieur, mes salutations distinguées.
Paul Mirguet Député de la Moselle.
Paris-Presse, 27 juillet 1960
Si à l'Hôtel Matignon on a pu considérer comme quelque peu farfelu l'amendement sur l'homosexualité déposé lundi dernier par M. Mirguet devant l'Assemblée nationale, lors du grand débat sur le « vice », les spécialistes de la Santé publique, eux, se montrent satisfaits de voir que ce problème ne laisse pas totalement insensibles nos élus, à défaut d'une plus large fraction de l'opinion.
En même temps que l'on constate en France, selon le mot d'un grand professeur parisien, le professeur L.... une «véritable démocratisation de l'homosexualité » qui n'est plus désormais le fait d'une seule classe relativement aisée (artistes, hommes de lettres, financiers, etc.), il s'avère conjointement que ce que l'on a pu appeler la « prostitution masculine » gagnait, elle aussi, de nouvelles couches de la société.
Cette situation a alerté les administrations. A la Santé publique comme au ministère de la Justice, on s'appréte à étudier les moyens énergiques d'y remédier.
Le récent projet de loi va déjà permettre de s'attaquer à la base même du nouveau fléau: selon ce texte, le traitement des maladies vénériennes deviendra obligatoire pour tout le monde: que ce soit pour les malades eux-mêmes ou pour tous ceux qui, par leurs contacts ou leurs activités, risquent d'être contagieux.
6 mois après, était publiée
l'ordonnance n°60-1245 du 25 novembre 1960 (JO 27 no. , p. 10603)
Rapport au président de la république (ordonnance 60-1245):
[...] L'article 2 institue à l'article 330 du code pénal une peine agravée pour le cas où l'outrage public à la pudeur est commis par des homosexuels. Cette mesure répond au souci manifesté par le Parlement le 4° de la loi précitée du 30 juillet 1960. En effet, compte tenu de ce que l'ensemble de la législation française relative à la lutte contre le proxénétisme et à la prostitution s'applique sans distinction de sexe et indifféremment en cas de rapports homosexules ou hétérosexuels, il a paru qu'il était particulièrement utile, pour répondre au voeu exprimé par le Parlement, d'augmenter les peines prévues lorsque cette infraction est commise par des homosexuels. [...]
Art.2. - L'article 330 du code pénal est complété par l'alinéa suivant: alinéa 2 "Lorsque l'outrage public à la pudeur consistera en un acte contre nature avec un individu du même sexe, la peine sera un emprisonnement de six mois à trois ans et une amende de 1 000 NF à 15 000 NF." Fait à Paris, le 25 novembre 1960. Par le Président de la République : C. de GAULLE
Le Premier Ministre : Michel DEBRE Le garde des sceaux, ministre de la justice : Edmond MICHELET Le ministre de l'intérieur : Pierre CHATENET Le ministre de la santé publique et de la population : Bernard CHENOT